Sana Na N’Hada, est né en 1950. Il s’est fait embarquer dans cette guerre à l’adolescence. Fuyant une attaque de son village, Enxalé, il se retrouve dans le camp des maquisards. Il est alors enrôlé comme enseignant (car il sait lire et écrire), puis comme infirmier avant d’être envoyé à Cuba. Avec quatre autres apprentis, il doit se former au cinéma et revenir pour documenter cette guerre de libération. Les images que les cinq amis et amies ont filmées pendant cette révolution prometteuse sont devenues les seules archives vues de l’intérieur, du point de vue de Bissau-Guinéens. L’assassinat de Cabral en 1973, puis le premier coup d’Etat de 1980, mirent un terme à cet incroyable élan idéologique et par conséquent à cette politique de réappropriation culturelle. «A l’époque, nous étions un état connu dans le monde entier. Cabral a inspiré des gens comme Nelson Mandela. Aujourd’hui, on ne sait même pas où placer la Guinée-Bissau sur une carte du monde», soupire Sana Na N’Hada avant de poursuivre: «Nous sommes un pays de 2 millions d’habitants dirigé par des analphabètes dans lequel on recense 54 partis politiques légalisés!»
Lui qui ne savait pas ce qu’était un film avant de partir à Cuba est toujours resté fidèle à la mission que Cabral lui avait confiée: documenter en images l’histoire de son pays en perpétuel devenir. Envers et contre tout. En 1977, il crée avec ses quatre collègues l’Institut national du cinéma et de l’audiovisuel (INCA) qui ne sera jamais financé par les autorités et dont les archives furent même délibérément détruites en 1998. Quarante pour cent de celles-ci furent néanmoins sauvées et certaines digitalisées.
Un film sur la condition humaine
Quelques-unes de ses images si chèrement sauvegardées se retrouvent dans Nome, une fiction qui cherche à «comprendre à quoi ont servi tous ces morts, tous ces sacrifices». Nome, qui signifie homonyme, est aussi le nom du personnage dont on suit la trajectoire, un antihéros lâche, qui devient mafieux au sortir de la guerre. Sur son chemin, d’autres personnages, plus sympathiques, illuminent l’écran.
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Ainsi Nambu, une jeune femme que Nome met enceinte avant de l’abandonner, Raci un adolescent qui veut encore croire aux traditions ou Quiti, l’infatigable infirmière, dont tout le monde est un peu amoureux et enfin, l’esprit, invisible des protagonistes mais pas des spectateurs… Plusieurs de ces figures renvoient à un moment de la vie de Sana Na N’Hada. A travers son art, le réalisateur exorcise ainsi certains de ses souvenirs, qui le hantent encore aujourd’hui. Des images sublimes dans un décor de carte postale, mais dans laquelle la mort peut apparaître à tout moment, ici dans le reflet d’un miroir, là dans un soleil couchant sur le port de la ville de Bissau. Nome n’est pas un film de guerre, mais un film sur la guerre: il interroge la condition humaine, ses aspirations, ses croyances, sa vacuité.
Cette œuvre précieuse est présentée en Suisse à l’initiative de la nouvelle équipe de programmation du cinéma Spoutnik, constituée de Nakita Lameiras Ah-kite, Maryam Esmaïl Zavieh et Karin Schlageter. Celles-ci cherchent à inscrire leur démarche dans le partage, l’échange et l’ouverture à tous les publics avec une ligne éditoriale axée autour des luttes décoloniales, de l’inclusivité et de l’intersectionnalité. Dans cet esprit, le film Nome a ainsi été spécialement sous-titré pour les sourds et malentendants. La projection du 23 mai sera également accompagnée d’un buffet en partenariat avec le restaurant Vroom dans le cadre des Journées nationales d’action pour les droits des personnes handicapées.
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«Nome», de Sana Na N’Hada (Guinée-Bissau, 2023, 1h 53. Avec Marcelino Antonio Ingira, Binete Undonque et Marta Dabo. A voir à Genève (Spoutnik, les 14, 23 et 29 mai et 7 juin) et Lausanne (Cinématographe, 13 mai).
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