- Author, Didier Lando et Rachida Houssou
- Role, BBC Afrique
- Reporting from Cotonou et Dakar
Le Bénin est actuellement confronté à une flambée du prix des denrées de première nécessité. Le coût de certains produits a quasiment doublé en l’espace de quelques semaines.
Le front luisant de sueur, Baraka Moumouni, rencontrée dans un marché de la capitale Cotonou confie : « l’huile d’arachide est actuellement à 23 000 Fcfa le bidon de 25L et le litre à 1000 Fcfa. Deux mois avant le litre était à 800 Fcfa et le bidon de 25 litres se cédait à 20 000 Fcfa ».
Des consommateurs ont récemment organisé une marche pour dénoncer la vie chère. Elle a été étouffée.
Adapter ses habitudes de consommation
Le maïs, l’un des aliments de base du pays est aussi concerné par cette hausse du prix de vente.
Au marché Adjaha de Fidjrossè, un quatre quartier de Cotonou la capitale, le kilo de maïs est passé de 250 à 400 francs, voire 450Fcfa en un mois, renseigne Julienne qui vend un sachet à moitié rempli à Agnès, une cliente.
Celle-ci explique avoir âprement marchandé dans l’espoir d’acheter le klio de maïs en dessous de 400 francs CFA. Mais impossible. Elle s’est donc résignée à acheter moins d’un kilos.
« Je pense qu’on va devoir manger moins de pâte de maïs dans la semaine », projette cette mère de famille.
Dans le marché de Cococodji, un quartier de l’arrondissement de Godomey dans la commune d’Abomey-Calavi localisée dans le département de l’Atlantique au Sud du Bénin, Dame Barakatou venait d’acheter un sac de maïs destiné à la consommation de la grande famille. Nous la trouvons en pleine négociation avec le conducteur de pousse-pousse pour le transport de son sac de maïs.
Très préoccupée par la hausse des prix, elle confie : « Je viens de débourser 45.000 Fcfa pour acheter le sac de maïs de 100kg. Il y a 2 mois, le même sac se vendait à 25.000 Fcfa. Il en est de même pour le gari qui est passé de 200f à 400f et le haricot qui varie de 850 à 1000f le kg, selon la qualité. Cette hausse inattendue bouleverse mes prévisions budgétaires et m’oblige à rationner sur d’autres dépenses ».
Avec une production annuelle avoisinant 2 millions de tonnes, le maïs est la principale culture vivrière du pays. Il occupe une place de choix dans l’alimentation de la population et participe à la sécurité alimentaire des habitants.
Selon Elocio, l’ONG de l’université de Liège, les beninois consomment en moyenne 246g de maïs par personne et par jour.
Début d’après-midi, le marché grouille de monde. Les étalages de marchandises, parfois à même le sol, empiètent sur le passage. Les toits en tôle des hangars reflètent les rayons du soleil au zénith. De la forte odeur du poisson frais ou séché à celui beaucoup plus agréable des beignets à base de farine de haricot, l’air ambiant est chargé d’une multitude de senteurs qui varient au fur et à mesure que l’on progresse dans le marché.
Les cris des vendeurs hélant les passants et vantant la qualité de leurs produits, se mêlent au vacarme du vrombissement du moteur d’un moulin à tomate installé en plein cœur du marché.
Vêtu d’une robe de couleur bleu ciel, la tête ceinte d’un foulard de couleur beige , un sac à main accroché à son bras gauche et le téléphone dans la main droite, Barakatou presse le pas derrière le « kèkèvinon. » C’est le nom du conducteur de pousse-pousse en Fon, une langue parlée au Bénin.
Ce dernier essaie de se frayer un passage dans les allées encombrées du marché. Dans le pousse-pousse, il y a le sac de maïs que Barakatou vient d’acheter, un bidon de 25 litres d’huile d’arachide, un sac de légumes frais et d’autres produits.
« Je suis chargée de faire les provisions pour toute la famille. J’achète donc les produits en grande quantité afin de m’assurer de tenir au moins sur tout le mois. Mais depuis quelques semaines, pour le même budget, j’ai à peine la moitié de mes provisions habituelles. Je suis donc dans des calculs et des réajustements permanents », conclut-elle en refermant la porte du taxi qui la ramène chez elle.
Au marché de Gbégamey à Cotonou, les étalages sont toujours aussi achalandés. La quantité de certains produits a considérablement diminué. C’est le cas du piment. Avec une pièce de 100 Fcfa, les consommateurs n’ont droit qu’à six petits piments verts alors qu’il y a moins d’un mois, la même quantité était cédée à moitié prix.
Cette flambée des prix des produits de première nécessité fait grincer des dents et ne laisse pas indifférents les syndicats.
« Des mesures concrètes pour protéger le pouvoir d’achat »
Face à cette flambée du prix des denrées de première nécessité et de son impact sur les travailleurs, les confédérations et centrales syndicales ont décidé d’organiser le samedi 27 avril 2024 une marche contre la faim.
« Nous avons décidé de cette marche pacifique pour dire au gouvernement que nous avons besoin de mesures concrètes pour protéger le pouvoir d’achat du citoyen et du travailleur afin de garantir à tous une vie décente», explique Le Secrétaire Général de la CSA BÉNIN Anselme Amoussou.
Ce dernier ajoute que l’autre objectif de la marche est d’appeler à un véritable dialogue social pour se pencher sur les questions qui se posent au travailleur aujourd’hui. « Aujourd’hui, nous sommes dans une impasse. Les creusets de dialogue social qui sont créés ne fonctionnent pas. Toutes nos demandes adressées à l’autorité pour réunir les commissions de négociation sont restés sans suite », indique-t-il.
Mais la marche des syndicalistes n’a pas pu se tenir. La manifestation a été dispersée par les forces de l’ordre qui ont bloqué tous les accès à la Bourse du travail, point de départ prévu de l’événement.
La Police a procédé à l’interpellation de plusieurs manifestants dont Anselme Amoussou, le Secrétaire général de la Centrale des Syndicats Autonomes du Bénin (CSA-Bénin), et Moudassirou Bachabi, Secrétaire général de la Confédération générale des travailleurs du Bénin, CGT Bénin. Ces derniers n’ont été relâchés que plus tard dans la soirée.
La classe politique s’indigne
Les syndicalistes qui ont boycotté la traditionnelle cérémonie de remise des cahiers de doléance à l’autorité, ont essayé d’organiser une autre manifestation le 1er mai, jour de la fête du travail. Cette manifestation a également été réprimée et 72 personnes ont été interpellées.
Depuis, un grand nombre a été relâché, mais 21 personnes ont été placées sous mandat de dépôt pour détention et consommation de chanvre indien.
Selon les autorités, des tests de leur urines ont révélé qu’ils étaient sous l’influence de substances illicites.
A travers un communiqué rendu publique le 7 mai 2024, le Parti Communiste du Bénin (PCB) a dénoncé la poursuite des manifestants, exigé la libération de toutes les personnes arrêtées en marge de la commémoration du 1er mai. Le parti a également réaffirmé son soutien aux organisations syndicales.
Le parti Force Cauri pour un Bénin Emergent a profité de sa première session ordinaire de l’année 2024 pour dénoncer l’arrestation des manifestants et des responsables syndicaux et exigé leur libération sans condition. Il a également invité le gouvernement à prendre des mesures concrètes pour alléger le fardeau des familles.
Le parti d’opposition qui a appelé à une action urgente pour garantir la sécurité alimentaire des Béninois a, entre autres, proposé au gouvernement une hausse du salaire minimum garanti et la réouverture de l’Office national d’appui à la sécurité alimentaire (ONASA).
« Les commerçants stockent les produits en attendant que les prix grimpent davantage » Gaston Dossouhoui, ministre de l’agriculture
Quand on se réfère aux chiffres de la campagne agricole écoulée, le Bénin ne devrait pas être confronté à une pénurie encore moins à une inflation du prix du maïs. En effet, le besoin national du pays en consommation du maïs s’établit autour de 1.000.000 de tonnes. Alors que rien que pour cette année, la production a été évaluée à 2.050.000 tonnes. Ce qui devrait largement couvrir la demande nationale.
Le ministre de l’agriculture, Gaston Dossouhoui a essayé d’apporter des explications à la situation. Lors d’un point de presse organisé pour la circonstance, le ministre a énuméré les raisons qui, selon lui, justifient la hausse du prix de cette céréale.
« A la faveur des décisions prises pour interdire les importations de produits carnés à base de volailles, les éleveurs ont commencé par faire beaucoup de réserves stratégiques pour alimenter les batteries de poulets. Les commerçants ayant senti cette situation favorable font de la spéculation. Ils captent beaucoup et ils stockent en attendant que les prix grimpent davantage », a fait savoir le ministre.
Il ajoute que « la consommation du maïs au niveau du Sahel est très importante. À cet effet, la position du Bénin qui se situe sur un corridor assez sécurisé, favorise le recours des pays du Sahel aux marchés béninois pour s’approvisionner. Le Nigéria avec sa production massive de volailles ne peut se passer du maïs béninois. Quand on voit ces pressions de part et d’autre, il se pose un problème de l’offre et de la demande ».
Le ministre n’a pas fait état d’action immédiate pour soulager les populations. Il a cependant évoqué la politique adoptée pour le moyen terme. « Nous avons travaillé à rendre des semences hybrides disponibles , ce sont des semences à rendement plus élevé », détaille le ministre Gaston Dossouhoui.
« Le gouvernement a décidé, poursuit-il d’un soutien au producteur sur les prix des engrais. Le MPK toutes formules confondues à 23. 500 francs ou 24. 000 francs le sac de 50 kilos sera cédé à 17.000 francs ».
Le gouvernement interdit l’exportation des produits vivriers
Lors du conseil des ministres de ce mercredi 8 mai 2024, le gouvernement a décidé d’interdire pour le moment l’exportation des produits vivriers hors du territoire national. A en croire le communiqué du conseil des ministres, « de nombreux producteurs et commerçants sont portés à satisfaire les demandes en produits vivriers venant de pays étrangers au détriment du marché national. S’il est vrai que dans un contexte de libéralisme économique c’est l’offre et la demande sur les marchés qui déterminent les prix et que la libre circulation des biens est admise dans notre espace communautaire, il n’en demeure pas moins que le phénomène prend une ampleur telle que le consommateur béninois en subit les conséquences ».
« Dans le but d’assurer la disponibilité des produits à un coût raisonnable pour nos compatriotes, le Conseil, après avoir évalué et apprécié la situation, a décidé d’interdire temporairement et ce jusqu’à nouvel ordre, toute exportation de céréales (maïs, riz, mil, sorgho, niébé, etc.), de même que des tubercules et leurs dérivés, (farines dont le gari, etc.) », précise le communiqué.
Les ministres concernés sont instruits de veiller à l’application stricte et sans complaisance de cette mesure.
Des associations de consommateurs à la rescousse des populations
Pour soulager les populations face à l’envolée des prix des denrées de première nécessité, ‘’la voix des consommateurs’’, une association à but non lucratif qui vise à défendre et protéger les droits et intérêts socio-économiques des consommateurs béninois, a initié le projet « Conso solidarité » dont un des volets est la coopérative des consommateurs solidaires.
L’une des initiatives de ce projet, ce sont les épiceries sociales qui proposent au consommateur les produits à un prix inférieur à celui du marché.
« Actuellement le maïs est vendu dans nos épiceries à 325 francs le kilo, tandis que c’est à 450 francs, 500 francs par endroit », informe Robbin Accrombessi, président de l’association. « Nous nous approvisionnons directement près des producteurs. Ce qui nous permet d’optimiser les coût lié à la chaine d’approvisionnement. Et donc de permettre au consommateur final d’avoir le produit à un coût raisonnable », précise Mari Iris Hounga, Secrétaire général de l’association.
Le hic, avec cette initiative, est qu’il n’y a pas assez d’épiceries du genre. On n’en compte que deux : une à Cotonou et la deuxième à la périphérie de Cotonou dans l’arrondissement de Glo djigbé.
Pour rappel, il y a quelques années, le gouvernement béninois a supprimé l’Office national d’appui à la sécurité alimentaire (ONASA). Une structure de l’Etat qui avait pour rôle de constituer des stocks tampons pour satisfaire la demande sur le marché en temps de soudure.
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