Dominique Simonnot : « Les surveillants de prison sont confrontés à une vraie détresse professionnelle »

À la suite de l’assaut du fourgon qui a coûté la vie à deux de leurs collègues, les surveillants ont lancé un blocage des prisons. Comment comprenez-vous ce mouvement ?

Le mouvement de blocage fait partie du deuil face à ce drame absolu. Mais il exprime aussi un désespoir profond. Les surveillants, particulièrement dans les maisons d’arrêt, n’en peuvent plus. Avec la surpopulation, leur vie est devenue un véritable calvaire. Comment voulez-vous qu’il en soit autrement ?

Alors que la norme devrait être d’un surveillant pour 50 détenus, on en est à un pour 110, voire 150 détenus ! C’est totalement ingérable. En maison d’arrêt, les détenus se retrouvent enfermés 22 heures sur 24, à trois dans des cellules prévues pour un seul, avec des matelas par terre, des conditions d’hygiène déplorables, confrontés à la violence qu’engendre une telle promiscuité. Il n’y a rien à espérer, dans ces conditions, en termes de réinsertion. Résultat : les surveillants sont confrontés à une vraie détresse professionnelle.

C’est ce qu’ils vous disent, quand vous les croisez lors de vos visites ?

Pas seulement. Ils évoquent aussi des choses très concrètes. Qu’ils sont obligés, en rentrant chez eux, de se déshabiller sur le palier et d’enfermer leurs affaires dans un sac, au frigo, pour éviter d’importer chez eux des punaises de lit. Que l’été, dans des cellules transformées en fournaise, leurs gilets pare-lames pèsent beaucoup trop lourd.

« Nous défendrons la nécessité d’une autre politique carcérale »

Qu’il est impossible, dans les conditions actuelles, de contrôler les téléphones portables et de mettre fin au trafic de drogue qui sévit tout autant en prison que dehors. La surpopulation les touche, eux aussi, de plein fouet. Contrairement aux clichés, il n’y a pas de guerre entre surveillants et détenus. Leurs sorts sont liés. En maison d’arrêt, les uns comme les autres se sentent abandonnés par l’État.

Vous tirez régulièrement la sonnette d’alarme. Êtes-vous écoutée par les pouvoirs publics ?

Il y a, en France, un refus de regarder les choses en face, un manque de pragmatisme. Fin 2022, j’ai mis sur pied un groupe de travail composé de tous les professionnels du milieu carcéral : surveillants, personnels de santé, magistrats, avocats, associations… Tous sont tombés d’accord pour réclamer une régulation carcérale. Il en va de la santé psychologique et physique des détenus comme des surveillants.

Il en va de l’efficacité même de l’incarcération. Devant l’Assemblée nationale, où nous présenterons prochainement nos travaux, nous défendrons la nécessité d’une autre politique carcérale. C’est possible. L’Allemagne, avec 20 millions d’habitants de plus que nous, a 18 000 détenus de moins.

Pourquoi nos voisins allemands réussissent-ils là où nous échouons ?

Notre garde des Sceaux, qui a su si bien plaider l’indignité de la détention, est responsable de ce qu’il ne fait pas. Et beaucoup de nos élus sont irresponsables, réclamant toujours plus d’incarcérations alors qu’ils connaissent parfaitement l’état de nos établissements pénitentiaires. Le mouvement de blocage aura peut-être un mérite : les obliger à réfléchir, enfin, à ce que doit être la prison.

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