Les entreprises françaises vont tourner au ralenti pendant deux semaines. En cause, des jours fériés qui se succèdent et forment les ponts du mois de mai. Du monde est attendu sur la route, un peu moins dans l’open-space. De là à mettre l’économie française sur pause?
C’est le mois le moins travaillé de l’année. Le calendrier recense 11 jours fériés…dont 4 en mai. Les 1, 8, 9 et 20 cette année. Résultat, seulement 18 jours ouvrés sur les 31 que compte ce mois.
Le coût pour l’économie française? Entre 4 et 6 milliards d’euros d’après l’Insee, rien que pour ces quatre jours chômés. La baisse de chiffre d’affaires des entreprises est marquée: de 2 à 3% dans la majorité des secteurs, avec des pointes autour de 10% dans quelques pans de l’économie tricolore. Ces chiffres varient cependant selon les années et les aléas du calendrier.
« Tous les jours de congés ne se valent pas », explique Emmanuel Lechypre. « Les jours de milieu de semaine -le mardi, le jeudi et encore plus le mercredi- comptent plus que le lundi ou le vendredi », précise l’éditorialiste de BFM Business.
En effet, ces jours sont davantage travaillés en entreprise, là où le début et la fin de semaine sont plus sujets aux jours de repos posés par les salariés français. Or, en 2024, les 1er et 8 mai tombent un mercredi.
Le Medef veut supprimer deux jours fériés
Ces jours chômés en pleine semaine déclenchent l’ire du Medef. L’organisation patronale considère qu’ils désorganisent toute la semaine de travail. Outre la pause forcée d’une journée, ce sont les week-ends prolongés, posés par les salariés que le Medef entend limiter. En prenant exemple sur le modèle britannique, qui dispose que les jours fériés sont nécessairement rapprochés de la fin de semaine.
En outre, l’organisation de Patrick Martin souhaite limiter leur nombre. Elle propose de supprimer deux jours fériés par an. De quoi permettre de « gagner un point de PIB et de créer 100.000 emplois ». Un chiffrage contesté puisque selon les chiffres du gouvernement, la « journée de solidarité » votée après la canicule de 2003, rapporte chaque année autour de 2,5 milliards d’euros aux caisses de l’Etat. Cela représente moins de 1% du PIB annuel.
La grande désertion au bureau
Avec un mercredi 8 mai férié et un jeudi 9 mai qui l’est également, c’est toute la semaine qui risque de ressembler à une grande désertion au bureau.
« C’est un pont où les entreprises vont être à l’arrêt », note l’avocate en droit social Sabrina Kemel. « Ce que je vois, c’est que les fonctions supports de nombreuses entreprises vont être à l’arrêt, parce que les écoles publiques seront fermées ce vendredi », précise-t-elle sur le plateau de l’émission Avec Vous. Le calendrier scolaire indique en effet que les élèves n’auront pas classe le vendredi 10 et le samedi 11 mai.
« A l’évidence, ça va être extrêmement calme », confirme Christophe Basse, le président d’honneur du conseil national des administrateurs et des mandataires judiciaires. « Surtout pour des fonctions juridiques comme les nôtres: les tribunaux seront fermés, il y aura peu d’audiences. »
Un impact économique quasi nul
Si une partie de la France est à l’arrêt pendant cette première moitié du mois de mai, l’effet sur l’économie française est donc à relativiser. Et ce surtout en raison du phénomène de vases communicants: ce que le cinéma ou la salle de théâtre perd en fréquentation, l’hôtel ou le café de bord de mer le récupère. De quoi annuler (quasiment) tout effet sur le PIB du pays: d’après les prévisions de l’Insee, l’impact des jours ouvrables sur la croissance serait même légèrement positif sur un an, avec +0,09 point.
En cause, le total des jours travaillés, supérieur cette fois, puisque 2024 est une année bissextile. C’est l’équivalent de ce que rapporte un jour travaillé supplémentaire comme le lundi de Pentecôte, le 20 mai cette année.
L’effet vases communicants est même perceptible au sein d’un même secteur. Dans l’automobile par exemple, la période des ponts de mai est défavorable à la vente de véhicules. Cependant, elle correspond à un regain d’activité pour les dépanneurs et les services après vente, puisque les Français prennent la route ces jours-là.
D’ailleurs, nous serons plus nombreux à partir qu’en mai 2023, malgré des prix en hausse. Et pour cause, en posant seulement sept jours de congés, on peut profiter de ce tunnel de mai et être en repos pendant plus de deux semaines, du samedi 27 avril au dimanche 12 mai.
Télétravail et heures supplémentaires
Autre effet qui limite les conséquences négatives pour l’économie française: la part toujours plus importante des services face aux activités agricoles et industrielles. Une partie des salariés de ce secteur tertiaire peuvent « lisser » leur tâches sur les autres jours travaillés dans l’année, avec des heures supplémentaires avant et après cette période, ce qui estompe le retard accumulé pendant cette période. Un phénomène de plus en plus observable dans l’industrie et qui s’est renforcé depuis la pandémie de Covid. Le télétravail rend possible le traitement des dossiers à toute heure… et pendant les jours fériés. Combien d’entre nous rouvrons notre ordinateur pour avancer (un peu) sur nos dossiers?
Un casse-tête organisationnel pour les entreprises qui accordent des jours de congés pour ces fameux ponts du mois de mai… qui ressemblent parfois à des viaducs. Logique, “les salariés doivent poser des jours, quand ils leur en reste. Il y a des échéances réglementaires”, souligne Geoffrey Fournier, DRH de Securitas Techonology. Les salariés du secteur privé doivent solder leurs congés acquis sur l’année avant le 31 mai. C’est donc l’embouteillage dès lors que les comptes épargne temps (CET) sont pleins.
Gare au (dur) retour à la réalité prévient Sabrina Kemel: “de ma petite expérience sur la dernière année où les ponts se sont enchaînés, tout le monde était content, c’était la fête, tout le monde se disait ‘on n’aura pas de mails, il ne se passera rien… et le retour est très dur. In fine, certains collaborateurs m’ont dit ‘si j’avais su…” Pour l’associée au cabinet FTMS Avocats, ce décrochage des équipes n’est pas comparable aux vacances d’été: “en août, vous anticipez et vous gérez. Les ponts de mai c’est 3-4 jours [entrecoupé de périodes de reprise] il y a moins d’anticipation que pour des semaines complètes ».
Les RH tentent de s’organiser
Casse-tête managérial également. Difficile de garder la concentration de tous avec des semaines gruyères. “C’est vrai que ce mois de mai très hachuré est difficile pour les équipes et les collaborateurs pour garder une bonne motivation de tout le monde”, confirme Christophe Basse.
Surtout quand l’esprit est aux réservations des billets de train et à la préparation des valises. ”Tous les ans, en début d’année les ressources humaines éditent une note interne pour organiser annuellement les conditions de travail des collaborateurs et les différents rythmes”, détaille le directeur des ressources humaines.
“Les ponts du mois de mai sont le troisième moment clef, après les vacances d’été et les fêtes de fin d’année”.
Les chasseurs de tête s’adaptent eux aussi pour enjamber cette période de pause: “On anticipe les recrutements”, confie Marie Hombrouck. La créatrice du cabinet Autorus Executive reçoit les candidats en avril ou “au mois de septembre”. Ça nous emmène à être assez présents et opérationnels en avril, en mai et en juin”, poursuit-elle.
Les J.O. compliquent la donne
Pas question pour autant d’arrêter ses activités pendant toute la période des ponts. D’autant qu’un élément vient compliquer encore l’équation cette année: les Jeux Olympiques de Paris 2024. Sont concernées les entreprises de région parisienne. “On sait que ça va perturber notre organisation”, c’est pour cela que la recruteuse compte travailler début mai.
“Mécaniquement, c’est maintenant qu’il faut être présent. J’appelle des candidats. Ne nous raccrochez pas au nez pendant les ponts”, lance-t-elle dans un sourire sur le plateau de l’émission Avec Vous. Même si ces ponts du mois de mai sont aussi et avant tout une aubaine pour décrocher, souffler, et de profiter de quelques jours avant d’entamer la dernière ligne droite… jusqu’aux congés d’été tant convoités.
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