Lanceurs d’alerte au Sénégal : en attendant la loi…

Qui est lanceur d’alerte ? Qui ne l’est pas? En attendant la loi promise par le nouveau gouvernement sénégalais, le Pplaaf invite les autorités à encadrer le statut du lanceur d’alerte pour éviter la confusion. Photo-montage/Ouestaf News.


Ouestafnews – Des personnes se présentant comme des « lanceurs d’alerte » se signalent de partout depuis que le président sénégalais, Bassirou Diomaye Faye a annoncé en avril 2024 une loi pour leur protection. Mais selon des spécialistes, une telle loi devrait être dépolitisée, avoir du contenu pertinent et viser des objectifs précis pour être utile et servir l’intérêt général.  

Oudy Diallo, président de l’association « Alerte Kédougou environnement », avait été arrêté en juillet 2023 pour avoir dénoncé sur le réseau social Facebook, ce qu’il avait présenté comme, une « négociation » entre le commandant de la brigade des Eaux et Forêts de Saraya (à l’est du Sénégal) et des Chinois portant sur des permis miniers. Il avait été condamné à six mois de prison ferme par le tribunal de Kédougou pour diffusion de fausses nouvelles et outrage à agent dans l’exercice de ses fonctions.

Dans cette partie sud-est du Sénégal où les richesses minières sont convoitées par des populations démunies et des multinationales déjà solidement implantées, Oudy Diallo, libéré en décembre 2023, est considéré comme un lanceur d’alerte au service des communautés et de la défense de l’environnement. Mais son action sur le terrain et ses dénonciations obéissent-elles aux règles qui définissent le lanceur d’alerte ?  

Pour éviter de telles situations ambigües, les experts estiment qu’il y a urgence à encadrer cette activité.

Selon Jimmy Kandé, directeur de la Plateforme pour la protection des lanceurs d’alerte en Afrique francophone (PPLAAF), il y a nécessité absolue d’encadrer ce statut « pour que les gens ne puissent pas faire des dénonciations à l’emporte-pièce, ce qui passe par une loi ». 

Le chef de l’Etat sénégalais, en conseil des ministres du 17 avril 2024, avait demandé au ministre de la Justice de finaliser avant le 15 mai 2024 un projet de loi sur la protection des lanceurs d’alerte. Un sujet qu’il avait également abordé dans son premier discours à la nation du 3 avril 2024.

M. Kandé modérait une conférence sur les perspectives et enjeux de l’adoption d’une loi sur la protection des lanceurs d’alerte au Sénégal.  

Comme Oudy Diallo, de nombreux sénégalais publient chaque jour des vidéos, textes ou documents censés dénoncer des acquisitions  non transparentes de biens meubles ou immeubles, des détournements de fonds publics ou privés, des mutations de terres, etc., souvent au profit de personnalités politiquement exposées. Sur les réseaux sociaux, foisonnent des groupes de « lanceurs d’alerte » ou de « soutien aux lanceurs d’alerte » autoproclamés.   

Cette hystérie collective peut avoir été suscitée par la position forte exprimée par le nouveau président sénégalais mais le lanceur d’alerte n’est pas n’importe qui, avertit Jimmy Kandé.

La PPLAAF, le définit comme « une personne qui révèle des informations concernant des actes illégaux, illicites ou contraires à l’intérêt général dont elle a été témoin, notamment dans le cadre de son travail (dans une entreprise publique ou privée) afin d’y mettre un terme et provoquer un changement ». 

En outre, le lanceur d’alerte « n’est pas » forcément celui qui va mettre une information sur les réseaux sociaux, « même s’il en a l’exclusivité et le droit ». 

Partant de ces éclairages, la question de départ revient sur la table :  Oudy Diallo est-il un lanceur d’alerte ? Les participants à la conférence n’ont pas répondu à l’interrogation.

Abdoulaye Diallo, chercheur à la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (Raddho), estime qu’une loi d’accès à l’information est plus « cruciale » aujourd’hui que cette loi de protection des lanceurs d’alerte brandie par le président de la République. « Une fois que nous l’avons, le reste pourra être géré », dit-il. 

Lancé il y a plus d’une quinzaine d’années, le processus visant à voter une loi d’accès à l’information est au point mort au Sénégal. Or, pour les organisations de presse et de la société civile, seule une telle disposition rendrait effectif le principe d’une information plurielle accessible aux citoyens tel que prévu par l’article 8 de la Constitution.  

Si l’initiative du président Bassirou Diomaye Faye peut être salutaire, il ne faut pas pour autant la « politiser », mettait en garde Fadel Barro (lui-même ex- coordonnateur régional de la PPLAAF) dans un entretien avec le journal Le Quotidien, en avril 2024. « Il faut éviter que ce soit juste une déclaration publique qui risque d’étouffer ou d’occulter la vraie réalité », souligne-il.

La lutte contre la corruption commence par la publication des rapports de l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac), ceux de la Cour des comptes, en particulier celui concernant les 1000 milliards FCFA des fonds Covid-19, ainsi que leurs suites judiciaires éventuelles, précise Fadel Barro. 

Ces documents ont commencé à être publiés dans les organes de presse et sur les réseaux sociaux depuis quelques semaines. En conseil des ministres du 15 mai, la communication du ministre de la Justice a abordé « le traitement judiciaire du rapport de la Cour des comptes portant sur la gestion des fonds COVID ».

Pour protéger les lanceurs d’alerte, une loi votée et promulguée ne suffira pas si elle ne répond pas à « un certain nombre de standards » permettant de prendre en compte toutes les questions liées à la protection du lanceur d’alerte, fait remarquer Jimmy Kandé.

Et cela, selon le coordonnateur du mouvement Y’en a marre, Aliou Sané, suscite des inquiétudes par rapport à l’encadrement et de « ce qui va être mis dans cette loi ». Car « des activistes et d’autres personnes sur Internet pensent qu’ils sont des lanceurs d’alerte », explique-t-il.  

Il faudra « une définition claire du statut de lanceur d’alerte » et de « son champ d’actions », « des canaux de signalement sécurisés et confidentiels », « des procédures claires de signalement des activités illégales et contraires à l’intérêt général », énumère le directeur de la PPLAAF, Jimmy Kandé.

Et pour échapper au piège de « documents faux », une organisation ou une entité ad-hoc doit prendre en charge l’analyse et la vérification des « révélations » et « allégations » du lanceur d’alerte présumé, l’identification des personnes impliquées, ajoute-t-il. 

En Afrique, plusieurs pays ont signé la Convention des Nations unies contre la corruption qui inclut la protection des lanceurs d’alerte. Mais seuls onze pays dont le Ghana et le Liberia ont adopté une loi dans ce sens.  

ON/md/ts


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