« Il y a beaucoup de projets industriels », explique Marc Lhermitte du cabinet EY

La France, championne d’Europe de l’attractivité économique pour la cinquième année consécutive selon le baromètre annuel EY publié le 1er mai. Ce sont 1 194 projets d’implantation ou d’extension qui ont été annoncés en France en 2023. La France est donc première, devant le Royaume-Uni et l’Allemagne. « Il y a beaucoup de projets industriels, beaucoup de réinvestissement dans des usines ou de création de nouvelles usines », explique Marc Lhermitte, associé au sein du cabinet EY. Selon lui, de nombreux investisseurs étrangers font le choix de la France d’abord pour « les compétences ». « La France, c’est quand même un bassin d’emplois avec des compétences très formées », précise-t-il. Et il met également en avant « les infrastructures », « les transports, mais aussi le numérique, nos services publics, l’école ».

En revanche, selon le baromètre, les investisseurs « critiquent encore un coût de la France, qui est trop élevé pour eux ». « C’est vrai, la pression fiscale en France est encore élevée, même si on a fait des efforts depuis quelques années, poursuit Marc Lhermitte. Le coût du travail, notamment, est un point qui, pour les industriels, est pénalisant, qui limite d’ailleurs la création d’emplois en France », pointe-t-il.

franceinfo : Peut-on dire que la France se réindustrialise ?

Marc Lhermitte : Oui, c’est en partie parce qu’il y a beaucoup de projets industriels, beaucoup de réinvestissement dans des usines ou de créations de nouvelles usines : 530 sur les 1200, c’est presque la moitié. C’est pour la première fois le terme de « réindustrialisation », par des entreprises étrangères qui ont le choix de faire ça ailleurs. Qui ont le choix de le faire chez nos voisins allemands, en Pologne, en Espagne, qui le font en France. Elles ne l’avaient pas fait pendant quelque temps, pendant une ou deux décennies, la France était moins aimée, un peu plus coûteuse. Elles le font à nouveau depuis trois, quatre ans et c’est une bonne nouvelle.

Quels sont les points forts de la France pour ces investisseurs étrangers ?

Les compétences, d’abord, c’est ce qu’elles nous disent en premier. La France, c’est quand même un bassin d’emplois avec des compétences très formées, premièrement. Les infrastructures, on peut se plaindre d’une autoroute qui est fermée. Parfois, ça ne fonctionne pas comme on veut, mais nos infrastructures, quand même, sont d’un niveau mondial, à la fois les transports, mais aussi le numérique, nos services publics, l’école, c’est tout ça, les entreprises le reconnaissent. Et puis enfin, la France, c’est la deuxième économie européenne. C’est donc un marché important, c’est un marché de consommateurs, c’est aussi un marché industriel. Airbus a besoin de sous-traitants, les entreprises de l’agroalimentaire ont besoin aussi des équipementiers. Donc tout ça, ça attire des entreprises venues du monde entier.

Cinquième année consécutive, est-ce le fruit concret d’une politique ?

C’est en partie le fruit d’une politique. Il faut reconnaître que cette politique, depuis l’élection d’Emmanuel Macron, ça avait commencé un petit peu avant, pour être tout à fait honnête, avec la réalisation que la France était devenue coûteuse et qu’elle ne jaugerait pas bien son image. Mais l’agenda des gouvernements d’Emmanuel Macron, ça a été de dire : on a besoin de remettre de l’emploi en France, on a besoin d’innover davantage en France, on a besoin d’exporter davantage. Il faut savoir que les entreprises à capitaux étrangers, celles qui sont nées ailleurs, dont le siège est ailleurs, c’est un petit nombre d’entreprises, c’est moins de 1% des entreprises en France, mais elles représentent 35% de nos exportations industrielles, donc c’est une sur trois, un tiers de nos exportations. Elles représentent 25% de l’innovation en France.

« C’est très important, ce sont l’année dernière 40 000 emplois portés par les entreprises à capitaux étrangers en France. »

Marc Lhermitte

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Quels secteurs sont concernés ?

À peu près tous les secteurs. La France est une économie très diversifiée, au contraire du Royaume-Uni qui est beaucoup plus concentrée sur quelques secteurs de services ou de secteurs du digital. Mais les secteurs qui ont vraiment vécu une très belle dynamique l’année dernière, c’est par exemple tout ce qui est véhicule électrique. Les implantations d’usines de batteries dont on parle beaucoup, c’est l’énergie parce qu’il y a une vraie transformation dans le monde de l’énergie et des énergies renouvelables. Il faut construire des équipements pour l’éolien par exemple, pour les champs d’éoliennes. C’est un peu moins l’agroalimentaire, mais c’est aussi un secteur très important. C’est aussi un secteur comme l’aéronautique, le luxe. Des familles de secteurs sur lesquels la France a des atouts mondiaux ou qui font partie de ces produits, de ces services qui devront être davantage fabriqués demain.

Sur quels sujets les investisseurs étrangers sont-ils critiques ?

Ils nous critiquent encore sur un coût de la France qui est trop élevé pour eux. Et c’est vrai, la pression fiscale en France est encore élevée, même si on a fait des efforts depuis quelques années. Le coût du travail, notamment, est un point qui, pour les industriels, est un point pénalisant, qui limite d’ailleurs la création d’emplois en France. Parce qu’on fait un petit peu attention à ce qu’on fait quand il s’agit de recruter un peu trop de monde. C’est assez coûteux de le faire en France, on sait qu’on a des compétences de très bonne qualité, mais néanmoins, on fait attention. Il y a un deuxième sujet qui les a beaucoup préoccupés dans notre baromètre, c’est le coût de l’énergie.

C’est étonnant, parce que l’énergie est revenue à un niveau à peu près acceptable en ce début d’année 2024, quand on a interrogé notre panel. Mais ils se souviennent finalement de deux années très difficiles, avec une explosion des coûts, des risques ou des menaces de rupture d’approvisionnement. Vous vous souvenez de ces étés 2022 et 2023, on disait, on n’aura peut-être pas d’électricité demain. Donc, ils se souviennent de ça et ça laisse une forme d’impression qu’il est difficile d’effacer. La France était un peu le pays béni de l’énergie, avec beaucoup de nucléaire, une énergie très décarbonée. Ça, les entreprises le souhaitent, mais peut-être qu’on a un peu vacillé sur ces certitudes. Et donc aujourd’hui, les entreprises sont un peu préoccupées.

Quel est notre concurrent le plus féroce ?

C’est le Royaume-Uni, ça a toujours été le Royaume-Uni, c’est vraiment notre Ligue des champions. C’est vraiment le match qui n’est pas seulement un match entre Paris et Londres, qui sont les deux villes monde européennes, où il y a aussi un face-à-face très important. Mais c’est le pays qui, pendant très longtemps, a réussi à attirer énormément d’investissements industriels. Beaucoup moins maintenant, la moitié en moins cette année qu’il y a cinq ans.

« Le Brexit est passé par là. Ça n’a plus de sens aujourd’hui de faire de l’industrie au Royaume-Uni pour exporter en Europe, par exemple. »

Marc Lhermitte

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Mais c’est toujours un concurrent formidable, très fort, très déterminé à conserver les joyaux de la couronne. L’industrie financière, qui est quand même très forte, c’est plus d’un million d’emplois au Royaume-Uni. Toute l’industrie de la technologie, les entreprises américaines et aussi indiennes qui viennent dans cet endroit avec lequel ils sont familiers, ils ont plus d’habitudes de travail. Elles apprécient aussi une fiscalité peut-être un peu plus avantageuse que la nôtre. Et puis les sièges sociaux de tous les secteurs. Donc ça, ce sont les prochains défis de la France.

Et pour l’avenir, que vous disent ils, ces investisseurs étrangers ?

Ils ont confiance. C’est étonnant, parce qu’on se dit que dans les difficultés du quotidien, les questions financières qui sont réelles et que les entreprises regardent les questions budgétaires de la France, elles le voient et elles peuvent s’en inquiéter, pas à court terme, mais se disent là ça va poser des questions à moyen terme. Ce que la France doit faire, c’est peut-être davantage promettre ou s’engager sur la deuxième partie de cette transformation. Il y a une première partie qui a été faite, qui a redonné de la confiance. Les trois quarts des dirigeants qu’on interroge nous disent : Moi, je pense que l’attractivité, la France peut s’améliorer à trois ans. On se demande vraiment comment ils nous voient, alors que nous vivons au quotidien beaucoup de choses. Mais ce sont les entreprises qui nous voient, notamment de l’extérieur par rapport à nos concurrents. Il faut comprendre que de l’extérieur, on séduit. La France est plutôt stable alors que l’Allemagne a un problème politique, il y a le Brexit au Royaume-Uni, la guerre aux portes de l’Europe. Donc tout cela est inquiétant et la France est finalement relativement stable. Nos problèmes sont un petit peu moins pénibles que ceux de nos concurrents et ça, les entreprises le voient.


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