La France, puissance industrielle retrouvée… ou pas : voilà le portrait économique que dressent les projets d’investissements dans l’Hexagone

Le président français Emmanuel Macron prononce un discours lors du septième Sommet « Choose France », qui vise à attirer les investisseurs étrangers dans le pays, au château de Versailles, le 13 mai 2024.

Atlantico : Le sommet Choose France s’est ouvert lundi à Versailles. Pour cette 7e édition, 15 milliards d’euros seront investis pour 56 projets. Quel est le bilan de ces investissements étrangers ? Où va l’argent et dans quels secteurs de l’économie ?

Don Diego De La Vega : Les enseignements positifs sont assez minces sur ces projets d’investissements étrangers. Il est important d’avoir le sens des proportions. L’économie française repose sur un PIB annuel de plus de deux mille milliards d’euros. Le PIB annuel repose sur mille cinq cents milliards d’euros de production annuelle. Le patrimoine se compte en trillions étant donné la valorisation de nos actifs, de notre immobilier. La dette publique atteint les trois mille milliards d’euros. Il y a également le poids des dettes privées. Le gouvernement vient donc d’annoncer 15 milliards d’investissements étrangers en France qui seront écoulés sur plusieurs années.

Derrière ces annonces, il y a toujours un effet d’exagération, notamment lié à la pression médiatique ou en lien avec des incitations fiscales. Il faudrait calculer ses investissements différemment, en net. Par rapport à l’ensemble de l’activité, notamment dans l’économie des services, tout cela est epsilonesque.

Ces investissements en France de la part de Microsoft ou d’Amazon, via un nouveau centre de recherche ou la création de centres logistiques, sont positifs mais cela ne va pas réellement faire bouger les lignes sur la politique économique et industrielle en France.

Le gain concret de cette stratégie est un gain d’exposition politique à quelques semaines d’une échéance électorale plus qu’un véritable gain pour l’économie française. Il ne faut pas se tromper de diagnostic. La France pourrait être à la meilleure place possible pour accueillir les investissements étrangers, cela ne changerait quasiment rien à l’économie française.

Christian Saint-Etienne : Parmi les promesses d’investissements étrangers qui ont été officialisées ce lundi et qui sont de l’ordre de 15 milliards d’euros, il y a plus de 6 milliards d’euros d’investissements dans l’intelligence artificielle. En réalité, cela concerne essentiellement des investissements dans des data centers. Ces investisseurs étrangers qui vont s’installer dans l’Hexagone le font car, comme l’a dit le ministre délégué chargé de l’industrie, Roland Lescure, l’électricité est décarbonée et peu chère en France. Sur les technologies de l’intelligence artificielle et pour le développement des nouveaux langages de l’IA, l’essentiel des investissements en Europe se fait en Angleterre. Pour la fabrication des microprocesseurs, notre pays est aussi devancé par l’Allemagne. Le gouvernement français n’a pas pris la mesure de l’importance stratégique de la fabrication des microprocesseurs. Les dirigeants allemands, ces deux dernières années, ont signé des engagements d’argent public colossaux pour aider à l’implantation en Allemagne de quatre usines géantes pour fabriquer des microprocesseurs. La France a investi dans un complexe industriel dans ce domaine à Crolles mais les écologistes locaux protestent contre ces usines car elles utiliseraient trop d’eau. La France est donc en troisième position dans la vague d’investissements en Europe sur les nouvelles technologies et loin derrière l’Allemagne. 

Parmi les annonces de Choose France cette année, Amazon va investir plus de 1,2 milliard d’euros, avec 3.000 emplois à la clé. Microsoft s’est engagée via un projet d’investissement de 4 milliards d’euros dans des projets de data centers. Microsoft a annoncé la formation de travailleurs français et un soutien à l’écosystème national des start up. Amazon a aussi annoncé la construction d’un data center pour sa filiale Cloud, AWS. Les autres investissements d’Amazon en France concernent des entrepôts pour les activités de commerce de l’entreprise. Cela ne concerne pas des unités de production. 

L’opérateur télécom japonais KDDI va miser 1 milliard d’euros pour développer son activité en France via la création de deux nouveaux datacenters, en Île-de-France et dans la région Sud.

Sur les 6 milliards d’investissement annoncés dans l’intelligence artificielle, les 4/5 concernent des data centers. Les entreprises concernées investissent en France car elles viennent chercher l’électricité à bas coût. Cela ne règle aucun des problèmes de l’économie française. Il y a très peu d’emplois associés à ces data centers. Cela va augmenter le déficit extérieur. Ces data centers sont construits avec des microprocesseurs produits à l’étranger. Il y a donc une dégradation de la balance commerciale qui en résulte. 

IBM annonce investir 45 millions d’euros dans la création d’un centre de recherche et de développement à Saclay. Les investisseurs viennent chercher les capacités de nos étudiants et des chercheurs en mathématiques pour ce projet. 

Pour les 5 milliards d’euros investis dans des projets de décarbonation, cela devient plus substantiel car cela va permettre de conserver un certain nombre d’usines sur notre territoire. La société canadienne Paper excellence veut concentrer 190 millions d’euros pour décarboner ses sites industriels français. La France est couverte à hauteur de 30 % de forêts mais est déficitaire en pâte à papier. La valeur ajoutée sur nos forêts est très faible puisque nos belles forêts de chênes sont exploitées par les Chinois qui envoient le bois en Chine pour en faire des parquets et ils reviennent en France. Du point de vue du bilan carbone, c’est une monstruosité. Donc donc. La décarbonation des sites existants est très importante car cela conforte et prolonge leur existence. 

Il y aussi 1 milliard d’euros d’investissement qui est annoncé dans les laboratoires pharmaceutiques. Cela doit conduire au développement de médicaments mais il faudra s’assurer qu’ils soient produits sur le territoire français. Si cela concerne uniquement de la recherche et du développement et si les médicaments sont produits aux États-Unis ou ailleurs en Europe, cela ne permettra pas d’influer sur la balance commerciale.

Le seul investissement significatif sur les 15 milliards d’euros et qui va contribuer de manière positive à la balance commerciale concerne le projet de l’industriel McCain qui va moderniser ses usines pour 350 millions d’euros. La France produit beaucoup de pommes de terre, mais nous ne les transformons pas en frites. Nous exportons les pommes de terre et nous importons les frites. En modernisant les usines et en augmentant ces productions à base de pommes de terre qui sont cultivées en France, cela peut contribuer de manière positive à l’emploi et à la balance commerciale. 

Le chiffre des 15 milliards apparaît impressionnant. En réalité, ces investissements vont être réalisés sur plusieurs années. Les investissements qui vont concerner essentiellement le domaine de l’intelligence aura un impact extrêmement faible sur la balance commerciale. 

Que révèlent ces promesses d’investissements sur l’idée que se font les investisseurs étrangers des atouts français comme de nos faiblesses ?

Christian Saint-Etienne : Les atouts de la France qui attirent les investisseurs étrangers sont l’électricité décarbonée à un coût abordable d’une part et ce qu’il reste d’excellence dans la formation des mathématiciens et des ingénieurs en France. 

Pour la production effective pouvant conduire à des exportations, l’Allemagne, le Royaume-Uni ou l’Espagne nous devancent. Nos faiblesses en France restent le coût du travail qui est au plus haut niveau en Europe et parmi les plus élevés au monde. Le coût du travail en Allemagne est assez important également mais la productivité allemande est bien plus positive et prometteuse qu’en France.

La montée en gamme de l’industrie reste un élément décisif pour l’avenir. Nos atouts résultent des politiques menées il y a 50 ans pour l’électricité nucléaire et sont les vestiges de l’école mathématique française, qui a longtemps été une des trois plus importantes au monde avec la Russie et les Etats-Unis mais qui s’est fortement affaiblie depuis.

Don Diego De La Vega : Les investisseurs étrangers sont exactement comme les investisseurs en actions. Les investisseurs sur de l’investissement physique en usine ou en centres commerciaux sont exactement comme les investisseurs equity sur le marché actions. Ce sont les mêmes que sur le marché obligataire. Les investisseurs étrangers sont agnostiques et ont une position assez neutre vis-à-vis de la France en réalité. Ils n’expriment pas une affection particulière ou une détestation du pays. Certains investisseurs s’aperçoivent que la France a une position géographique assez centrale et que le pays n’est pas plus mauvais qu’un autre dans un certain nombre de secteurs. Les investisseurs étrangers veulent en réalité se rapprocher de centres de consommation. La France pèse dans la consommation européenne. Des usines sont donc installées en France mais dans des proportions similaires à l’Allemagne, à l’Angleterre, à l’Italie. 

Les annonces dans le cadre du sommet Choose France donnent l’impression qu’il y a un regain d’investissements étrangers en France. Mais en réalité, tout cela est assez étalé dans le temps. Cela ne va pas changer la réalité économique du pays. Il y a une mauvaise conception des origines de la croissance. La France dépend de plus en plus de l’industrie des services et s’imagine de plus en plus comme un pays du tiers monde qui dépendrait de quelques flux de grandes multinationales américaines, notamment, pour être attractif. L’économie française n’a pas grand chose à voir avec une économie réellement mature. 

Ces annonces sont mises en avant par le gouvernement dans sa logique de communication sur l’attractivité de la France. Il s’agit de l’axe principal de communication aujourd’hui avec les Jeux Olympiques car notre pays n’a plus grand chose d’autre à mettre en avant. Cela n’est pas une bonne manière d’envisager les choses. Même chose pour le projet de création d’une centaine de licornes sur la place de Paris. Il s’agit d’une mauvaise vision de ce que doit être le travail d’un État moderne pour faciliter la croissance.

En quoi ces promesses d’investissement ont-elles évolué ces dernières années, notamment en regardant secteur par secteur et région par région et au regard du nombre réel d’emplois créés ?

Christian Saint-Etienne : Une des raisons qui bloque les investissements sur notre territoire concerne l’insuffisance de terrains sur lesquels investir. 10.000 hectares sont nécessaires par point de PIB que l’on souhaite obtenir dans le cadre de la production industrielle. Si l’on souhaite gagner cinq points de PIB, 50.000 hectares sont nécessaires. Le gouvernement s’est engagé sur le déblocage de milliers d’hectares grâce au retraitement des friches, un certain nombre d’hectares ont été dégagés sur Dunkerque, à Fos-sur-Mer et sur le reste du territoire. Mais les blocages restent très importants. La seule solution serait de créer une agence foncière nationale qui aurait pour objectif d’acquérir 50.000 hectares et de dépolluer les sites. Le gouvernement n’a pas du tout enclenché le mouvement pour dégager les hectares nécessaires. Il faut concevoir ces sites et ces réhabilitations en lien avec les flux logistiques. 

Il est important de mettre à disposition des zones qui doivent être industrialisées pour construire des logements pour loger les ouvriers qualifiés, les ingénieurs et techniciens de ces usines. Le gouvernement ne mène pas d’actions en ce sens. 

La France a été en capacité de mettre un terme à la désindustrialisation massive qui s’est poursuivie de 1997 à à 2022, au moment où, après les problèmes liés au covid, la France s’est illustrée par son manque d’équipement. La désindustrialisation a mis le pays à genoux. 

En 2022 et en 2023, face à la pénurie de microprocesseurs qui bloquait le reste de production automobile sur notre territoire, le gouvernement a commencé à prendre des mesures significatives en faveur de la réimplantation de ce type de productions et sur la voie de la réindustrialisation mais pas avec l’ampleur nécessaire. Il faudrait multiplier par dix au minimum les moyens mis sur la table et par vingt les moyens financiers. Il faudrait vraiment dégager ces 50.000 hectares de zones industrielles.

Don Diego De La Vega : Pour faire un vrai bilan, il faudrait raisonner en net. Or, les chiffres qui sont communiqués sont toujours des chiffres bruts. Le rôle des investissements étrangers sur l’emploi dans le cadre de Choose France est epsilonesque. Un centre Amazon crée quelques centaines d’emplois alors que le secteur privé est censé employer 18 millions de personnes. Il n’y a pas moyen de voir un impact véritable de ces projets sur le marché de l’emploi en France. Cela peut s’avérer positif dans des logiques locales comme à Dunkerque ou à Valenciennes dans le domaine de l’automobile et pour les filières des véhicules électriques. Certaines régions qui étaient naguère sinistrées retrouvent des investissements. L’implantation d’une méga usine avec quelques milliers d’emplois dérivés pendant quelques années va générer une dynamique locale positive. Mais à l’échelle macro, cela est tout à fait mineur. 

Les facteurs qui font que les investisseurs étrangers viennent ou ne viennent pas sont presque toujours indépendants neuf fois sur dix des décisions conscientes que nous pouvons prendre sur la fiscalité, la réglementation. En règle générale, les investisseurs étrangers viennent essentiellement pour des raisons d’allocations globales, de géographie, d’intendance, de logistique qui ne sont pas influencés par l’action du gouvernement. L’exécutif et le ministre de l’Economie peuvent faciliter les choses d’un point de vue réglementaire, d’un point de vue fiscal, pour inciter à plus d’investissements directs étrangers. Les dirigeants tentent de se transformer en VRP plus ou moins convaincants du made in France mais la réalité est que les grandes entreprises multinationales s’implantent en France, de façon quasiment organique, pour avoir accès à un marché de consommateurs essentiellement. Tout cela est très peu dépendant des gesticulations de Bruno Le Maire ou du locataire à Matignon ou même à l’Elysée. 

Quels sont les investissements effectivement réalisés ? N’y a-t-il pas un gouffre entre les promesses faites et la réalité des projets menés à bien dans le cadre des investissements étrangers annoncés à l’occasion de Choose France ?

Christian Saint-Etienne : Le bilan entre les promesses faites depuis sept ans et les investissements réalisés est régulièrement mis à jour par le gouvernement français et le ministère de l’Economie. Certains projets s’étalant sur plusieurs années, les deux cinquièmes des investissements étrangers annoncés à chaque édition de Choose France sont effectivement mis en œuvre et permettent de créer des dizaines de milliers d’emplois (entre 10.000 et 25.000). Il y a donc un taux de chute. Ces investissements peuvent se concrétiser car beaucoup sont dans des entrepôts. Or, la France est devenue un pays d’importation puisque l’on ne produit presque plus rien. Notre pays ne produit pas massivement des téléphones portables, des machines à laver ou des téléviseurs comme certains pays comme la Chine ou l’Inde. La production industrielle a été divisée par trois en vingt ans. La France est devenue un pays d’importation et la logistique liée à l’importation est devenue massive. Elle est d’ailleurs réalisée par des entreprises étrangères. Enormément d’emplois dans la production et dans la logistique ont été perdus. Les investissements étrangers pour la logistique sur le territoire français réalisés par Amazon et par les transporteurs d’Europe centrale installés en France se font car il y a un marché d’importation financé par l’endettement, ce qui est une catastrophe sur le plan des équilibres économiques français.

Don Diego De La Vega : Selon L’Usine Nouvelle, 27 projets d’investissement sur 122 depuis 2018, un peu moins d’un quart, sont liés à l’installation de nouvelles usines ou à la création de nouveaux centres de recherche et de développement. Il y a bien un gouffre entre les promesses faites et la réalité des projets réalisés. Les annonces de cette année tablent sur des investissements dans le domaine pharmaceutique ou via des grandes entreprises comme Microsoft, Amazon ou des start ups dans le domaine de l’intelligence artificielle.

En évaluant ces promesses, à l’arrivée, les chiffres sont parfois plus faibles que ce que les économistes envisageaient. Les dirigeants politiques sont dans une logique de communication et les investisseurs sont dans une logique d’optimisation fiscale. Parfois, certains groupes souhaitent contourner des pressions protectionnistes qui pourraient se faire jour en installant des usines en France. Ce choix n’est pas forcément motivé par rapport aux qualités de la main d’oeuvre française mais parfois simplement pour éviter des amendes ou un certain nombre de coûts annexes. Les GAFAM ne sont pas toujours très bien vues en France. Quand ces sociétés étrangères annoncent un programme d’investissement en France, cela est toujours dans l’idée d’amadouer le pouvoir qui n’est pas toujours très business friendly avec ces compagnies.

La santé de l’économie française repose sur de nombreux paramètres. Les investissements étrangers sont la cerise sur le gâteau mais cela reste tout à fait marginal. 

L’Etat ne devrait pas se concentrer pour accueillir Bill Gates et Jeff Bezos qui, de toute façon, investiront où ils le souhaitent et selon leurs critères. L’État français devrait plutôt se concentrer sur la qualité de la main d’oeuvre, les libertés publiques, la sécurité, tout un ensemble de facteurs qui contribueront à l’attractivité de notre pays à moyen long terme. Il ne faut pas s’arracher les cheveux ou payer très cher en fiscalité suite à l’implantation à court terme de projets venus de l’étranger. Ce n’est pas la bonne approche et malheureusement elle est en vigueur dans les banques d’affaires ou à Bercy. Pour restaurer l’attractivité de la France, il faudrait travailler à améliorer nos scores PISA et la qualité de notre enseignement. Cela serait beaucoup plus important que de savoir que des centres logistiques d’Amazon s’implantent en France plutôt qu’en Belgique.

Quel portrait de la France dresse cette distinction entre les promesses et les projets effectivement réalisés. Quels sont peut être certains secteurs où les promesses sont le plus ou moins susceptibles d’être réalisées ? Et qu’est ce que cela dit sur la réalité française ?

Christian Saint-Etienne : Il y a un domaine emblématique qui concerne les investissements liés aux constructeurs de microprocesseurs américains. Le grand constructeur Intel s’est engagé à construire une vaste usine de puces électroniques en Allemagne avec un investissement de 20 milliards d’euros et une subvention du gouvernement allemand d’un quart de cette somme. Cet investissement de 20 milliards entraînera d’autres investissements. Sur 15 ans, Intel va investir 100 milliards en Allemagne. La France était sur les rangs pour essayer d’attirer cette usine. Le gouvernement français ne s’est pas suffisamment battu. Nos dirigeants sont des administrateurs et pas des ingénieurs. Ils n’ont pas compris l’importance en amont de l’industrie des microprocesseurs. L’Allemagne a remporté ce contrat. Intel s’était engagée, pour compenser la déception des Français, à former des centaines de chercheurs en France. Depuis, cette promesse a été oubliée. Les Allemands vont bénéficier de la centaine de milliards d’euros d’investissement dans la fabrication de microprocesseurs qu’ils pourront exporter. Tout cela renforce la puissance industrielle allemande. La France a vu s’évanouir les promesses sur les centaines de chercheurs. Telle est la contrepartie des écarts de compétitivité et de productivité entre l’Allemagne et la France. Cela souligne la stratégie totalement déficiente de la France depuis 25 ans en matière d’économie et d’investissement.

Don Diego De La Vega : Il est difficile de savoir à l’avance là où les décisions seront prises. Mais le sens des priorités doit évoluer. Ce n’est pas la priorité de la France d’être attractif pour les investissements directs étrangers. La priorité de la France est d’être performante. Ce travail doit être fait sur nous-mêmes plutôt que d’attendre comme un pays du tiers monde que des flux étrangers s’installent chez nous.

Pour être vraiment attractif, il faudrait faire attention aux prix de notre main d’œuvre, de notre immobilier, de nos produits. Il faudrait également agir auprès de la BCE pour avoir un euro moins cher. Cela permettrait à la France d’être plus attractive, d’être à des prix de marché et non pas à des prix administrés par la BCE, avec des taux d’intérêt stratosphériques et avec un euro vraiment trop cher. Personne ne veut aborder ce sujet, ni à la BPI, ni à la Caisse des dépôts et consignations, ni à Bercy. L’euro est cher et il est indécent de nous parler d’attractivité de la France avec un euro aussi cher.

Est-ce qu’il ne faudrait pas viser un taux de croissance de la valeur ajoutée de l’industrie plus élevé? Faudrait-il effectivement se donner un objectif de la part de l’industrie dans le PIB ?

Don Diego De La Vega : Il faudrait déterminer quelle est la part des tendances et quelle est la part de ce qui peut être fait en termes de décision consciente. Il faudrait tenir compte certainement de chocs qui peuvent arriver. L’industrie est un domaine très cyclique, très heurté et très dépendant de la demande mondiale. 

Des efforts pourraient être faits pour une certaine stabilité réglementaire. Mais un gros travail doit être mené sur la qualité de la main d’oeuvre. C’est là vraiment où les choses sont en train de péricliter en France à une vitesse absolument stupéfiante, avec une véritable chute du niveau de capital humain et une chute dans l’éthique de travail. 

L’Etat doit essayer d’agir contre la cherté de l’euro en se comportant comme un véritable actionnaire auprès de la BCE. 

L’exécutif doit créer des conditions en amont qui ne soient pas trop défavorables et doit arrêter de se disperser. Il y a un trop grand saupoudrage d’aides et de dispositifs. Il faut vraiment fixer des priorités claires. Si le bilan devait être mené sur les années de mandat d’Emmanuel Macron et du Ministre de L’économie, on s’apercevrait que les priorités ont très souvent évolué. Il n’y a pas beaucoup de continuité. Il y a eu un plan pour développer l’hydrogène, pour le super calculateur ou bien encore la volonté de sauver Athos de la faillite. Tout cela est très incohérent. Les priorités doivent être mieux définies pour l’avenir de l’industrie française. Afin que Stellantis et Renault ne soient pas complètement dépassés en matière de véhicules électriques, il faut investir dans des stations de recharge de qualité. L’exécutif doit être en mesure de créer les conditions pour que de tels projets puissent voir le jour et se développer en France.

L’une des grandes responsabilités en amont de la France doit aussi être de faire en sorte qu’il y ait suffisamment de production d’électricité non intermittente sur près d’une vingtaine d’années.

Le gouvernement voit les investissements étrangers comme une victoire personnelle à chaque fois qu’un projet est annoncé. Or, cela est faux. Ces grandes entreprises se moquent complètement de savoir si Emmanuel Macron est au pouvoir ou non. Ce qui les intéresse, c’est la perception du pays dans son potentiel à moyen terme concernant la production et la consommation. 

Au regard de ces promesses dans le cadre de Choose France et des projets annoncés, la France est-elle vraiment une puissance industrielle retrouvée ou pas, au regard de ce portrait économique des investissements étrangers dans l’Hexagone ?

Christian Saint-Etienne : La réponse est non. La France a mis fin au phénomène de désindustrialisation. Des dizaines de milliers d’emplois dans l’industrie sont au coeur des projets d’investissement mais il n’y a pas une réelle amorce d’un processus de réindustrialisation significatif. Il n’y a pas d’augmentation des exportations industrielles. Le déficit extérieur demeure. La réindustrialisation n’a pas lieu même si la désindustrialisation a été stoppée. Il n’y a pas d’efforts massifs réalisés pour encourager la réindustrialisation. Il n’y a pas de stratégie globale et ambitieuse et les moyens déployés sont insuffisants.

Don Diego De La Vega : Il est presque incompréhensible de se poser la question alors que cela fait 25 mois que la France est en récession industrielle. Cette situation continue depuis plus de deux ans partout dans l’OCDE et en particulier en France. Et la question de la réindustrialisation se pose toujours. Cela est même indécent. Notre pays est confronté à une chute industrielle forte et tous les indicateurs montrent que la France est en train de se faire disrupter dans des domaines qui étaient des domaines considérés comme stratégiques, fortement vecteurs d’emplois pour la classe moyenne, je pense particulièrement à l’automobile. Nous n’avons pas suffisamment investi dans le futur de l’automobile. Dans ce cadre là, parler de réindustrialisation est indécent. Il faut bien garder en tête que ce qui compte n’est pas tellement l’industrie moyenne gamme mais plutôt l’industrie plus sophistiquée.

La France doit aussi être capable d’attirer et de rassurer une nouvelle génération d’entrepreneurs tout en essayant d’arrêter de désinciter à la prise de risque. 

Il faut apporter des solutions face à la récession industrielle. Il ne faut pas fanfaronner lorsqu’une usine émerge quelque part à Dunkerque ou Valenciennes. Il faut être conscient que les Chinois vont débarquer avec de très bons produits. Il faut militer pour la baisse de l’euro. La monnaie unique est actuellement dopée aux stéroïdes. L’euro est maintenu artificiellement trop haut et cela est en train de tuer l’industrie de moyenne gamme un peu partout en zone euro. Le seul pays qui se réindustrialise véritablement est la Chine. La production industrielle chinoise est égale à la production industrielle de la totalité des pays suivants : Etats-unis, Angleterre, France, Allemagne, Italie, Japon. 

La France ne redeviendra pas une grande puissance industrielle du jour au lendemain. Par contre, il est primordial de colmater les brèches pour qu’il n’y ait pas une disparition totale de notre industrie de moyenne gamme. Il y a une responsabilité à Bruxelles et à Francfort. Je suis très sceptique sur le fait que Choose France et de tels projets puissent contribuer à établir le bon diagnostic et à permettre d’apporter des solutions concrètes. Cette politique industrielle “Paris Match”, via Choose France, n’est pas la bonne option. Il est vital de redéfinir une politique industrielle en fixant des priorités sur le plan intérieur. Un travail doit être mené sur les compétences, sur les normes. Pour réindustrialiser, il ne faut pas compter sur Amazon. Si on souhaite réindustrialiser, il va falloir compter sur nos forces et sinon dévaluer la monnaie.


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