Au Ghana, le Parlement durcit la loi contre les homosexuels

La bataille menée depuis trois ans par les LGBT + du Ghana vient de subir une lourde défaite. Le Parlement de ce pays d’Afrique de l’Ouest a adopté mercredi 28 février un projet de loi parmi les plus homophobes du continent. Sous l’intitulé « Droits sexuels humains et valeurs familiales », il expose désormais à une peine allant jusqu’à trois ans de prison toute personne s’identifiant comme LGBT +, cinq ans de prison pour « la promotion, le parrainage ou le soutien délibérés d’activités LGBT + », et jusqu’à dix ans pour les « campagnes LGBT + à destination des enfants ».

Les personnes LGBT +, mais aussi les défenseurs des droits humains et les journalistes pourront ainsi être poursuivis pour ces motifs, et la délation est explicitement encouragée. Le texte a été voté à l’unanimité par les 275 députés, malgré l’opposition répétée des diplomates, des organisations internationales et d’une coalition de la société civile ghanéenne. Il n’entrera en vigueur qu’après sa ratification par le président Nana Akufo-Addo, qui n’a pas encore fait savoir sa décision.

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« J’ai le cœur brisé », a simplement réagi Angel Maxine, la seule artiste ouvertement transgenre du pays. « Nous savions déjà, au vu des vidéos de lynchages homophobes qui circulent sur les réseaux sociaux, que notre société était extrêmement intolérante envers les personnes ayant une orientation sexuelle différente, déplore pour sa part l’activiste de la société civile Chris Atadika. Mais cette loi va aussi encourager les gens à s’inventer un talent pour détecter les personnes LGBT + et les dénoncer. Amis gays, fuyez le pays ! »

Sur les réseaux sociaux, les internautes ghanéens sont divisés. Si certains saluent « la sauvegarde des valeurs africaines », d’autres disent craindre des retombées négatives sur le tourisme, voire une progression du puritanisme dans un pays déjà conservateur. « Si je refuse les avances d’un homme en boîte de nuit et que je reste danser avec mes amies, il aura le droit d’appeler la police pour me dénoncer comme lesbienne ? », ironise une jeune femme. Nombreux sont ceux qui qualifient la communauté LGBT + de « bouc émissaire » à moins d’un an de l’élection présidentielle, prévue en décembre, et alors que le gouvernement est fortement miné par les scandales de corruption dans un contexte de crise économique.

Une lame de fond homophobe

La vague homophobe s’est révélée publiquement au Ghana en 2021, avec l’inauguration le 31 janvier des locaux de l’association LGBT + Rights Ghana, en banlieue d’Accra. Les images de la cérémonie, pourtant modeste, avaient été relayées avec indignation sur les réseaux sociaux et provoqué rapidement un tollé national. En février, les locaux avaient été perquisitionnés et fermés, les occupants expulsés, condamnés pour la plupart à vivre dans la clandestinité suite à de violentes attaques dans les médias de l’avocat Moses Foh-Amoaning, le secrétaire exécutif de la Coalition nationale pour des droits sexuels appropriés et les valeurs familiales, un puissant lobby religieux rassemblant des chrétiens et des musulmans conservateurs.

La lame de fond s’était rapidement politisée, gagnant le gouvernement et les deux principaux partis, et laissant visiblement dans l’embarras le président Nana Akufo-Addo, ancien avocat des droits humains. Huit parlementaires, avec à leur tête le député d’opposition Sam Nartey George, avaient alors rédigé un projet de loi proposant de durcir la législation sur les mœurs en vigueur depuis 1861. Celle-ci condamnait à trois ans de prison les « activités charnelles contre-nature », sans les spécifier, et n’était plus appliquée dans les faits.

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Depuis trois ans, les interventions de diplomates, d’organisations internationales et de porte-paroles de la diaspora ghanéenne opposés au projet de loi se sont succédé en vain. En mars 2021, 67 personnalités du monde de la culture, au rang desquelles le directeur artistique de Louis Vuitton Virgil Abloh, décédé depuis, l’acteur Idris Elba, le mannequin Naomi Campbell et l’actrice et réalisatrice Michaela Coel, avaient signé une lettre ouverte en soutien aux personnes LGBT + du Ghana, se disant « profondément inquiets » de la nouvelle tournure des débats.

Les Nations unies avaient ensuite déclaré qu’une telle loi créerait « un système de discrimination et de violence soutenu par l’Etat » envers les minorités sexuelles. Elle affecterait en outre l’attractivité du pays, avait averti en 2023 l’ambassadrice américaine Virginia Palmer, lequel se trouvait déjà en plein marasme économique.

Alors que plusieurs pays africains, comme le Mozambique en 2015, le Botswana en 2019, l’Angola en 2021, le Gabon et l’île Maurice en 2022, ont abrogé les lois qui criminalisaient depuis l’époque coloniale les relations consenties entre personnes du même sexe, d’autres au contraire ont adopté ces dernières années de nouvelles lois répressives, comme la Tanzanie, le Niger et la Namibie, a déploré Amnesty International. L’Ouganda a même voté en 2023 un texte faisant de « l’homosexualité aggravée » un crime capital, passible de la peine de mort.

Dans ces pays, note l’organisation, « les lois sont utilisées de manière flagrante pour persécuter et marginaliser des membres de la communauté LGBT +, ce qui met en évidence une tendance inquiétante à l’utilisation de mécanismes juridiques comme instruments d’oppression ».

« Une nation chrétienne »

Partageant ce constat, la chercheuse en sciences politique Larissa Kojoué a recensé en décembre 2023 une nette hausse des actes homophobes au Ghana depuis 2021 : chantage policier, élève expulsé de son établissement scolaire après avoir été accusé d’homosexualité, locataires évincés par leurs propriétaires, menaces, harcèlements et violences physiques. Les députés qui, comme Sam Nartey George, défendent le projet de loi en arguant que l’homosexualité serait contraire à « la culture africaine », plaide la chercheuse camerounaise, « ignorent commodément le statut laïc du Ghana et les principes africains tels que l’ubuntu », qui désigne « la dignité, l’égalité, la non-discrimination, l’empathie ».

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Mais le Ghana est-il encore vraiment un pays laïc ? Le président Nana Akufo-Addo a reçu le 27 février, la veille de l’adoption de la loi au Parlement, une délégation du Forum chrétien mondial (GCF) à la Jubilee House, le palais présidentiel. Si le Ghana est « constitutionnellement, une nation laïque », a déclaré à cette occasion le chef de l’Etat, il est « en pratique, une nation chrétienne », puisque « l’écrasante majorité de notre peuple, 70 à 72 %, se revendique du christianisme ». Le mouvement chrétien charismatique, auquel appartient le député Sam Nartey George et dont le président Akufo-Addo est proche, entretient de longue date des rapports étroits avec les organisations évangélistes américaines.

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Selon une enquête conduite par la plate-forme OpenDemocracy, une vingtaine de lobbys conservateurs chrétiens américains ont investi plus de 54 millions de dollars en Afrique de 2007 à 2020 pour influencer les politiques publiques, la législation et l’opinion en défaveur des droits des homosexuels. Avec, pour pilier central de leur programme, la « création d’une hystérie de masse autour de l’homosexualité ».

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