Légende du rap galsen et artiste engagé, Nitdoff a passé plus de dix mois en prison, jusqu’à sa libération, en février 2024. Ce soutien de la première heure d’Ousmane Sonko revient sur ces derniers mois historiques pour le Sénégal, l’évolution du rap, et promet de garder sa liberté d’expression malgré l’arrivée de Bassirou Diomaye Faye au pouvoir.
Jeune Afrique : Le Nitdoff de début 2023 aurait-il pu imaginer que le Sénégal allait élire un président de l’opposition en 2024 ?
Nitdoff : Il s’est passé tellement de choses ces derniers mois. On est passé par toutes les émotions : on a alterné entre espoir de changement et résignation face à cet adversaire qu’était devenu l’État, ses institutions et une justice à sa merci. La seule valeur sûre pendant cette période aura été le peuple.
Quand avez-vous commencé à soutenir Ousmane Sonko ?
Lorsque j’ai appris qu’il était radié de l’inspection générale des impôts, en août 2016, pour manquement au devoir de réserve, je me suis dit qu’il devait bien faire son travail pour déranger à ce point le pouvoir. Je me suis alors penché de plus près sur son discours et j’ai été séduit par sa vision panafricaine. Un jour, Bassirou Diomaye Faye m’a contacté car j’avais commencé à leur donner de la force sur mes réseaux sociaux, sans volonté de m’afficher avec eux, pour ne pas être instrumentalisé. On s’est finalement rencontré et j’ai constaté que je n’avais pas affaire à des politiciens mais à des personnes sincères qui avaient le projet de lutter contre la corruption du système. J’ai été le premier artiste à les soutenir publiquement car j’ai ressenti l’envie de peser un peu dans la balance en leur apportant ma notoriété et ma légitimité.
Dans le titre « C la dictature », en 2022, vous dites notamment « Macky nous tue, Macky nous torture ». À quel moment avez-vous durci votre discours contre l’ancien président ?
Je n’ai pas attendu Ousmane Sonko pour écrire des textes engagés. Depuis que je suis adolescent, je n’ai jamais eu peur de dire les choses et je suis rentré définitivement au Sénégal en 2012 pour mener dans la rue le combat contre Abdoulaye Wade. Lors des deux premières années de Macky, j’ai dit à mes proches d’attendre un peu avant de le juger, car il ne pouvait pas faire de miracle. Je ne suis pas fondamentalement quelqu’un d’anti-pouvoir. Je regarde faire…
Et il m’a suffit de deux ans pour réaliser que Sall était un trompeur, alors j’ai commencé à prendre position contre lui, ce qui m’ valu des boycotts de mes concerts. Tout cela s’est corsé après la troisième place de Sonko à l’élection présidentielle de 2019. À partir de là, j’ai reçu toutes sortes d’intimidations et même une tentative de corruption pour me faire taire. Puis, tout a empiré avec l’affaire Adji Sarr [en février 2021, la jeune femme avait porté plainte pour viol contre l’actuel Premier ministre, ndlr]. J’ai été le premier à communiquer en live, depuis le domicile d’Ousmane Sonko, lorsque la police a commencé à tirer des lacrymogènes pour disperser la foule. Je voulais montrer au Sénégal l’urgence de se révolter car Macky Sall avait dépassé les bornes.
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Le 18 janvier 2023, avez-vous été surpris lorsque la police est venu vous interpeller pour « fausses nouvelles, outrage à magistrats et menaces de mort » ?
J’étais préparé depuis des années par le durcissement du régime contre la liberté d’expression et les avertissements que je recevais. Je n’accepterai jamais le fait d’être arrêté pour avoir exprimé mon opinion. J’ai donc refusé de fuir ou de me taire. S’ils voulaient m’arrêter, ils n’avaient qu’à le faire… J’ai continué mes lives Facebook, en sachant qu’une ou plusieurs de mes phrases pourraient être retenues par un juge.
Comment se sont passés ces huit premiers mois de détention ?
C’était de la merde ! J’étais très en colère contre cette injustice car je n’accepte pas d’être bâillonné comme un esclave. La situation me rongeait, mais je n’avais pas le droit de flancher. J’avais un rôle de leader à jouer. Je devais être fort malgré le fait qu’en huit mois, je n’ai eu mes enfants qu’une seule fois au téléphone et que je n’avais qu’une envie, pleurer.
Mais je devais aider ces jeunes dont la plupart n’avaient rien fait à vivre la prison dignement. Ils ont été victimes de la rafle de l’État qui avait besoin de légitimer sa dérive sécuritaire en sacrifiant beaucoup de citoyens. Dans ma cellule, j’avais un élève de Podor arrêté avec son ordinateur alors qu’il soutenait Macky, un jeune autiste qui allait acheter le pain, un autre qui allait à la pharmacie… J’en veux vraiment à l’ancien gouvernement pour les souffrances qu’ils nous a infligées de façon totalement arbitraire.
Quelles étaient les conditions à la prison de Rebeuss ?
C’est l’enfer ! Des petites chambres remplies de 200 personnes pour une capacité de 20, des maladies, des boutons, des coupures d’eau, une chaleur infernale… Ce n’est pas une prison, c’est pire que tout. Et ce sont des Sénégalais qui le font vivre à d’autres Sénégalais… Les gardiens avaient du mal à gérer l’afflux de prisonniers et la surpopulation carcérale. Heureusement, une vraie solidarité existe entre les détenus. On a mis en place un soutien financier et alimentaire dans les cellules, mais personne ne mérite de vivre ça.
En octobre, vous êtes ressorti de prison pour quelques semaines. Racontez-nous cet épisode.
Je me sentais coupable de sortir seul. C’était juste l’occasion pour moi de continuer le combat dehors en parlant des détenus politiques. Lutteurs, footballeurs, lobbys maraboutiques… Je leur ai dit ce que je pensais de leur passivité. J’étais optimiste, car je sentais que le peuple était avec Ousmane Sonko. Lorsque le Conseil constitutionnel a refusé sa candidature et que j’ai été arrêté à nouveau, j’ai vraiment cru qu’aucun candidat Pastef ne pourrait se présenter, comme dans une dictature.
Vous avez reçu des témoignages de soutien de la part de rappeurs. Comment jugez-vous l’engagement des artistes au Sénégal ?
Je remercie ceux qui l’ont fait sincèrement comme Fou Malade ou Daara J Family, mais le hip-hop dans son ensemble ne m’a pas soutenu autant que j’ai donné de la force au mouvement. Je pense au contraire que mon arrestation a été un « ouf » de soulagement pour certains, car elle évitait de parler de « Nitdoff le contestataire » qui leur rappelait à quel point eux ne faisaient rien par rapport à « Y’en a marre » [mouvement citoyen de contestation né en janvier 2011, ndlr] et au mouvement de hip-hop de rue en 2012. La musique est devenue une histoire d’argent : les affaires avant tout. On peut le voir en France aussi : la nouvelle génération y est plus individualiste et se positionne moins politiquement que les Kery James, Youssoupha ou Médine… Le rap sénégalais aussi a perdu son essence revendicatrice et populaire.
En février 2024, vous avez fait partie de la première vague de libération politique et avez déclaré : « Le Sénégalais est un homme de paix, de compassion ».
Personne ne s’y attendait, mais lorsque je sors, je sais que le vent a tourné. Macky Sall s’est tiré une balle dans le pied en tentant de repousser l’élection et a été poussé par les événements à changer de stratégie. Il savait qu’il allait perdre le pouvoir et il lui fallait sauver son image en prétextant un climat de paix sociale, en libérant les détenus politiques et en créant une loi d’amnistie. C’est la réaction de l’opinion internationale qui l’a poussé à faire son gentil républicain après des mois de répression, des dizaines de morts… Le peuple sénégalais a arraché sa liberté.
Et le 24 mars, le pays a témoigné dans les urnes de sa volonté de changement…
Le Sénégal a prouvé la maturité et la soif de démocratie qui a toujours fait sa réputation, avant que Macky Sall ne la dégrade. De manière totalement indépendante, je suis allé battre campagne chez moi à Louga avec mes propres moyens car je m’y sentais plus utile que dans la grande caravane du Pastef. J’ai encore du mal à réaliser qu’on a tourné la page et que Diomaye Faye est passé de la prison au palais en dix jours… J’ai toujours été impressionné par l’histoire de Mamadou Dia ou Lamine Gueye, mais celle qui vient de s’écrire est incroyable. Il faudra beaucoup de films ou de documentaires pour la raconter.
Avez-vous eu des échanges avec Ousmane Sonko depuis l’élection ?
Non, j’ai juste envoyé un message de félicitations. Ils ont du pain sur la planche.
Ils suscitent un immense espoir dans le pays. Êtes-vous confiant ?
Oui ! La jeunesse a soif d’émergence et de développement. Les gens ont de l’espoir, confiance dans l’intégrité de leur nouveau gouvernement et veulent participer à l’effort de la société. Il y a tout pour faire décoller le Sénégal. Il faut réduire le train de vie de l’État pour qu’il soit en phase avec le peuple et pour réussir à résorber la corruption afin que l’argent arrive dans les caisses et puisse être investi dans l’agriculture, la pêche et l’emploi.
Comment un artiste engagé, qui dénonce le pouvoir, reste-t-il légitime et inspiré lorsque ceux qu’il a soutenus arrivent aux affaires ?
Il doit rester naturel. Il y a tellement de choses à dire sur la société, l’amour, l’amitié, le monde qui nous entoure… J’ai porté au pouvoir le régime actuel et je souhaite de tout mon cœur que ça marche pour mon pays, mais j’ai un regard critique et s’ils s’éloignent de la ligne de conduite qui m’a fait les soutenir, je serai leur pire ennemi.
Avez-vous été surpris que le sport, la culture et la jeunesse soient regroupés au sein du même ministère ?
Je suis en phase avec ceux qui trouvent que c’est beaucoup d’attribution pour un ministère qui représente plus de 50% d’une population très sportive. La culture joue un rôle extrêmement important dans notre pays, même si peu de gens s’en sortent financièrement. En ce qui concerne le rap, il y a beaucoup de travail pour créer un écosystème pérenne et professionnel au Sénégal avec des studios, des ingénieurs du son. Le premier âge d’or du rap n’a pas permis de planter des graines. L’État doit aider et le peuple doit aussi donner de la force à ses artistes. Mais je suis optimiste car il y a beaucoup de talents dans le rap galsen.
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