au procès du massacre du 28 septembre 2009, Moussa Dadis Camara confronté à ses lieutenants

Vingt mois après l’ouverture de la plus grande audience criminelle de son histoire, la justice guinéenne s’apprête à entamer la phase finale du procès des auteurs présumés du massacre du 28 septembre 2009. Lundi 13 mai, devant le tribunal de première instance de Dixinn, à Conakry, doit s’ouvrir la séquence des plaidoiries des avocats des parties civiles, suivie des réquisitions du ministère public, avant que les conseils de la défense interviennent une dernière fois.

Retransmis en direct sur les médias d’Etat et les réseaux sociaux, le procès, ouvert symboliquement le 28 septembre 2022 – treize ans après les faits et au terme de sept années de procédure –, pourrait porter l’ambition de réaliser une catharsis nationale et même servir de garde-fou aux soldatesques qui jalonnent encore la vie politique en Guinée.

Il s’agit dans l’immédiat de déterminer les responsabilités parmi les onze accusés, dont un ancien chef d’Etat, le capitaine Moussa Dadis Camara – qui s’empara du pouvoir après la mort du président Lansana Conté, en 2008 –, et des cadres de la junte au pouvoir entre 2008 et 2010. Tous sont accusés de meurtres, de violences sexuelles, d’actes de torture et d’enlèvements. Ils encourent la prison à vie.

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Ce 28 septembre 2009 et les jours qui suivirent, au moins 157 personnes ont été tuées par balle ou à l’arme blanche par les nervis du Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD), selon le rapport d’une commission d’enquête de l’ONU. Le théâtre principal des crimes fut le stade de Conakry, où avaient prévu de se retrouver les principaux responsables de l’opposition et leurs militants afin d’y dénoncer la volonté du fantasque « Dadis » de se présenter à la future élection. En lieu et place du rassemblement, ce fut un carnage. Au moins 109 femmes violées, certaines séquestrées durant plusieurs jours. Des dizaines de disparus.

Une balle dans la tête

Depuis l’ouverture des audiences, aucun inculpé n’a reconnu les crimes imputés, préférant rejeter la faute sur d’anciens camarades. Les accusations se sont cependant resserrées autour d’un quatuor : l’ancien chef de la junte, Moussa Dadis Camara ; son aide de camp, Aboubacar Sidiki Diakité dit « Toumba » ; Marcel Guilavogui, neveu et ancien membre de la garde rapprochée de Dadis Camara ; et le gendarme Moussa Tiégboro Camara, ex-secrétaire d’Etat chargé des services spéciaux, de la lutte antidrogue et du grand banditisme.

« Qui commandait le régiment ? », a interrogé, le 15 avril, le juge Ibrahima Sory II Tounkara, en référence aux éléments du camp de Kaléah accusés d’avoir été des acteurs du massacre. Moussa Dadis Camara, autrefois plus prolixe, répond posément : « C’est Toumba. » Il désigne également son ancien aide de camp comme le chef de la garde présidentielle – les bérets rouges –, également incriminée dans la tuerie. « Il faisait toute la planification [et gérait] le personnel, c’est lui qui coordonnait », a-t-il accusé, justifiant ce cumul des fonctions par « la confiance » qu’il avait placée en lui, « suffisante pour lui donner les pleins pouvoirs ».

Entre les deux hommes, l’amitié s’est arrêtée net en novembre 2009, lorsque « Toumba » a tiré une balle dans la tête de son supérieur, qui venait de l’incriminer devant les enquêteurs de la Cour pénale internationale (CPI). Depuis, la justice guinéenne a repris la main sur le procès.

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Si, du temps où il était au pouvoir, le « capitaine-président » était connu pour ses shows colériques et imprévisibles, à la barre c’est « Toumba » qui tient la vedette depuis le début des audiences, jouant de son humour et de sa repartie. « On m’a nommé aide de camp, c’est-à-dire confident et conseiller direct du président. Mon autorité était circonscrite au salon. Le président choisissait ses hommes de façon discrétionnaire. S’il a nommé des gens à des postes dont il ignorait les attributions, il ne doit en vouloir qu’à lui-même », a-t-il tenté d’expliquer.

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Pour sa défense, « Toumba », qui fut à la fois l’un des officiers présents dans le stade et le protecteur de leaders de l’opposition brutalisés, a aussi reçu le soutien inattendu de Marcel Guilavogui. Après avoir un temps défendu son oncle, celui-ci a finalement rejeté la faute sur le capitaine Dadis Camara.

Evasion spectaculaire

Fatoumata Barry, une militante de l’opposition, a été de celles qui, par leur récit, ont éclairé les juges et le public sur la brutalité à l’œuvre le 28 septembre 2009 et les séquelles qui demeurent. Se ménageant des temps de silence, elle a raconté à visage découvert, en mars 2023, l’ambiance festive au départ, lorsqu’elle et sa cousine arrivent au stade, puis la répression qui commence, la peur qui l’envahit quand les militaires referment les portes de l’enceinte, les injures, les coups et enfin le viol collectif qui la laissera gravement blessée. « Monsieur le président, ça fait treize ans que je vois ces images quand je me couche », a-t-elle expliqué à l’audience.

Contactée par Le Monde, elle raconte avoir « tout perdu » depuis ce jour : « Ma famille m’a abandonnée. C’est pour cela qu’il fallait que je parle, qu’on me voie. Les viols continuent en Guinée. Si on se cache pour les dénoncer, qui nous croira ? » Les autres survivantes qui ont témoigné au procès l’ont fait à huis clos.

Comme d’autres victimes qui se sont portées partie civile, Fatoumata Barry craint pour sa sécurité. Réfugiée au Sénégal, cette déléguée médicale n’est revenue en Guinée qu’à l’occasion du procès. L’évasion spectaculaire, le 4 novembre 2023, de quatre accusés – dont celle, très brève, de Moussa Dadis Camara – a ravivé la peur des représailles. L’un des inculpés, Claude Pivi, ex-ministre de la sécurité présidentielle, demeure depuis introuvable.

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Pour les associations de défense des victimes du 28 septembre, la protection des témoins reste plus que jamais une urgence. Bien que le régime militaire du général Mamadi Doumbouya ait accéléré la tenue du procès et le vote d’une loi allant dans ce sens, celle-ci n’a toujours pas été promulguée. « Si les accusés sont condamnés ou s’ils s’en sortent, qui va assurer notre sécurité ? », s’inquiète Fatoumata Barry.

Pour les avocats des parties civiles, une dernière bataille s’ouvre. Celle de la requalification des faits en crimes contre l’humanité. Cette caractérisation permettrait de déclarer le supérieur hiérarchique responsable des crimes commis par les hommes qui sont sous son autorité. Le tribunal statuera sur ce point au moment du verdict, qui n’est pas attendu avant plusieurs mois.

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