BEYROUTH: Comme des centaines d’autres combattants proturcs, Omar a quitté le nord de la Syrie pour le Niger, acheminé dans ce nouvel Eldorado des mercenaires syriens par une société de conseil militaire privée turque.
« Les conditions difficiles en Syrie m’ont poussé au départ », dit cet homme de 24 ans, joint au téléphone par l’AFP au Niger et qui a eu recours à un nom d’emprunt.
Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), un millier de combattants syriens venant des régions sous contrôle turc sont partis au Niger depuis un an pour y « protéger des intérêts et des projets turcs ».
Certains n’en sont pas revenus, d’après cette ONG qui dénombre au moins neuf tués parmi ces mercenaires.
Dans les régions du nord de la Syrie contrôlée par la Turquie, où l’enrôlement au sein de factions pro-Ankara constitue le principal débouché selon Omar, son salaire mensuel ne dépassait pas les 46 dollars.
« Ici au Niger, on nous paye 1.500 dollars », ajoute le jeune homme, qui fait vivre sa mère et ses frères et soeurs: « J’espère pouvoir abandonner le combat à mon retour et ouvrir un petit commerce ».
Omar faisait partie d’un premier groupe de plus de 200 combattants qui ont quitté le nord de la Syrie à la mi-août pour la Turquie.
Le jeune homme et deux autres combattants syriens proturcs joints par l’AFP ont indiqué s’être portés volontaires pour partir au Niger auprès du groupe Sultan Mourad, la principale faction proturque dans le nord de la Syrie.
Au quartier général du groupe, ils ont signé des contrats de six mois avec une société de conseil militaire privée turque, Sadat, qui protège des intérêts turcs, notamment des mines, au Niger.
Arme secrète
« Des officiers de Sadat sont entrés dans la pièce et nous avons signé le contrat avec eux », a témoigné pour sa part Ahmed (également un nom d’emprunt), qui se prépare à se rendre au Niger.
« Ils s’occupent de tout, des mesures de protection, des modalités de voyage… », ajoute l’homme de 30 ans.
Sadat est considérée comme l’arme secrète de la Turquie pour ses opérations extérieures, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, même si son chef l’a démenti lors d’un entretien avec l’AFP en 2021.
En 2020, un rapport du Département américain de la Défense affirmait que Sadat avait envoyé des équipes en Libye former des combattants syriens pour soutenir le gouvernement de Tripoli.
Le Centre syrien pour la justice et la responsabilité affirme que Sadat était également « responsable du transport aérien international de mercenaires » vers la Libye et l’Azerbaïdjan, en guerre contre l’Arménie, via la Turquie.
Interrogé par l’AFP, le ministère turc de la Défense a affirmé que « toutes ces allégations étaient fausses ».
Présence discrète
Depuis la Turquie, un avion militaire a transporté Omar et ses camarades au Burkina Faso, d’où ils ont été acheminés par la route vers le Niger, où le régime militaire est confronté à la violence jihadiste.
Omar affirme avoir d’abord été chargé de protéger une position proche d’une mine, alors que d’autres de ses camarades ont été envoyés combattre le groupe armé Boko Haram ou chargés d’une mission à Lomé au Togo. Il n’a pas été précisé d’où venait les instructions qui leur ont été données.
Actuellement, Omar a achevé sa mission et se trouve dans une position proche de la frontière avec le Burkina Faso, où il attend impatiemment son rapatriement.
Sa famille reçoit son salaire, sur lequel la faction proturque dont il fait partie prélève 350 dollars par mois.
Ahmed, qui se prépare à partir, indique de son côté que sa mission au Niger consisterait, après avoir suivi un entraînement militaire, en des opérations de garde.
Le combattant, qui confond le Niger et le Nigéria, dit qu’il pourrait également prendre part à « des combats », sans savoir contre qui.
Ce père de trois enfants, qui porte les armes depuis 2014, a indiqué avoir déjà passé six mois en Libye, touchant plus de 2.000 dollars par mois.
La présence de ces mercenaires est très discrète, et tous les combattants qui se sont enrôlés ou qui se sont rendus au Niger ont parlé à l’AFP sous couvert d’anonymat pour des raisons de sécurité.
Influence accrue
La Turquie multiplie les initiatives en direction des régimes militaires du Sahel, et notamment du Niger, pays clé car situé à la frontière sud de la Libye, où Ankara est accusé d’avoir envoyé des milliers de mercenaires.
Le régime militaire du Niger, issu d’un coup d’Etat perpétré le 26 juillet 2023, a réorienté sa politique étrangère, dénonçant des accords de coopération militaire avec la France et les Etats-Unis, alors que la Russie avance ses pions dans ce pays.
Pour sa part, la Turquie a accru au cours de la dernière décennie son influence au Niger par le biais « de l’aide humanitaire, du développement et du commerce », explique Gabriella Körling, analyste à l’Agence suédoise de recherche pour la défense.
La TRT, la chaîne publique turque, a ainsi ouvert l’an dernier une chaîne en français destinée à l’Afrique.
« La composante défense de la relation entre le Niger et la Turquie est devenue plus importante avec la signature d’un accord de coopération militaire en 2020 et la vente de drones armés », ajoute-t-elle.
Pour l’analyste, le coup d’Etat de 2023 n’a pas affecté les relations diplomatiques, et le premier attaché militaire turc au Niger a été nommé en mars dernier, selon le ministère turc de la Défense.
Niamey, qui veut rompre avec les pays occidentaux, cite souvent la Turquie, la Russie et la Chine comme des « partenaires respectueux de la souveraineté du Niger », souligne Gabriella Körling.
Pour le directeur de l’OSDH Rami Abdel Rahmane, la Turquie « exploite » les combattants des zones sous son contrôle et la dégradation de leurs conditions de vie pour « les recruter comme mercenaires dans des opérations militaires qui servent ses intérêts » à l’étranger.
L’OSDH et d’autres ONG affirment également que la Turquie n’a pas toujours tenu ses promesses de paiement aux mercenaires envoyés à l’étranger.
Mohammad Abdallah, du Centre syrien pour la justice et la responsabilité, indique que son organisation a également documenté des « promesses d’octroi de la citoyenneté turque » à des mercenaires envoyés en Azerbaïdjan ou en Libye, qui n’ont jamais été tenues.
Ces missions au Niger ne sont pas sans risques: une cinquantaine de corps de combattants tués sont attendus en Syrie dans les prochains jours, selon une source au sein d’une faction dont les membres sont partis au Niger.
M. Abdel Rahmane évoque également ce nombre sans pouvoir le confirmer, indiquant que la mort de neuf Syriens a été avérée, dont les corps de quatre ont été rapatriés.
Abed, un père de quatre enfants qui fait partie d’une faction proturque, s’est enrôlé tout en étant conscient des risques.
« J’ai peur de mourir », dit cet homme de 30 ans, qui vit avec sa famille dans un camp de déplacés du nord de la Syrie.
« Mais je me console en me disant que je peux aussi mourir en Syrie. Mieux vaut mourir en touchant 1.500 dollars par mois, que 1.000 livres turques (30 dollars) », son salaire dans son pays.
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