“Félicitations à la Cour constitutionnelle pour avoir joué son rôle et je l’encourage à œuvrer dans cette voie de l’indépendance de la justice, garant majeur de la démocratie.” C’est par ces mots que l’ancien Premier ministre malien, Moussa Mara Yelema s’est exprimé sur Facebook, le 25 avril dernier.
Quelques jours auparavant, la Cour constitutionnelle du Mali avait rendu public un arrêt lié à une requête du Président de la Transition concernant les “avantages, indemnités, et autres traitements” versés aux 147 membres du Conseil national de transition (CNT), en plus de leurs salaires.
Elle déclare non conforme à la Constitution cette loi, votée à l’unanimité et en toute discrétion par le CNT et publie sa décision au journal officiel, le 22 avril.
Le Conseil National de la Transition recadré par la Cour
“Dans le contexte malien, c’est une très bonne chose. C’est une décision importante pour le Mali qui est en contexte d’insécurité et aussi un contexte d’instabilité politique”, explique Mohamed Amara, sociologue malien, auteur du livre « Marchands d’angoisse, le Mali tel qu’il est, tel qu’il pourrait être » Editions Grands Vaux, publié en 2019.
Pour lui, le fait que “ceux qui font office de législateurs se permettent donc de voter une loi pour augmenter leurs indemnités” est une preuve de leur “indécence humaine”.
“Le mot est fort mais cette décision vient au moment d’une crise politique, où rien ne va dans le pays. Le CNT est censé organiser un dialogue inter-Maliens pour ramener la paix et se permet de faire passer en catimini une augmentation des indemnités de ses membres, alors qu’une bonne partie du territoire souffre de problèmes d’accès à l’eau ou d’insécurité alimentaire”, déplore -t-il.
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Certains des articles ont été déclarés conformes à la Constitution, notamment les articles 2 et 3 qui concernaient les versements de salaires pour le Président du CNT et les membres du CNT.
Extrait arrêté de la Cour consitutionnelle du Mali
(Capture d’écran TV5MONDE)
Ce qui pose problème et a choqué l’opinion publique comme l’ancien Premier ministre, c’est notamment l’article 8 qui prévoyait que les “montants et modalités d’attribution des indemnités, avantages et autres traitements des membres du Conseil national de Transition sont déterminés par un acte règlementaire interne du Président du Conseil national”. Autrement dit, que cela soit décidé dans une certaine opacité.
D’autres articles comme le 4, détaillaient les indemnités que les membres du CNT pourraient percevoir sur décision du président de cette institution.
Extrait arrêté de la Cour consitutionnelle du Mali
(Capture d’écran TV5MONDE)
Pour une source proche du CNT, la publication Facebook de l’ancien Premier ministre malien Moussa Mara est pour le moins erronée. “Il ne s’agissait pas de demander des augmentations pour 2024, mais d’adopter une loi organique qui sortait le CNT d’un flou légal sur ces questions”.
Ce “flou légal” laisse entendre que ces primes ont été versées sans cadre légal depuis le début du CNT. En effet, l’article 7 de la loi, lui aussi rejeté par la Cour Constitutionnelle, stipulait que la loi “régissait les avantages, indemnités et autres traitements des membres du Conseil national de Transition depuis sa mise en place”. C’est précisément cette mention de rétroactivité qui pose problème à la Cour constitutionnelle.
Quelle est la position de la Cour Constitutionnelle sur la Transition ?
Selon le sociologue Mohamed Amara, il s’agit pour la Cour constitutionnelle du Mali de redorer son image. Et de rappeler le “contentieux législatif” à l’origine de la chute de l’ancien président Ibrahim Boubacar Keita. En effet, en 2020, IBK a renouvelé la totalité de la Cour Constitutionnelle, juste après les élections législatives, dans un contexte de contestation liées aux résultats définitifs controversés.
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Pour Mohamed Amara, il est clair que ce rejet de loi est un rappel à l’ordre envers le CNT. “La Cour constitutionnelle fait tout pour ne pas être en marge de l’histoire du Mali. Elle veut aussi montrer qu’elle n’est pas une simple caisse de résonance, contrairement à ce que certaines personnes pensent. Cette décision pourrait être le point de départ des redressements de la trajectoire de la transition malienne et cheminer vers l’organisation d’élections démocratiques crédibles et transparentes”, conclut-il.
Reste que, dans deux arrêts ultérieurs rendus le 25 avril, la Cour constitutionnelle ne s’est pas prononcée sur la transition à propos de laquelle elle avait été saisie.
En effet, d’une part, elle s’est déclarée « incompétente » pour examiner une plainte visant l’annulation de la décision prise par la junte de suspendre les activités des partis. D’autre part, la juridiction a déclaré « irrecevable » une requête distincte d’organisations de magistrats et de procureurs pour constater un « vide institutionnel » au Mali et la mise en place d’une nouvelle transition suivie d’élections.
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Selon Me Oumar Berté, chercheur associé à l’Université de Rouen en politique et en droit public, cité par RFI, « C’était une très belle opportunité que la Cour avait pour asseoir sa crédibilité aux yeux des citoyens maliens et de gagner la confiance du peuple. La Cour aurait dû se prononcer sur le décret fixant la transition à 24 mois à compter du 26 mars 2022. Et je pense que je ne suis pas le seul ! Beaucoup de Maliens auraient aimé entendre l’analyse juridique de la Cour, ce qu’elle n’a malheureusement pas eu le courage de faire. »
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