La question de l’émigration vient de rebondir avec le succès médiatique du livre La France, tu l’aimes mais tu la quittes. Enquête sur la diaspora française musulmane aux Éditions du Seuil. Ce livre, un peu tendancieux à mon avis, dit que des dizaines de milliers de Français de confession musulmane très diplômés se sont expatriés du fait de l’islamophobie française.
À mon avis, cette islamophobie touchant des médecins, des journalistes, des chefs d’entreprise me paraît largement imaginaire, et dans la ligne politique de l’auteur qui ne s’appuie que sur une centaine de cas. Je pense plutôt qu’ils ne font que participer au mouvement général d’émigration qui vide la France par le haut. Ce sont en effet les plus diplômés qui partent, du fait de leurs connaissances générales et professionnelles, et de leur capacité à parler plusieurs langues.
Ce mouvement est très sous-évalué, sans doute parce qu’il n’est pas aussi vendeur que celui l’immigration et, surtout, parce qu’il n’est pas mesurable. Bref, la France se vide !
Pourquoi sonner l’alarme ?
Je suis démographe, je sais que les Français émigrent massivement. Je suis un ancien dirigeant d’une entreprise internationale, je comprends pourquoi ils le font. Je suis un économiste libéral, je comprends encore mieux ce qui les pousse hors de France. Mais, en dehors de quelques journaux économiques, personne n’y croit, et les propos que je tiens sur ce sujet paraissent excessifs. Qu’en est-il et pourquoi ?
On ne connait pas le nombre de ces départs à long terme, parce que l’on ne recense pas les raisons des sorties du territoire (tourisme, voyage de travail… ). Et souvent l’intéressé lui-même ne sait pas s’il part pour quelques mois ou pour toujours. Les chiffres officiels ne donnent donc pas les chiffres de l’émigration, mais on peut les déduire du solde migratoire (théoriquement immigration moins émigration) : 183 000 personnes pour 2023. L’immigration étant officiellement de 320 000 personnes, l’émigration serait donc cette année-là d’environ 140 000 personnes. Ces chiffres ne sont que vaguement indicatifs, car le solde migratoire découle de l’estimation de la population totale au 31 décembre, laquelle n’est connue (ou plutôt estimée) qu’à quelques centaines de milliers près. À mon avis, l’immigration comme l’émigration sont sous-estimés.
C’est donc un phénomène massif. Or, il semble qu’elle s’est accélérée depuis pour les raisons que nous allons voir. Est-ce grave ? Tout dépend qui part, et par qui il est remplacé : si nous perdions trois bons informaticiens, mais que trois génies de la Silicon Valley venaient s’installer en France, il n’y aurait pas de problème. Mais les causes de départ dont nous allons parler maintenant vont nous montrer que, justement, ce qui fait partir les uns fait que les autres ne viennent pas.
En cause : un sentiment anti-entreprise
Ces causes de départ et de « non-arrivée » sont à la fois psychologiques et fiscales, les deux étant bien sûr intimement liées.
Les raisons psychologiques peuvent être résumées par le terme « sentiment anti-entreprise », et sont aggravées par un sentiment d’insécurité et d’incohérence. Cette hostilité a dans un premier temps facilité la surtaxation des entreprises et des entrepreneurs, et freine actuellement la correction de cette erreur. Les efforts du président Macron dans ce domaine sont très décriés. Par exemple, le remplacement de l’impôt sur la fortune (ISF) par l’impôt sur la fortune immobilière (taxation non plus de la fortune en général, mais seulement de sa partie immobilière) lui a valu le surnom de « président des riches » électoralement très dommageable. Et le niveau actuel du déficit pousse au contraire à une accentuation de la taxation. La presse de gauche est unanime : « Ne diminuez pas les dépenses sociales, mais taxez les riches et les superprofits ! »
À mon avis d’ancien responsable d’une entreprise internationale, le plus grave ce sont les incohérences, car elles brouillent les messages. Ainsi, François Hollande attaquait « la finance », tout en demandant aux financiers de lui prêter à bas prix pour financer son déficit. Le plus maladroit a été son idée de faire payer aux entreprises une pénalité de 75 % des salaires annuels supérieur à un million. Ce fut efficace et permit son élection, illustrant une fois de plus le sentiment « anti-riches » des Français !
Cette taxe, contre-productive, a été discrètement annulée deux années plus tard. En effet, on s’aperçut qu’elle avait conduit les entreprises, bien obligées d’embaucher au prix du marché, à implanter une partie de leur état-major à l’étranger. Certains venaient de France et y rentraient chaque week-end. Ils payaient leurs impôts à l’étranger, tandis que leurs familles bénéficiaient des avantages scolaires et sociaux français !
Les grandes banques françaises ont délocalisé vers l’Inde des activités haut de gamme comme l’informatique ou le back office, et autorisé leurs filiales, notamment à Londres, à recruter localement. Total a installé dans cette ville son service de trésorerie, et la bourse de Paris ses gros ordinateurs. Heureusement, le Brexit a créé un léger mouvement de sens inverse. Le directeur général de Sanofi et son comité exécutif sont à Boston (Le Monde du 4 juin, qui titre « L’exode des états-majors du CAC 40 »). Il y a des centaines d’entreprises françaises à Singapour, ce qui est excellent… tant que ce n’est pas au détriment de Paris.
Et le mouvement s’étend aux sièges sociaux dans leur ensemble : Lafarge ira à Zurich après s’être réfugié dans les bras de son collègue suisse Holcim, Rhodia ira en Belgique chez Solvay. Ce sont autant d’emplois de moins en France qui pèsent sur les recettes fiscales, tant directement qu’indirectement, du fait de la consommation qui disparaît.
Pourquoi rester en France si on y paye plus d’impôts, qu’il est plus difficile d’y gérer son personnel et qu’en plus, comme Total, on se fait insulter ? Il ne faut pas s’étonner après de voir Total menacer de quitter Euronext Paris pour la Bourse de New York !
Un jeune sur deux souhaite partir
Donc on « vote avec ses pieds » en émigrant.
Ca ne date pas d’hier ! Dès 2013, André Bercoff et Déborah Kulbach publiaient chez Michalon Je suis venu te dire que je m’en vais ; Julien Gonzalez publiait chez Fondapol « Trop d’émigrés ? Regard sur ceux qui partent de France », où était notamment repris un sondage selon lequel 51 % des 25-35 ans quitteraient la France s’ils le pouvaient.
Or, le monde entier recherche non seulement les plus qualifiés, mais aussi tous ceux « qui en veulent ». Quand je demande des nouvelles de leurs enfants à mes amis, ils me disent qu’ils sont au bout du monde. Un des miens aussi !
La percée de Londres
Londres a longtemps été la grande gagnante de ces maladresses, à la suite des actions vigoureuses de Margaret Thatcher qui a tranché dans les politiques sociales au bénéfice des riches, étrangers surtout… ce qui fait qu’elle est détestée encore aujourd’hui par la presse de gauche.
À ces raisons financières s’est ajoutée la considération dont bénéficient les entrepreneurs et les entreprises, et par la liberté du marché de l’emploi. « Nation de boutiquiers » disait Napoléon, sans voir que c’était justement sa force. Margaret Thatcher se vantait d’être fille d’épicier !
Aujourd’hui, les difficultés de Londres dues au Brexit, n’empêchent pas que la ville reste très attractive (la meilleure du monde où il fait bon vivre juste devant Paris) : si une grande partie des 600 000 Polonais sont retournés dans leur pays, à la suite du Brexit, mais surtout à celle du développement rapide de leur pays, ils ont été remplacés par un million d’Indo-Pakistanais.
Un phénomène très grave
En résumé, l’émigration française est un phénomène très grave, en nombre comme en qualité, puisqu’il s’agit soit d’employeurs actuels ou potentiels, soit de futurs employés qui auraient dépensé et cotisé.
On ne peut s’empêcher de penser à l’exode des huguenots, poussés à quitter la France par Louis XIV. C’était pour des raisons religieuses dira-t-on, mais à l’époque le religieux était idéologique. L’État était catholique, les catholiques étaient traditionalistes, et leur élite rentière, alors que les protestants étaient entrepreneurs ou artisans qualifiés.
Le résultat a été une catastrophe pour la France, et une bénédiction surtout pour la Prusse, mais aussi pour l’Angleterre, les États-Unis et même l’Afrique du Sud.
L’aveuglement sur le rôle de l’impôt
Tout cela est évident pour la presse économique, mais pas pour les responsables publics – exception faite du président, qui a beaucoup de mal à se faire comprendre dans ce domaine – ni pour la majorité de l’opinion.
La plupart de nos décideurs, de leurs inspirateurs et de leurs exécutants, y compris à des niveaux modestes, ont des postes stables et des revenus fixes. En cas de problème, on recase les « grands » à la tête de tel organisme, ou à Bruxelles. Au pire, ils retournent dans leur corps d’origine, tandis que les plus modestes sont inamovibles. Cela se répercute sur leur vision du monde. Par exemple, ayant des revenus fixes et assurés, il leur paraît évident qu’augmenter la pression fiscale augmente les recettes de l’État. Ils s’étonnent que ça ne marche pas, et déclenchent l’exode de nos forces vives !
Le trop d’impôt néfaste pour la compétitivité et l’emploi
Ils ne réalisent pas qu’en dehors de leur milieu, les revenus sont variables et les emplois non garantis, et qu’augmenter l’impôt aura des conséquences qui vont en réduire l’assiette.
Celle-ci va en effet se réduire du fait de l’émigration des entrepreneurs, mais aussi de l’assèchement des investissements de compétitivité (faute d’argent), et donc de création d’emplois. Sans parler d’autres ajustements, notamment le retour au travail au noir dans le bâtiment et les services à la personne.
Un manque de culture économique
Au-delà de cet exemple fiscal, il y a l’ignorance des réactions et contreparties à toute décision économique. Et cette ignorance est parfois cultivée : un de mes interlocuteurs se félicitait récemment qu’un avocat d’affaires ne pourrait devenir ministre, pensant probablement à d’éventuels conflits d’intérêts. Alors que l’évidence, à mon avis, est que la nomination d’un familier des entreprises aurait évité bien des maladresses psychologiques et fiscales, et donc sauvé énormément d’emplois.
Il existe tout un écosystème idéologique, en France plus qu’ailleurs, qui ignore les mécanismes basiques de l’économie que sont la table de soustraction et la contrepartie :
- Si on produit moins que ce que l’on consomme, on s’endette, et l’expérience grecque hier, et argentine aujourd’hui, en montre les limites.
- Si on augmente les coûts et complique la réglementation de la construction, de la location ou du travail, on voit disparaître les logements neufs, les logements à louer et les emplois.
Cet écosystème a ses clubs, ses publications, ses enseignants, ses militants ; tous se documentent les uns chez les autres. Il s’agit souvent d’idéalistes pleins de bonnes intentions – et de quelques cyniques jouant la comédie pour être élus -, qui pensent que l’Histoire est injuste, et donc en nient les leçons.
Mais le problème est que ce groupe anti-riches est au pouvoir en France, ce qui est une exception dans les pays développés, où l’on nous regarde avec commisération, comme je le constate souvent lors de mes activités à l’étranger.
Le Monde vient de publier un article louangeur sur un livre expliquant que « le marché » n’était qu’un dogme religieux. Ce qui montre une ignorance totale de l’histoire et de la géographie économique !
Espérons que leur échec amènera nos décideurs à se renseigner : quelques visites à des experts-comptables leur montreraient la ruine de nos PME, nos principaux créateurs d’emplois, de façon plus parlante que les rapports de l’INSEE qui les ignorent largement !
PME ruinées, grandes entreprises se redéployant à l’étranger, entrepreneurs allant créer ailleurs, étudiants qualifiés et chômeurs dynamiques allant travailler aux quatre coins du monde : la France se vide.
Si nos gouvernants continuent ainsi, il ne restera à terme que des services publics tournant à vide… ou pour de nouveaux arrivants. Ils auront ainsi facilité le grand remplacement.
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