le chant d’amour des Arméniens à la France

Charles Aznavour aura attendu 65 ans pour que l’État reconnaisse officiellement la francisation de son nom. Alors que dans le monde du spectacle, la mode était d’américaniser son nom, le chanteur d’origine arménienne n’a jamais ménagé sa peine pour rendre à la France ce qu’elle lui avait permis d’accomplir.

Cent ans après sa naissance, un film, une montée des marches pour ses héritiers et des plaques urbaines restituent l’épaisseur de sa vie hors du commun. Le plus arménien des chanteurs français incarne à lui seul le chant d’amour réciproque que s’adressent depuis un millénaire la première nation chrétienne et la fille aînée de l’Église.

Car si la diaspora arménienne passe pour l’une des mieux intégrées, la relation entre les deux pays n’a (presque) jamais été altérée. Au moment où les menaces turques et azéries pèsent de nouveau sur la communauté arménienne, il est crucial de redonner à ce lien de confiance sa densité historique.

Charles Aznavour confessait que la diaspora « n’avait jamais revendiqué que la justice pour le génocide » et ne manifestait que gratitude pour la France. Le patron des caviars Petrossian renchérissait : « arrivés en France en 1917, mes parents nous inculquaient le respect de notre pays d’accueil ». L’histoire récente de l’immigration est plus avare de ces marques de reconnaissance. Discrets, les immigrés arméniens auraient pourtant bien plus de raisons de se plaindre d’un accueil qui fut bien moins généreux que celui offert aux nouvelles générations de migrants.

Dans les années 20, on méprisait alors ces réfugiés acculés à vivre dans des logements exigus parce qu’ils avaient été spoliés par les Turcs. Flaissières, le maire socialiste de Marseille, médecin de son état, cachait mal le dégoût que lui inspiraient ces « porteurs de typhus ». Peu importe, il fallait tenir, beaucoup pensant, comme les parents d’Henri Troyat, que le « retour au pays » serait proche.

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Les Arméniens déracinés vont s’efforcer de faire leur cette « nouvelle » patrie

Il est cependant rendu impensable en Turquie pour les descendants des survivants du génocide de 1915, dénaturalisés par l’État. Il l’est tout autant pour les Arméniens contraints à l’exil par les bolchéviques qui effacent leur nationalité en 1921. 700 000 exilés sont alors proscrits par le traité de Lausanne décidé en 1923 par l’Occident et la Turquie. Signataire du statut Nansen – du nom du Haut-Commissaire pour les Réfugiés de la Société des Nations – la France garantit toutefois leur protection.

En échange, les Arméniens du Caucase et d’ailleurs, déracinés, vont s’efforcer de faire leur cette « nouvelle » patrie, recréant des liens disloqués par le génocide. Partout dans le monde, leur intégration fut une réussite collective.

Une présence arménienne en France datant du Moyen-Âge

En France, leur présence est attestée dès le Moyen-Âge, notamment à l’issue de la première croisade. En 1641, Corneille place l’intrigue de Polyeucte en Arménie. Devant les persécutions ottomanes, perses et russes, d’Anatole France à Maurice Barrès, de Charles Péguy à Frédéric Mistral, des plumes embrassent la cause arménienne sans créer d’adhésion populaire. Moins de 9 000 en 1914, la société ne les distingue guère des autres migrants méditerranéens.

Le génocide émeut peu les penseurs progressistes séduits par le « modernisme » des Jeunes Turcs. Mandatée après la Grande guerre, en Syrie et au Liban, la France y découvre le calvaire d’exilés aux « pieds nus » astreints aux chantiers navals. La gauche méprise ces travailleurs trop peu syndiqués.

À partir de Marseille, bientôt 60 000 Arméniens innervent les bassins industriels et du textile rhodaniens et franciliens. Leur désir d’ascension sociale les conduit à devenir entrepreneurs, commerçants ou restaurateurs comme le père de Charles. Le souci de s’assimiler se lit dans le choix de patronymes français. Achod Malakian se fait ainsi connaître sous le nom d’Henri Verneuil.

La diaspora arménienne alerte sur les provocations de la Turquie et de l’Azerbaïdjan

Fils d’un combattant antibolchevique, Jean Djorkaeff fait le bonheur de l’équipe de France de football. Missak Manouchian, à la mémoire disputée, fut récemment panthéonisé. Michel Legrand, Rosy Varte ou Alain Terzian ne sont que quelques-unes des personnalités qui ont fait la réputation le cinéma français. Fiers de la France, certains ont voulu forcer la généalogie pour y intégrer d’anciens présidents de la République. Le cas Balladur reste, lui, discuté.

Si le lien culturel, notamment religieux et linguistique, avec la communauté originelle s’est étiolé, au fil des générations, il est aujourd’hui ranimé par les menaces qui pèsent sur les 600 000 Français d’origine arménienne, souvent fervents chrétiens apostoliques (et non orthodoxes). Fédérée par le souvenir du génocide, la diaspora se retrouve aujourd’hui pour déplorer les provocations de la Turquie et de l’Azerbaïdjan.

La seule existence de l’Arménie, premier État chrétien, une décennie avant Rome, controuve leur projet d’Anatolie turcophone de la Caspienne au Bosphore. Après l’invasion de l’Artsakh (Haut-Karabakh) à l’automne dernier, Bakou ambitionne de s’emparer du sud du pays. La France n’a jamais détourné les yeux du drame arménien.

Elle doit aussi rester attentive au sort de la communauté arménienne la plus importante d’Europe, au moment où des activistes pro-turcs multiplient sur notre sol agressions, dires négationnistes et profanations de sites arméniens.

« Dans tes yeux je veux voir/Arménie/Une lueur d’espoir/Une flamme, une envie/De prendre ton destin/entre tes mains », chantait Aznavour. En France comme en Arménie, se joue, de manière différente mais concordante, le destin de notre civilisation.

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