40% de panneaux solaires made in France, un objectif réaliste ?


L’Union européenne veut des technologies vertes made in Europe. En avril, elle a adopté le règlement Net zero industry act (NZIA), grâce auquel elle espère notamment produire 40% des panneaux photovoltaïques installés sur son territoire d’ici à 2030, contre à peine 5% aujourd’hui. Un objectif très ambitieux, que la France a décidé de reprendre à son compte. Le 5 avril, Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie et des Finances, et Roland Lescure, celui de l’Industrie et de l’Énergie, ont annoncé une série de mesures de soutien au développement du photovoltaïque, dont le rythme doit doubler et atteindre 6 gigawatts (GW) installés par an pour arriver à 40 à 45 GW en 2035 et 100 GW en 2050.


Et il ne s’agit pas uniquement d’assembler en France 40 % des panneaux solaires, mais bien de construire une filière nationale apte à produire «3 à 5 GW sur la chaîne de valeur du silicium, 5 à 10 GW de lingots et wafers, 5 à 10 GW de cellules, 3 à 5 GW de verre solaire et 3 GW d’onduleurs», indique le gouvernement. Pas si simple, car la France part ­quasiment de zéro.


Des industriels français ont le savoir-faire pour les verres des modules. En revanche, Aurélie Picart, la déléguée générale du Comité stratégique de filière Nouveaux systèmes énergétiques (CSF NSE) reconnaît commencer tout juste à travailler sur les onduleurs. Quant à la chaîne de production d’un panneau solaire, l’unique producteur européen de polysilicium à partir de quartz de qualité photovoltaïque est l’allemand Wacker Chemie, à Munich. En France, seul Photowatt, une filiale d’EDF, sait fabriquer des lingots et des wafers. Mais pas en quantité suffisante pour atteindre les volumes en gigawatts affichés par le gouvernement.


Pour relever son défi, l’État mise tout sur deux projets de gigafactories solaires en France. Notamment sur celle de Carbon (5 GW) qui, grâce à un investissement de 1,6 milliard d’euros, ne se contentera pas d’assembler 10 millions de panneaux solaires par an, mais produira ses propres lingots, plaquettes, cellules et modules à Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône). La construction doit démarrer en 2025 pour un début de production en 2027. Pour Nicolas Chandellier, le directeur général de Carbon, seule une production intégrée «répond aux enjeux de souveraineté de la filière. Les autres [fabricants] sont dépendants d’un sourcing en Europe, où l’on est en sous-capacité de production de wafers. Cette situation va perdurer». Hormis le norvégien NorSun, aucun industriel européen n’en fabrique. Les autres raisons «du choix de la verticalisation» de Carbon résident dans «la volonté de maîtriser des coûts de production et la feuille de route de l’innovation, qui vient en grande partie des étapes en amont : la fabrication des lingots et l’épaisseur des wafers». L’un des actionnaires du projet est d’ailleurs le fabricant de fours ECM. Reste à Carbon à se fournir en polysilicium. Or l’allemand Wacker ne peut pas fournir tout le monde.


Une ambition réalisable


L’autre projet de gigafactory française est celui d’Holosolis, à Hambach (Moselle). Avec un investissement de 850 millions d’euros, il n’assurera la production que de 5 GW de cellules et de modules par an, avec la technologie TopCon (tunnel oxide passivated contact), comme Carbon. «C’est la plus facile à faire passer à l’échelle industrielle, explique Jan Jacob Boom-Wichers, le PDG d’Holosolis. Pour être compétitif, il faut produire au minimum 3 GW, voire 5 GW. Or tous les acteurs ont une taille sous-optimale.» Le suisse Meyer Burger et l’italien 3Sun, qui possède une usine de 3 GW en Sicile pour le marché italien et les besoins d’Enel, ont misé sur l’hétérojonction. Pour produire en France, Holosolis doit trouver des fournisseurs de wafers. «Des acteurs existants pourraient avoir des projets d’extension ou de reprise d’activité, d’autres arriver sur le marché», assure Vincent Delporte, le responsable des affaires publiques d’Holosolis. EDF annonce en effet investir 4 millions d’euros en 2024 dans Photowatt pour l’acquisition de nouvelles scies afin d’augmenter la production de wafers.


Ces deux projets français devraient suffire à atteindre l’objectif de 40% de panneaux made in France en 2030, assure Étienne Roche, le directeur de cabinet de Pierre-Emmanuel Martin, le président de Carbon. Pour s’assurer qu’ils voient le jour, les projets sont soutenus par le gouvernement à hauteur de 200 millions d’euros, via le crédit d’impôt au titre des investissements dans l’industrie verte. Pour leur assurer des débouchés commerciaux, l’État a signé un « pacte solaire » avec 29 développeurs d’énergies renouvelables et de grands acheteurs, dont SNCF Renouvelables et Dalkia, filiale d’EDF. En échange d’un soutien massif, les développeurs s’engagent à recourir à davantage de panneaux français. Les producteurs français, eux, devront se fédérer au sein du CSF NSE, qui portera leurs intérêts. Le gouvernement s’engage aussi à transcrire les critères européens NZIA d’ici à 2025. Objectif : réussir dans le solaire la relocalisation en cours dans les batteries.

Une charte et des enquêtes antidumping

Une charte et des enquêtes antidumping

Face à la déferlante de panneaux solaires chinois à prix cassés, détournés du marché américain porté par des mesures protectionnistes, l’Union européenne cherche la parade. Le 17 avril, 23 pays membres, dont la France, ont signé une « charte solaire » dans laquelle ils s’engagent à mettre en œuvre rapidement les mesures du règlement pour une industrie « zéro net ». Le Net zero industry act (NZIA) doit favoriser l’achat et la production de panneaux solaires made in Europe. Cette charte était poussée par l’European solar manufacturing council (ESMC), qui représente 80 fabricants européens de modules photovoltaïques. En attendant qu’elle fasse effet, la Commission utilise son nouveau règlement sur les subventions d’États étrangers faussant la concurrence. Avec un succès limité. Si deux groupes chinois, Longi et Shanghai Electric, visés par des enquêtes lancées en avril, se sont retirés d’un appel d’offres en Roumanie, rien ne protège les projets non subventionnés par des fonds européens. #


Vous lisez un article de L’Usine Nouvelle 3731 – Juin 2024

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