« Le puissant sentiment d’injustice ressenti par une partie des Français explique la puissance de la réaction dans les urnes »
Un bon gouvernement, quel qu’il soit, ne peut se passer d’un appui permanent sur les sciences sociales. C’est sans doute pour cela que les mauvais gouvernements commencent toujours par supprimer ces dernières…
Depuis des années, une multitude de travaux mettent, en effet, en évidence le malaise social français et permettent de comprendre sa nature. Déjà en 1993, dans La Misère du monde (Seuil), Pierre Bourdieu signalait l’importance de la misère « de position », écrivant : « Constituer la grande misère en mesure exclusive de toutes les misères, c’est s’interdire d’apercevoir et de comprendre toute une part des souffrances caractéristiques d’un ordre social qui a sans doute fait reculer la grande misère mais qui, en se différenciant, a aussi multiplié les espaces sociaux qui ont offert les conditions favorables à un développement sans précédent de toutes les formes de la petite misère. »
En 2009, dans une note intitulée « Vivons-nous encore dans une société de classes ? », le sociologue Olivier Schwartz mettait en lumière, dans le sillage ouvert par l’ouvrage collectif La France des petits moyens (La Découverte, 2008), l’un des principaux obstacles à la possibilité de continuer à former une « société de semblables », c’est-à-dire une société capable d’intégrer l’ensemble de ses membres et de contenir au maximum les inégalités. Analysant les représentations de machinistes du bas de la hiérarchie dans une grande entreprise, Schwartz remarquait que ces derniers avaient le sentiment d’être soumis à une double pression, l’une venant du haut, mais l’autre venant du bas, de plus bas qu’eux.
Demandes de justice sociale et fiscale
« Cette pression venant du bas, c’est par exemple l’idée qu’il y a trop de chômeurs qui non seulement n’ont pas d’emploi mais qui n’en cherchent pas, qui vivent du RMI ou des aides sociales, qui se dispensent par conséquent de chercher du travail, et qui peuvent s’en dispenser parce que d’autres paient des impôts pour eux. Ou encore, ce peut être l’idée que dans certaines familles immigrées on vit sans travailler, grâce aux allocations, c’est-à-dire grâce à des aides sociales qui, là encore, sont financées par ceux qui travaillent et grâce à leurs impôts. »
Les travaux consacrés aux « gilets jaunes » ont permis de continuer à amasser des connaissances dans cette direction. Dès le début, les chercheurs ont recueilli sur les ronds-points des plaintes relatives aux inégalités sociales et des demandes de justice sociale et fiscale. Plus récemment, les travaux de Yaëlle Amsellem-Mainguy sur Les Filles du coin (Presses de Science Po, 2021), ceux de Benoît Coquard sur Ceux qui restent (La Découverte, 2019) ou encore la bande dessinée de Vincent Jarousseau Les Racines de la colère (Les Arènes, 2019) ont mis pleinement en lumière le sentiment de mépris et d’abandon éprouvé par celles et ceux qui sont restés dans les petites villes et les campagnes pendant que ceux qui pouvaient étudier partaient, ainsi que l’effet destructeur de la déstructuration des lieux de travail et de vie liée aux crises économiques.
Il vous reste 47.97% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.
Crédit: Lien source
Les commentaires sont fermés.