Réunis contre leur gré par une féroce adversité qui court depuis les années 90, l’ancien président Laurent Gbagbo et son successeur à la tête du pays, Alassane Ouattara ne briguent-ils pas, à bientôt respectivement 80 ans et 84 ans, le mandat de trop ?
Correspondance à Abidjan, Bati Abouè
À Abidjan, des voix à peines inaudibles n’ont cessé de le répéter : Gbagbo, Bédié et Ouattara doivent quitter la scène politique nationale pour apaiser durablement une Côte d’Ivoire qui a souffert de leurs ambitions, puisque celles-ci ont provoqué plusieurs décennies de déstabilisation, de tensions et, à la fin, une rébellion armée qui l’ont plongée dans le chaos. Le sort aura tout de même voulu qu’Henri Konan Bédié, le plus âgé des trois, décède le 2 août 2023, emporté dans son village par un étrange malaise cardiaque. Son remplacement avec enthousiasme par Tidjane Thiam, 62 ans, à la tête du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) achevait alors de convaincre qu’une page venait de se tourner dans cette formation politique qui avait toujours réussi à bien ancrer la gérontocratie dans son mode de gestion.
L’effet domino eût alors été que les deux autres grandes figures politiques du pays s’effacent à leur tour. Mais rien ne s’est passé comme beaucoup l’espéraient puisqu’au Parti des peuples Africains (PPA-CI), Laurent Gbagbo annonçait les couleurs, dès le 9 mars 2024, en assurant céder aux demandes pressantes de ses militants. Le fait que l’ancien président ne soit toujours pas éligible, son nom ayant été retiré du fichier électoral pour une décision judiciaire que conteste Gbagbo, attise de nouvelles tensions et fait craindre une autre crise politique à même de déboucher sur d’autres violences.
Pour le moment, Alassane Ouattara cultive une certaine omerta sur ses intentions mais ses partisans multiplient, d’une façon remarquablement concertée, les manifestations publiques pour sa candidature à un quatrième mandat. Une telle décision serait en revanche contraire à la Constitution ivoirienne qui prévoit que le mandat présidentiel est renouvelable une fois. Déjà, il y a presque quatre ans, la réélection du président Ouattara à un troisième mandat avait déclenché une série de violences ayant occasionné la mort de plus de 80 personnes et des blessures graves chez des centaines d’autres. Des responsables politiques qui avaient décidé d’instaurer un Conseil national de Transition (CNT) mettant fin de fait au mandat du président Ouattara avaient été également arrêtés et emprisonnés, livrant le pays à des incertitudes.
Un duel à mort
Cette inexorable envie d’être coûte que coûte au pouvoir afin de garder une avance sur l’adversité pourrait justifier le mieux la propension au non-respect de la loi, d’une part et à la détestation de la retraite politique, de l’autre. Alassane Ouattara avait d’ailleurs affirmé, dès le début de 2020, que si ses rivaux sont candidats, lui se verrait dans l’obligation de l’être sans se demander si la loi le lui permettait. C’est ce qu’il s’est d’ailleurs passé. Alors, va-t-on revivre, en 2025, un remake du face-à-face de 2010 qui s’était terminé par une effroyable crise postélectorale ? Les yeux sont désormais tournés vers le président ivoirien. Car pour le PPA-CI, un simple acte administratif suffirait pour que Laurent Gbagbo soit à nouveau réinscrit sur la liste électorale. D’autant que pour l’opposition ivoirienne, c’est son droit « du moment que Gbagbo a été blanchi par la Cour pénale internationale ».
Un vide politique
Mais cette cristallisation de la vie politique autour de ses grands leaders tue surtout l’offre politique puisqu’elle laisse peu de place à d’autres personnalités. L’une d’elles, Charles Blé Goudé qui organisait, le week-end dernier à Yamoussoukro, la rentrée politique de son parti, le Congrès panafricain pour la justice et l’égalité des peuples (COJEP), reste persuadé que c’est la fin d’un cycle. Il veut donc jouer un rôle prépondérant au sein de la nouvelle génération d’hommes politiques en mesure de diriger la Côte d’Ivoire en affichant ses idées et son programme politique. Blé Goudé a surtout de bonnes relations avec Simone Gbagbo, l’ex-épouse de l’ancien président qui a lancé, il y a quelques semaines, l’idée d’une union de la gauche.
Qui pourrait alors l’incarner le mieux ? Difficile de répondre à cette question au vu des envies d’en découdre. Autre signe des temps, à part quelques intentions émanant de personnes voulant préserver leur anonymat, il n’y a eu, pour l’heure, aucune démarche officielle allant dans le sens d’un rapprochement des anciens camarades. A moins de deux ans de l’élection présidentielle, le parti au pouvoir peut donc compter à la fois compter sur les querelles de clochers et l’émiettement de ses adversaires de gauche. Mais le pouvoir a une autre corde à son arc : sa totale mainmise sur les médias locaux, ce qui lui donne un coup d’avance. Y compris face à une opinion qui voudra d’abord être convaincue sur la capacité réelle des deux octogénaires à pouvoir assurer son destin.
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