Une colonne de véhicules militaires sème le trouble à la frontière entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso

La frontière entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso est devenue une zone sensible. Pas seulement à cause de la menace sécuritaire que font peser les groupes djihadistes actifs côté burkinabé et accusés d’avoir installé des bases arrière côté ivoirien, mais aussi en raison des différends politiques entre Abidjan et Ouagadougou.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés La Côte d’Ivoire aux marges de la menace djihadiste

Depuis jeudi 16 mai, la circulation d’une vidéo sur les réseaux sociaux renforce les tensions. Filmées au téléphone, les images sont légendées ainsi : « Violation de frontière du Burkina par les forces de l’ordre ivoiriennes ». Elles montrent une file de véhicules militaires (légers, blindés, ambulance) qui s’avance sur une route non goudronnée, passant devant un drapeau burkinabé fiché au sol. Un petit groupe d’hommes en tenue civile mais armés, qui semblent être des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), ces supplétifs recrutés par les autorités burkinabées pour appuyer l’armée, les observent, passifs.

« Voilà les Ivoiriens ! Vous les voyez ?, dit la voix de la personne qui filme. Vous voyez ? Ce sont les Ivoiriens, ils sont venus en quantité, avec des véhicules. Donc nous informons les autorités burkinabées que les Ivoiriens sont en train de faire un truc. Ils sont venus avec des chars, des blindés… Six, sept, huit, neuf, dix… »

Dans cette région où la frontière n’est pas clairement définie, les auteurs de cette vidéo affirment que la scène se passe à Hélintira, côté burkinabé. Une note militaire consultée par Le Monde la situe quant à elle « a priori en limite de frontière, côté Côte d’Ivoire ». Quoi qu’il en soit, les autorités burkinabées « prennent au sérieux cette nouvelle provocation », poursuit la note, qui souligne un risque de tensions diplomatiques accrues et un « risque élevé de (re)déploiement d’un bataillon d’intervention rapide, avec toutes les conséquences envisageables de confrontation entre forces de sécurité ».

Des relations tendues

Une source proche de l’armée ivoirienne assure que la colonne de véhicules n’a pas franchi la frontière mais concède qu’« un tel déploiement a pu émouvoir la dizaine de VDP burkinabés en poste, d’autant que les deux derniers véhicules qui apparaissent sur la vidéo semblent être des Cobra II d’Otokar », des véhicules de défense turcs dont plusieurs unités ont été acquises ces dernières années par la Côte d’Ivoire. Ces engins de transport de troupes et de reconnaissance sont initialement destinés à des interventions rapides de contre-terrorisme face à des groupes armés. Quant aux raisons de ce mouvement de véhicules, elles n’ont pas été explicitées par l’armée ivoirienne.

Ce genre d’incident a tendance à se répéter dans la zone. Le 19 septembre 2023, deux gendarmes ivoiriens basés à Bouna avaient été arrêtés en territoire burkinabé, près du site d’orpaillage clandestin de Kwamé Yar. Huit mois plus tard, ils sont toujours détenus à Ouagadougou. Et le 27 mars, ce sont deux militaires burkinabés qui ont franchi la frontière et se sont rendus, lourdement armés, au marché de Dantou, à trois kilomètres du Burkina Faso, tout près de Hélintira.

Lire aussi | Tension entre la Côte d’Ivoire et le Burkina après l’incursion de plusieurs soldats burkinabés à la frontière

Les relations diplomatiques entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso, autrefois cordiales, n’ont cessé de se tendre depuis l’arrivée au pouvoir du capitaine Ibrahim Traoré à Ouagadougou, en 2022. Les réseaux sociaux sont désormais prompts à s’enflammer à chaque incartade réelle ou supposée de l’une des deux armées, la junte d’Ibrahim Traoré soupçonnant son voisin d’œuvrer à la déstabilisation de son pouvoir.

« Pour l’instant, on est à l’étape de la dissuasion et de montrer ses muscles, tempère Arthur Banga, politologue spécialiste des questions sécuritaires. Il n’y a pas de volonté d’aller à un affrontement dont personne n’a vraiment ni l’envie, ni les moyens, et surtout dont tout le monde craint les conséquences imprévisibles. » Car la zone est d’autant plus sensible que les groupes armés terroristes y profitent de l’absence de coordination entre les deux armées. « Il faut tout de même arrêter de jouer avec le feu, estime le chercheur. Et tenter de poser les bases d’un dialogue pour une relation correcte et apaisée, à défaut d’être étroite et cordiale. »

Réutiliser ce contenu

Crédit: Lien source

Les commentaires sont fermés.