Pour les marchés, guère de doute, l’agence de notation Moody’s devrait a minima abaisser ce vendredi, la perspective de la note souveraine de la France à négative, ou plus probablement, dégrader sa note à Aa2. La dernière fois que l’agence Moody’s a changé sa perspective de stable à négative remonte à… février 2020, avant la pandémie. Depuis, il y a eu le « quoiqu’il en coûte » et, plus récemment, un creusement inattendu des déficits publics. Pour autant, ce scénario laisse de marbre les investisseurs.
Certes, une certaine nervosité sur les marchés était palpable fin mars avec la prise de conscience du dérapage budgétaire. Mais les choses se sont rapidement stabilisées. Et l’écart (spread) entre le taux de la France et celui de l’Allemagne, qui sert de référence pour le taux sans risque sur « le dix ans », est revenu autour de 50 points de base.
« L’impact d’une dégradation de la note de la France devrait être marginal sur le spread OAT/Bund allemand, de l’ordre de quelques points de base. Il ne s’agit absolument pas d’un changement de régime pour les OATs, même en cas de rattrapage de la note de Moody’s, et peut-être en mai de S&P, sur la note de Fitch, qui reste d’ailleurs une bonne note », estime Adam Kurpiel, responsable de la stratégie Taux à Société Générale CIB.
Indulgence des marchés
« C’est un non-événement du point des marchés », confirme Matthieu Bailly, directeur général délégué d’Octo Asset Management, « même si, d’un point de vue politique, une dégradation est toujours un argument fort pour les contradicteurs d’une politique ». Il faut remonter à janvier 2012 et la perte par la France de son précieux AAA chez S&P, la meilleure note, pour relever un impact négatif significatif sur le spread de 14 points de base, et en juillet 2013, lorsque Fitch a également dégradé son AAA (+11 points de base), selon une étude de Société Générale. Depuis, les baisses d’un cran se sont traduites par des hausses de 3 à 4 points de base de l’OAT par rapport au Bund. C’est-à-dire presque rien.
Plusieurs raisons peuvent expliquer cette indulgence des marchés par rapport aux opinions négatives des agences de notation sur la France. Tout d’abord, les marchés anticipent les éventuelles dégradations de note alors que les décisions des agences de notation sont toujours en décalage par rapport aux données.
Ensuite, les investisseurs sont toujours friands de la dette française. Et sur le segment des taux longs (plus de cinq ans), c’est davantage l’offre et la demande qui fixent les prix que la politique monétaire des banques centrales. Et si le taux de l’OAT à dix ans navigue autour de 3% alors que les taux de la BCE s’échelonnent entre 4 et 4,75%, c’est bien que les investisseurs achètent toujours de la dette française.
« La demande d’OAT reste forte, non seulement de la part des investisseurs domestiques, mais aussi de la part des investisseurs internationaux. Nous observons d’ailleurs, en termes de flux, que les investisseurs internationaux comblent en grande partie le vide créé par non-réinvestissement de la Banque centrale européenne des titres arrivés à échéance », observe Adam Kurpiel.
Un actif sûr
La France présente également des spécificités appréciées des investisseurs, comme la liquidité et la variété de sa dette, une bonne communication financière, un système bancaire solide et une économie diversifiée. « La France est un pays surendetté dans une zone monétaire surendettée. Mais l’Europe offre deux avantages massifs pour les investisseurs : le parapluie de la Banque centrale européenne évite que les taux, notamment des pays périphériques ne partent dans le décor ; et l’Europe reste une des rares zones sûres dans le monde, avec les Etats-Unis, pour y placer son argent pour des investisseurs internationaux, surtout en cas de stress géopolitique », note Matthieu Bailly.
De plus, avec la remontée des taux, certains grands investisseurs institutionnels, comme les assureurs, refont le plein d’obligations souveraines bien notées pour reconstituer notamment leurs ratios de solvabilité, après des années passées à acheter du papier sans rendement. Enfin, le marché est risk on sur le marché obligataire, car beaucoup d’investisseurs continuent de parier sur une baisse des taux (ce qui augmente la valeur de l’obligation).
L’optimisme des marchés prime donc pour l’instant sur les dérapages des finances publiques. Et en cas de crise, la dette française demeure parmi les mieux notées de la zone euro. Ce qui ne veut pas dire que les déficits à répétition sont sans conséquences. « Le débat sur les déficits a finalement autant d’impact sur les changes que sur les taux qui peuvent être pilotés par la Banque centrale. Ainsi, le prix de l’euro face aux autres devises se dégrade régulièrement depuis 2008 », souligne ainsi Matthieu Bailly.
L’histoire tourmentée des agences de notation
La légende fait remonter à Eugène-François Vidocq, ce malfrat français devenu policier, la création de la première agence de notation, dans les années 1830, pour recueillir des informations sur les emprunteurs. Mais c’est aux Etats-Unis, sensiblement à la même époque, que les agences de notation gagnent leur lettre de noblesse… avec beaucoup de difficultés. La crise de 1929 consacre néanmoins le rôle des agences de notation : une loi de 1931 oblige les banques américaines à mesurer leur risque avec les agences de notation. C’est également en 1931 que la dégradation de la note de la Grèce provoque des troubles, qui se termineront par un coup d’Etat militaire. Scandale. Pour éviter un nouveau procès de l’opinion, les agences de notation arrêteront de noter les États jusque dans les années 70 lorsque les États eu-mêmes commencent lever massivement de la dette sur les marchés financiers internationaux. Depuis, à chaque crise, les agences sont pointées du doigt : la crise asiatique de 1997, la bulle internet, la faillite frauduleuse d’Enron aux Etats-Unis, les subprimes en 2007 et la crise de l’euro en 2010, surtout quand les agences ont été accusées d’avoir tué une deuxième fois la Grèce. Les controverses semblent s’estomper à partir de 2010 à l’aune de leur perte d’influence et du rôle croissant des banques centrales. Sauf quand S&P prévient par erreur la dégradation de la France en 2011… deux mois avant l’annonce officielle !
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