Le président kényan William Ruto est arrivé mercredi soir à Washington pour une rare et hautement symbolique visite d’État de plusieurs jours. Les États-Unis n’ont plus reçu de dirigeant africain en visite d’État – soit le plus haut degré du protocole diplomatique – depuis que le président George W. Bush a invité le Ghanéen John Kufuor à la Maison-Blanche en 2008. La visite de William Ruto ne doit rien au hasard. Les États-Unis considèrent en effet le Kenya comme un allié privilégié et un modèle politique et économique sur un continent africain en pleine convulsion. Interrogé sur ce choix, un diplomate américain a répondu : « Si ce n’est pas Ruto, qui ? Le Kenya, malgré tous ses défauts, est toujours une démocratie, avec une presse relativement libre, une société civile relativement libre et une bonne Constitution. Nous voulons montrer que nous soutiendrons de tout notre poids les pays qui poursuivent ce modèle, car nous pensons qu’il offre la voie de croissance la plus durable pour les pays du continent. »
Pour l’occasion, le président américain Joe Biden a mis les petits plats dans les grands et affiché tout le faste de la Maison-Blanche. La visite de William Ruto marque 60 ans de partenariat officiel entre les États-Unis et le Kenya. « Nous sommes plus forts et le monde est plus sûr quand le Kenya et les États-Unis travaillent ensemble », a loué le président américain, qui va officiellement demander au Congrès américain, selon une haute responsable de la Maison-Blanche, de donner au Kenya le statut d’« allié majeur non-membre de l’Otan ». Il s’agit d’une désignation officielle qui confère aux pays concernés – 18 actuellement dans le monde – des privilèges militaires et diplomatiques. Le Kenya deviendrait ainsi le premier pays d’Afrique subsaharienne de la liste. « Cette visite d’État est un signe d’amitié, de partenariat et de coopération entre deux pays qui partagent des valeurs de liberté, de démocratie, de justice, d’égalité et d’inclusivité », a déclaré son homologue kényan.
Le Kenya, un futur poids lourd de la diplomatie
Un véritable coup de projecteur sur un partenariat stratégique déjà renforcé ces dernières années et qui s’apprête à connaître un nouvel élan. En effet, c’est ce jeudi 23 mai que sont attendus les quelque deux cents membres des forces spéciales de la police kényane, à Port-au-Prince, la capitale d’Haïti, à la demande de Washington qui assure la stratégie et le financement de cette mission multinationale validée en octobre par le Conseil de sécurité de l’ONU et dont Nairobi a accepté de prendre la tête. « Le Kenya a travaillé aux côtés des États-Unis pour relever les défis les plus importants de notre époque », a assuré le conseiller américain à la sécurité nationale Jake Sullivan. Mais de part et d’autre, il a fallu convaincre. La mission qu’a acceptée le Kenya pour rétablir l’ordre dans le pays des Caraïbes ravagé par la violence de gangs est risquée et sensible. Ce n’est qu’après des mois de tractations que Nairobi a décidé d’envoyer des policiers et non des forces sur place. Cette mission suscite encore de vives critiques et fait l’objet de recours en justice dans le pays. Dans tous les cas, de nombreux détails n’ont pas encore été réglés et de réelles divergences sont apparues au cours des négociations entre les deux parties. Nairobi exigeant, par exemple que les États-Unis fassent plus pour rallier d’autres soutiens financiers, avec la mise en place d’un fonds commun de l’ONU qui couvrira les coûts de la mission. Le Kenya veut également que Washington s’engage à endiguer le flux d’armes vers Haïti, notamment depuis les ports américains de Floride.
William Ruto, le président kényan qui s’est imposé sur la scène internationale dans des dossiers comme la lutte contre le réchauffement climatique, a défendu une « mission pour l’humanité » dans un pays ravagé d’après lui par le colonialisme. Une façon pour le dirigeant de consolider la position du Kenya en tant qu’interlocuteur régional privilégié – dans une période d’effervescence dans la Corne de l’Afrique – sur les sujets géopolitiques majeurs. Son pays est impliqué dans la résolution de nombreux conflits sur continent comme en Éthiopie ou en RDC, où elle avait déployé des forces. Le Kenya abrite une base aérienne américaine à Lamu, dans le nord du pays, et coopère avec les troupes américaines dans le cadre d’opérations de sécurité pour faire face à la milice d’Al-Shabaab en Somalie voisine.
Des promesses d’investissements pour le Kenya endetté
Ce voyage intervient également dans un contexte de concurrence géopolitique croissante en Afrique. Au moment où Washington est chassé du Niger et les pays d’Afrique de l’Ouest, pour la majorité francophones, connaissent des situations de crises politiques, les États-Unis se font fort de rappeler qu’ils ont misé, et ce depuis longtemps, sur des pays comme le Ghana et surtout le Kenya. Nairobi est en effet montré par Washington comme un modèle à la fois politique et économique, avec un pays qui a décollé ces dernières années même si cette dynamique a été freinée par les effets de la pandémie et de la guerre russe en Ukraine.
Le président Joe Biden veut aussi faire de cet engagement avec Nairobi une illustration de ses nouvelles ambitions en direction du continent africain. Le message est que les États-Unis restent investis en Afrique même dans une période de concurrence croissante avec leurs principaux rivaux géopolitiques, la Chine et la Russie. Nairobi a cruellement besoin d’investissements extérieurs pour poursuivre son développement notamment dans le secteur technologique où le Kenya brille déjà avec la Silicon Savannah et en abritant des bureaux de Google ou Microsoft. L’une des principales promesses de campagne de William Ruto était de redresser l’économie en difficulté du pays et de réduire la dépendance du pays envers la Chine, son principal créancier (63 % de la dette bilatérale). « Nous travaillons pour assurer que la dette n’empêche pas les pays à bas et moyens revenus d’accéder aux investissements » dont ils ont besoin, a fait savoir Joe Biden, ce jeudi, alors que les deux dirigeants pourraient faire des annonces fortes sur la question cruciale de la dette souveraine qui étrangle nombre de pays en développement.
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