Historia – Vous retracez, dans votre livre, l’histoire des corsaires, du Moyen Âge à nos jours. Comment définit-on un bateau corsaire ?
Dominique Le Brun – Si l’on prend une définition juridique du mot, les choses sont claires : suivant des lois internationales qui ont cours depuis le Moyen Âge, notamment entre les royaumes de France et d’Angleterre, le corsaire est un navire civil, qui reçoit un agrément de son gouvernement pour attaquer uniquement des navires d’un pays contre lequel il est en guerre. Les corsaires pratiquent la guerre de course. À partir de la guerre de Sécession américaine (1861-1865), il y a une évolution de l’utilisation du terme, qui ne correspond plus à la définition juridique. Cette nouvelle utilisation se poursuivra pendant la Première et la Seconde Guerre mondiale.
À quoi correspond cette nouvelle définition ?
Pour comprendre, il faut commencer par parler de l’arrêt officiel de la guerre de course : cela date de la guerre de Crimée (1854-1856). Pour la première fois depuis très longtemps, l’Angleterre et la France ont été alliés. Les deux pays ont décidé qu’il n’était plus question de laisser des corsaires attaquer des navires marchands. Mais le traité international qui a mis fin au conflit, dans lequel il était officiellement mentionné l’arrêt de la guerre de course, n’a pas été signé par les Américains. Lorsqu’est survenue la guerre de Sécession (1861-1865), les États du Sud n’avaient pas les moyens financiers d’avoir une marine de guerre pour s’opposer aux États du Nord. Ils ont donc investi dans des bâtiments corsaires. Mais leurs équipages étaient en grande partie militaires, et non civils.
Quelles étaient initialement les règles de la guerre de course ?
En France, sous l’Ancien Régime, la Révolution et l’Empire, lorsque l’état de guerre est déclaré avec une autre nation maritime – très souvent avec l’Angleterre –, on déclare la guerre de course ouverte. Dans des ports comme Saint-Malo, des armateurs annoncent alors autour d’eux qu’ils cherchent des fonds pour lancer un armement corsaire. Cet armement est rarement le fait d’un seul propriétaire, pour limiter les risques financiers, en cas de naufrage ou de capture. Plusieurs personnes s’associent donc pour obtenir un bateau, y mettre un armement militaire, ainsi qu’un équipage sachant se battre. À partir de ce moment-là, le navire peut partir en campagne. Lorsque des prises sont faites, c’est-à-dire qu’un navire ennemi a été capturé, il est ramené au port et mis en vente. C’est sur le produit de cette vente que le corsaire est rémunéré.
Comment différencie-t-on les pirates et les corsaires ?
La différence fondamentale entre le pirate et le corsaire est que le pirate attaque n’importe qui, pour n’importe quoi et n’importe quand. C’est un bandit de grand chemin, en mer. S’il est capturé, il est pendu tout de suite. Lorsqu’un corsaire est capturé, il devient prisonnier de guerre. Généralement, il est rançonné, ou échangé contre un autre prisonnier.
Dans quelle catégorie peut-on ranger les Vikings ?
Contrairement à ce que l’on a souvent dit, les Vikings n’attaquaient pas au hasard, mais suivant une organisation stricte, qui découlait de l’existence d’un État. Cela a été le cas lors des attaques des Vikings danois en France et notamment du premier siège de Paris en 845 : plusieurs milliers de personnes et des centaines de bateaux ont été réunis pour attaquer la ville. Cette organisation fonctionnait suivant une loi de mobilisation maritime : la population danoise était répartie en cantons, dont chacun devait tenir à disposition du roi un bateau armé et un équipage prêt à partir en campagne. Il ne s’agissait donc pas de piraterie, mais d’une mobilisation de paysans, qui se transformaient en marins en cas de guerre de course.
Pourquoi dit-on que Saint-Malo a été la cité corsaire la plus emblématique ?
C’est le port qui a armé le plus de corsaires, principalement pendant les guerres contre l’Angleterre, devant Dunkerque, Bayonne ou La Rochelle. La cité s’est fait une spécialité de la guerre de course et du commerce international. Il ne faut pas oublier que la cité avait une culture d’indépendance vis-à-vis des souverains bretons et français, jusqu’au règne d’Henri IV. Elle est ensuite entrée en grande fidélité par rapport au pouvoir royal. En retour, elle bénéficiait d’avantages importants : en tant que port franc, elle était exemptée de taxes. Des titres de noblesses étaient aussi accordés aux armateurs, en échange de bons procédés financiers. Cela permettait de renflouer les caisses, notamment sous Louis XIV.
L’un des corsaires les plus connus est d’ailleurs le Malouin Robert Surcouf (1773-1827). Comment a-t-il réussi à gagner une telle renommée ?
Surcouf a été considéré comme une légende de son vivant. Cela s’explique par plusieurs éléments. D’abord, il a fait des prises extraordinaires dans l’Océan Indien. Il est le premier à avoir osé attaquer des navires marchands anglais dans le golfe du Bengale, c’est-à-dire pratiquement dans leurs ports. Ensuite, il a fait plusieurs prises de bateaux énormes avec de petits équipages. La plus célèbre est celle du Kent, qui a donné naissance à un tableau bien connu. Lors de cet épisode, Surcouf et son équipage d’une centaine de personnes ont attaqué 400 anglais. Ils ont gagné et emporté le bateau. Un autre élément qui explique sa légende, est le fait que le gouvernement révolutionnaire du Directoire, dans un premier temps, n’a pas reconnu certaines de ses prises. Surcouf leur a donc intenté un procès, qu’il a gagné. Cela a fait grand bruit : le Tout-Paris bourgeois s’est alors entiché de lui. Il a donc pu ensuite compter sur l’appui d’armateurs qui lui ont confié des bateaux très performants, avec lesquels il a eu d’autres réussites.
Pendant combien de temps a-t-il pratiqué la guerre de course ?
Au bout de cinq, six ans, il a accumulé une fortune considérable. Il est revenu s’installer à Saint-Malo, a épousé la fille d’un grand armateur – profession qu’il a ensuite lui-même embrassée. C’était un personnage très facétieux, de très bon cœur, généreux et populaire. Moins de vingt ans après sa mort, une biographie était déjà publiée.
Vous dites que la marine américaine est née de de la tradition corsaire. Pourquoi ?
Lorsqu’on analyse de façon très générale l’histoire de la guerre de course, il y a deux raisons pour lesquelles un gouvernement peut avoir besoin de corsaires : soit comme supplétif à sa marine de guerre, pour piller le commerce de la nation ennemie, soit parce que cet état n’a pas les moyens de se payer une marine de guerre. C’est ce qu’il s’est passé aux Etats-Unis : pendant la guerre d’Indépendance (1775-1783), lorsqu’un gouvernement américain s’est affirmé et s’est opposé à l’Angleterre, il a demandé aux financiers américains de construire des bateaux corsaires. Ils ont alors su mettre au point des bateaux très rapides, les Baltimore Clippers, qui ont gagné leur réputation sur les mers du nord. Lorsque l’Indépendance a été obtenue et que les conflits contre l’Angleterre se sont poursuivis, la nouvelle flotte a été conçue suivant la doctrine militaire des corsaires : des bateaux rapides, solidement armés, qui n’attaquent que s’ils sont en position de force.
Est-ce qu’il existe des corsaires, encore aujourd’hui ?
Si l’on estime que le principe du corsaire est qu’il remplace l’État là où il devrait agir, je pense que l’ONG de défense des océans Sea Shepherd, fondée par Paul Watson en 1977, peut être considérée comme corsaire au nom de l’humanité. En 1979, l’association a notamment attaqué un braconnier au large du Portugal, alors qu’aucun pays ne voulait s’en charger. Je considère de la même façon les ONG qui récupèrent les migrants en état de perdition en Méditerranée pour leur sauver la vie, à la place des États.
A noter :
« La vraie histoire des corsaires » de Dominique Le Brun, publié chez Tallandier, 336 pages, 22 euros.
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