2024, peu d’éclaircies en vue au Soudan


La prise de Wad Madani, le 18 décembre, par les Forces de soutien rapide (FSR), a jeté 500 000 Soudanais supplémentaires sur les routes. Au total, ce sont plus de 7,3 millions de citoyens qui ont dû quitter leur foyer depuis le début de la guerre, le 15 avril, entre les puissants paramilitaires des FSR et les troupes régulières des Forces armées soudanaises (FAS). Après l’assaut des FSR sur Wad Madani, beaucoup de familles originaires de Khartoum ont dû abandonner le semblant de vie normale qu’elles avaient recommencé à bâtir.

Rapidement, les FSR ont bloqué les routes, prenant en otage les retardataires qui rapportent des pillages de voitures, des assassinats de civils et de nouveaux cas de violences sexuelles. « Nous avons confirmé neuf viols et nous tentons d’en confirmer au moins sept autres une fois que les survivantes parviendront à quitter l’État d’Al-Jazirah, où se situe Wad Madani. Le principal obstacle, c’est l’accès très restreint aux télécommunications. Le deuxième problème, c’est la présence des FSR dans les villages et à Wad Madani qui empêche les victimes de signaler ces abus. Les riverains sont terrorisés », décrit Hala Alkarib, la directrice régionale de l’Initiative stratégique pour les femmes dans la corne de l’Afrique (SIHA).

Et pourtant, moins de quinze jours après la conquête de Wad Madani, le chef des FSR, Mohamed Hamdan Dagalo alias « Hemeti », avait des airs de représentant politique face à la délégation de civils désireux de mettre fin à la guerre qu’il a rencontrée à Addis-Abeba. À l’issue de ces deux jours de réunion, Hemeti et l’ancien Premier ministre Abdallah Hamdok, qui préside la coalition de civils dite « Taqaddum », ont paraphé, le 2 janvier, une déclaration commune. Le document prévoit la cessation des hostilités « au travers de négociations directes avec les FAS ». Mais voilà, ces derniers n’ont pas encore répondu aux politiques de Taqaddum qui auraient aimé les rencontrer en même temps que leurs opposants à Addis-Abeba.

Des islamistes peu enclins à négocier

« Les FAS sont alliées aux islamistes qui refusent d’abandonner le pouvoir et les intérêts économiques accumulés sous la dictature militaro-islamiste d’Omar el-Béchir. C’est la principale raison pour laquelle ces derniers ont amorcé la guerre », rappelle Bakry Eljack, chercheur spécialiste du rôle de la société civile dans la gouvernance et membre du comité exécutif de Taqaddum. Sur le plan militaire, le patron de l’armée, Abdel Fattah al-Burhane, semble déterminé à regagner les territoires tombés aux mains des FSR, dont la plupart des quartiers de Khartoum, Wad Madani ou encore Dilling, dans l’État du Kordofan du Sud, qui vient d’être conquise, le 7 janvier, par les soldats d’Abdelaziz el-Hilou, le troisième homme de cette guerre.

« Les FAS tentent de prouver qu’elles sont toujours capables de remporter ces combats et méritent la confiance de la population, précise Kholood Khair, du centre de réflexion Confluence Advisory. Or si le général Abdel Fattah al-Burhane signe un accord avec les FSR, les islamistes se débarrasseront vraisemblablement de lui. Refuser cette signature représente donc un moyen, pour Burhane, d’assurer sa survie à la tête de l’armée. »

Dans ces conditions, l’analyste qualifie de « naïve » la déclaration paraphée à Addis-Abeba par laquelle les paramilitaires s’engagent à libérer 451 prisonniers – civils et militaires – et à permettre à un comité indépendant d’enquêter sur les crimes commis. « Hemeti essaie d’être perçu comme un potentiel chef politique et plus seulement comme un belligérant militaire. De leur côté, les représentants de Taqaddum tentent de prouver leurs capacités de négociation à ce niveau. Depuis la révolution de décembre 2018, de nombreux documents ont ainsi été signés et non mis en œuvre », souligne Kholood Khair.

Le chef des paramilitaires en tournée dans le continent

Après son séjour éthiopien, Hemeti a poursuivi sa tournée africaine à Djibouti, au Kenya, en Afrique du Sud et au Rwanda, parfois accueilli avec un protocole digne d’un chef d’État. « Il n’existe pas de meilleur outil pour négocier avec les FSR que de les placer face à leurs responsabilités devant la communauté internationale, note une proche observatrice du processus de médiation. Elles ont perdu la confiance de la plupart des Soudanais, alors leur seule issue consiste désormais à respecter leurs engagements. Qu’ils croient eux-mêmes aux bienfaits de la démocratie ou non. Ils sont maintenant arrivés à une étape où ils pourraient probablement s’emparer du reste du Soudan, mais ils ne seront pas en mesure de diriger ces territoires. Il est par conséquent dans leur intérêt de conclure un accord. »

Déterminés à faire cesser les bombardements qui ont fait plus de 12 000 morts, et sans nul doute assoiffés de pouvoir, les politiques de la coalition des Forces pour la liberté et le changement, qui pèsent largement sur Taqaddum, n’écartent plus de s’associer aux paramilitaires. « Nous sommes prêts à travailler avec les FSR dans les zones sous leur contrôle où ils ont commencé à rétablir l’eau, l’électricité et à faciliter le retour des habitants chez eux. Dans le même temps, nous aurons besoin de la pression de la communauté internationale pour évincer les FAS », déclare le chirurgien Alaaeldin Nogoud, également membre du comité exécutif de Taqaddum.

Le médecin, qui a été emprisonné et torturé par l’armée au début du conflit, adhère désormais à la narration des paramilitaires selon laquelle les crimes, incluant exactions, viols et cambriolages, ne sont pas perpétrés par leurs troupes. Mais par de simples soutiens. Les nouvelles recrues paraissent en effet difficilement contrôlables. Elles n’en restent pas moins utilisées par Hemeti pour ses avancées sur le terrain, confirment plusieurs sources. « Il y a une urgence de la part des politiciens à obtenir un cessez-le-feu par tous les moyens. Mais pour le moment, aucun signe n’indique que les FSR respecteront leurs engagements. Si Hemeti avait voulu tenir ses hommes, il aurait pu déjà le démontrer plus largement », tempère Alice Franck, enseignante-chercheuse en géographie sur le Soudan à l’université Paris-1 Panthéon-Sorbonne.

Un risque d’embrasement régional

Taqaddum se veut complémentaire des processus amorcés par les États-Unis et l’Arabie saoudite à Djeddah, ainsi que par l’Union africaine et l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD). L’IGAD avait réussi, en décembre, à faire promettre aux deux généraux de se rencontrer, même si aucune date n’a pour l’heure été fixée. Dans ces conditions, la population soudanaise et les pays voisins vont continuer à subir les dramatiques conséquences de cette guerre. Au moins 1,3 million de réfugiés sont répartis entre le Tchad, le Soudan du Sud, l’Égypte, l’Éthiopie et la Centrafrique.

« La capacité de ces États à faire face à l’afflux de réfugiés est mise en doute, en particulier au Soudan du Sud et au Tchad. Même en Égypte, des polémiques médiatiques sur l’accueil des Soudanais sont apparues, reprend Alice Franck. Mais nous ne pouvons pas reprocher aux pays hôtes leurs difficultés à accueillir ces exilés eu égard à l’absence de volonté de la communauté internationale en la matière. Par exemple, l’Union européenne aurait davantage tendance à financer les nations frontalières plutôt qu’à recevoir sa part de réfugiés… » Pour la chercheuse, le risque d’embrasement est bien réel, à cause des appels de plus en plus nombreux, émanant surtout de l’armée, pour que les civils prennent les armes. « Le chaos engendré par la guerre et la multiplication d’hommes armés aux frontières dans une zone sahélienne très fragile représente une menace supplémentaire », ajoute-t-elle.

Et ce, alors que le reste de la corne de l’Afrique se trouve au bord de l’embrasement. L’Éthiopie, qui se remet tout juste de deux années de guerre civile dans la région septentrionale du Tigré, est ravagée par de multiples conflits internes. Ses relations se sont en outre fortement dégradées avec l’Érythrée. Enfin, une escalade diplomatique est en cours avec la Somalie, à la suite d’un accord de principe par lequel le Somaliland autorise Addis-Abeba à se doter d’une base navale… sur un territoire toujours rattaché officiellement à la Somalie.


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