à Paris, la diaspora se mobilise contre le pillage des minerais

Un rapport présenté devant la diaspora congolaise en France pointe la responsabilité du Rwanda dans le trafic et la contrebande des minerais congolais. Son auteur demande qu’une plainte soit déposée devant la Cour internationale de justice, l’abrogation du programme de traçablité ITSCI, et prône un plus grand investissement de la diaspora pour « briser l’omerta ».

Martin Mofali et Carlos Martens Bilongo à Paris le mercredi 22 mais 2024 © Ch. Rigaud – Afrikarabia

Le titre du rapport présenté ce mercredi à Paris par Martin Mofali est éloquent et un brin provocateur : « Piller le Congo, un art maîtrisé par le Rwanda ». Tout au long des 57 pages du document, ce responsable de la stratégie de Congo Na Paris, une plateforme de la diaspora congolaise en France, Martin Mofali s’est plongé dans 47 rapports de l’ONU, a consulté des dizaines de sources officielles congolaises, rwandaises et mené plus de 22 heures d’entretiens avec des experts pour documenter « la traçabilité des minerais congolais et trois décennies de crimes de guerre du pillage perpétré par le Rwanda ».

Offensive diplomatique

La résurgence, fin 2021, de la rébellion du M23, soutenue par Kigali, selon les Nations unies, a remis sur le devant de la scène la guerre sans fin qui se déroule à l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) depuis la fin du génocide rwandais de 1994. Un conflit qui provoque aujourd’hui le déplacement de plus de 7 millions de Congolais. En se basant sur les nombreux rapports des experts de l’ONU, Martin Mofali a souhaité couper court à toute critique d’impartialité. Il faut dire que depuis plusieurs mois Kinshasa mène une importante offensive diplomatique pour dénoncer le soutien du Rwanda aux rebelles et la présence de soldats rwandais sur son sol. Sur le front de la guerre des ressources, les autorités congolaises ont également lancé une plainte contre Apple pour utiliser dans ses produits des minerais « exploités illégalement » qui proviendraient « de mines congolaises » au sein desquelles « de nombreux droits humains sont violés ». L’Est congolais regorge en effet de minerais stratégiques : étain, tungstène, coltan, or. Des minerais sous tension, très utilisés pour la fabrication de téléphones portables et de batteries pour les véhicules électriques.

Chaîne d’approvisionnement fictive, clients fantômes

Les rapports onusiens et les chiffres des exportations de minerais par le Rwanda laissent peu de doutes sur le pillage des ressources du sous-sol congolais. Les chiffres entre la production, très faible, et l’exportation de minerais par Kigali ne collent pas. En 2023, l’Office rwandais des mines a affiché une hausse de 43% de ses exportations pour atteindre le chiffre record de 1,1 milliard de dollars. Une forte hausse qui correspond au passage de la mine de Rubaya sous le contrôle des rebelles du M23.
« En 2015, relève Martin Mofali, le rapport des experts de l’ONU note que le coltan blanc est uniquement extrait en RDC et n’existe pas sous cette forme au Rwanda. De fait, l’homologation de l’entreprise rwandaise CIMIEX a été suspendue pendant 6 mois ». Le rapport explique également le fonctionnement de Congo Golden Mining, une chaîne d’approvisionnement « totalement fictive ». « Entre 2015 et 2019, cette entreprise a fait transiter 13 cargaisons d’or au Rwanda pour expédier à Dubaï. Le premier problème est que l’entreprise n’est pas enregistrée au Congo comme société exportatrice. Second problème, les clients dubaïotes n’existent pas. On pense donc que l’or est partie au Rwanda et n’en a jamais bougé ».

Un marché noir des étiquettes de traçabilité

La traçabilité des minerais fait également défaut. Le programme ITSCI, censé certifier la « propreté » des minerais, semble clairement défaillant. « Il existe un marché noir d’étiquettes ITSCI au sein des mines rwandaises, affirme Martin Mofali. Il existe des mines factices, qui n’enregistrent qu’une faible, voire aucune production, et qui sont utilisées pour faciliter le trafic illicite de minerais, dans le but de convaincre la communauté internationale que les vastes quantités de minerais exportées et étiquetées ITSCI sont produites au Rwanda. C’est le cas de Chris Huber, un contrebandier de minerais, qui avait l’habitude d’organiser un simulacre d’exploitation minière dans ses mines factices, qui étaient en réalité des carrières de gravier ».

Des responsabilités multiples

Présenter dans une salle de l’Assemblée nationale, mise à disposition par le député français Carlos Martens Bilongo, le rapport a suscité de nombreuses réactions au sein de la diaspora congolaise en France. Tout d’abord, pour rappeler qu’au rayon des pilleurs de minerais, le Rwanda n’était pas le seul à profiter des sous-sols de son voisin. « L’Ouganda et le Burundi ne doivent pas être oubliés » a-t-on entendu dans la salle. Plusieurs personnes ont également noté que cette situation était le fait de « 30 ans d’échec de l’Etat congolais, de mauvaise gouvernance et d’incapacité de l’armée congolaise à assurer la sécurité de son territoire ». Pour Désiré Ilunga, président de Congolese Action Young Plateform (CAYP), « la faiblesse de l’Etat congolais ne doit pas donner le droit à nos voisins de nous piller ou de nous tuer ».

Une plainte contre le Rwanda

Martin Mofali indique n’avoir aucune complaisance envers Kinshasa et demande justement dans ses recommandations un renforcement des fonctions régaliennes de l’Etat congolais. Il souhaite aussi voir le gouvernement « introduire une plainte contre le Rwanda auprès de la Cour internationale de justice pour violation de principes de non-intervention et d’interdiction du recours à la force. Et poursuivre individuellement, à la Cour pénale internationale, les autorités rwandaises impliquées dans le pillage de minerais du Congo ». L’auteur du rapport demande l’abrogation du programme de traçabilité ITSCI « en encourageant la mise en place d’autres mécanismes plus transparents et fiables ». Enfin, il voudrait voir la diaspora se saisir du dossier des pillages de minerais et « venir en appui à la diplomatie congolaise, pour briser l’omerta ».

Christophe Rigaud – Afrikarabia


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