Et si on croyait à nouveau dans la photographie de presse ? Sur les écrans, le film Civil War, d’Alex Garland, exalte la mission des reporters de guerre avec son héroïne prénommée Lee – en hommage à Lee Miller – et équipée d’un Leica ; au musée du Jeu de Paume, une rétrospective Tina Modotti vient de rappeler les grandes heures de la profession…
Et à la BNF (site François-Mitterrand), une passionnante exposition au plus près du réel démontre combien un regard singulier, informé, percutant compte plus que jamais, alors que nous sommes, depuis que les smartphones permettent à chacun de documenter son quotidien, submergés par les images vides de sens.
La France sous leurs yeux est le résultat d’une grande commande publique. En 2021, le ministère de la Culture, alors mené par Franck Riester, missionne deux cents photographes de presse sélectionnés par un jury pour dresser un panorama de la France au sortir du Covid-19. Chacun bénéficie d’un financement de 22 000 euros pour environ dix mois de travail ainsi que de l’accompagnement de la Bibliothèque nationale de France, dépositaire du résultat.
L’institution présente aujourd’hui deux photos issues de chaque reportage dans un parcours pensé par Héloïse Conésa et Emmanuelle Hascoët, et structuré par une devise républicaine déclinée au pluriel : Libertés, égalités, fraternités… et complétée par l’inattendu – et plein d’espoir – potentialités.
Sillonner les routes
Alors que nous racontent-ils, ces photographes qui ont sillonné l’Hexagone pendant près d’un an ? Que nous disent-ils des difficultés, des peurs, de la souffrance ambiantes, mais aussi de la solidarité et de la beauté ? Leurs approches sont différentes mais liées par un souci constant de l’humain. Au fil des salles s’affirme en effet une nette prédominance du portrait. Effet post-confinement, à n’en pas douter : les photographes de presse ont eu envie, après tant de solitude, de scruter au plus près des visages et des corps.
Dans cette veine humaniste se détache le travail de Pierre Faure, qui saisit, dans un très beau noir et blanc, le visage d’une nouvelle pauvreté, celle des agriculteurs, et explore ce qu’il appelle « la France périphérique » avec un sens très fort du symbolique. On est touché aussi par Les Eaux-fortes, une série de Julie Bourges sur les femmes marins-pêcheurs qui se dressent face aux éléments avec une force mythologique.
Effet Covid toujours, beaucoup de photographes ont choisi de sillonner les routes plutôt que de creuser un sujet local. Marine Lanier est allée se promener dans le Jardin d’Hannibal, le jardin du Lautaret, perché dans les Alpes et aux avant-postes du changement climatique. Romain Laurendeau, nourri du travail de Pier Paolo Pasolini, choisit de parcourir une Longue route de sable en longeant le littoral de la côte ouest, et enregistre les différences sociologiques visibles sur les plages de France…
Regard contemplatif et critique
Le voyage, c’est aussi celui des migrants qui arrivent en France par la Méditerranée : scènes fortes qu’enregistre Michael Bunel, comme ce bébé sauvé des eaux… Quant à Odhran Dunne, inspiré par la lecture de Sur les chemins noirs (2016) de Sylvain Tesson, il traverse la France à pied, du Mercantour au Cotentin, et livre une vision mélancolique des paysages ruraux.
La France du travail, celle des bureaux et des hauts-fourneaux, apparaît aussi sur les murs de la BNF. Mais ce sont les visages, plutôt que ces décors, qui restent en tête. Sans doute parce que, comme le soulignent les deux commissaires de l’exposition, « les pièces présentées ne sont pas des documents au statut illustratif sur les mutations du pays, mais bien des photographies appelant un regard tantôt contemplatif, tantôt critique ».
Devant le Feu d’artifice du 14 Juillet d’Éric Larrayadieu, c’est bien la contemplation qui s’impose : celle d’une symphonie de couleurs dont on ignore si elle est joyeuse ou tragique. Image saisissante, comme l’ensemble de cette exposition qui réussit à poser des questions sans jamais dicter de réponse.
« La France sous leurs yeux (200 regards de photographes sur les années 2020) » à la Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand, organisation de tables rondes avec les photographes autour de l’exposition, jusqu’au 23 juin.
Crédit: Lien source
Les commentaires sont fermés.