Passer une tête dans une classe suffit à se rendre compte du chemin parcouru : tous les élèves savent ce qu’est le harcèlement scolaire. Pas toujours finement, il est vrai, mais la notion, dans ses grandes lignes, est ancrée dans les têtes. C’est bien la moindre des choses, pourrait-on dire. Sauf que la prise de conscience est très récente. Il aura fallu attendre 2011 et l’organisation des assises du harcèlement pour que la lutte contre ce phénomène commence à s’inscrire dans les politiques publiques françaises. Auparavant, combien de générations ont entendu les adultes renvoyer cela à des chamailleries d’enfants ?
Désormais, tous les établissements scolaires sont tenus de mettre en place le programme Phare. Expérimenté dans six académies entre 2019 et 2021, il s’est depuis généralisé et est devenu l’outil incontournable du gouvernement dans la lutte contre le harcèlement scolaire. Son levier principal : mettre en place dans chaque collège et lycée, et dans chaque circonscription pour le premier degré, une équipe ressource de cinq personnes formées et capables de gérer des situations de harcèlement. A ce jour, indique le ministère de l’Education nationale, 53 189 personnes ont été formées, ce qui permet de couvrir 93 % des écoles, 88 % des collèges et 78 % des lycées (ces derniers n’étant entrés dans Phare qu’à la rentrée dernière).
Nouveaux outils de lutte contre le harcèlement
«C’est un des programmes les plus ambitieux au monde. L’idée d’une équipe par établissement, ça n’existe nulle part ailleurs», se félicite Jean-Pierre Bellon, l’un des architectes de Phare. Le programme prévoit également dix heures de sensibilisation des élèves, du CP à la troisième, et la constitution d’équipes d’élèves ambassadeurs, eux aussi formés, dans le second degré. Ces derniers sont à ce jour 37 628, précise le ministère, dont 31 963 collégiens.
Mais Phare n’est pas l’unique levier. Numéro de téléphone désormais unique (le 3018) pour les victimes et témoins de harcèlement scolaire, création d’un délit pénal à part entière, possibilité nouvelle de changer un harceleur d’école primaire, distribution annuelle d’un questionnaire d’autoévaluation du bien-être des élèves… De nouveaux outils de lutte contre le harcèlement ont vu le jour ces derniers mois. Sans oublier le plan interministériel annoncé à l’automne, qui a notamment poussé à l’expérimentation de cours d’empathie dans plus de 1 000 écoles, avant une généralisation en septembre, ou à la mise au point d’une formation destinée aux parents, actuellement «en cours de finalisation» et disponible sur le Cned d’ici à la fin de l’année scolaire, selon le ministère. En bref : la France se donne pour rattraper son retard. Pour autant, les critiques sont nombreuses.
«Les équipes vont s’épuiser»
«Ce programme repose essentiellement sur le dévouement des personnels, il n’y a pas eu de moyens spécifiques pour les rémunérer ni créer de postes pour la coordination. Les équipes vont s’épuiser», alerte Jean-Pierre Bellon. Aux yeux d’un autre connaisseur du sujet, qui souhaite rester anonyme, «on est toujours à la recherche de la solution miracle, or la plaie de la lutte contre la violence à l’école, c’est le programme à la mode. D’ailleurs on le voit, les chiffres restent toujours un peu les mêmes, entre 6 et 10 % [de victimes de harcèlement sévère, en primaire comme au collège]. Il ne peut pas y avoir de prêt-à-porter, tous les cas et les contextes sont différents. Toutes les méta-analyses, c’est-à-dire les évaluations les plus sérieuses au monde, ont montré qu’avec les programmes les plus efficaces, c’était au mieux 17 % de diminution du phénomène. Ce qui serait intéressant, ce serait plutôt d’avoir une boîte à outils, avec les différents programmes.»
Quant au plan interministériel, Jean-Pierre Bellon comme notre autre interlocuteur parlent «d’effet d’annonce». «Bien sûr qu’il faut de l’interministériel, mais il n’y a pas de coordination. Il faut au minimum un vrai délégué interministériel, avec un vrai pouvoir, sinon ça ne peut pas marcher, juge le spécialiste du harcèlement scolaire. Il ne faut pas se faire d’illusions, tout ça est systémique. Dans les établissements où on a un turn-over énorme, des gens qui en ont ras le bol, comment voulez-vous que les adultes soient suffisamment attentifs et unis face à ce genre de choses ?» Vu le mal-être du corps enseignant, le chantier s’avère donc bien plus vaste que la seule question du harcèlement scolaire.
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