Le calvaire de deux Sud-Africains emprisonnés depuis 500 jours en Guinée équatoriale

Ce sont deux femmes abattues qui se tiennent devant la porte du Parlement panafricain à Midrand, au nord de Johannesburg. Kathy McConnachie, conjointe de Peter Huxham, 55 ans, et Sonja Potgieter, femme de Frederik Potgieter, dit Frik, 54 ans, sont venues avec un comité de soutien pour attirer l’attention des députés africains qui participent à la nouvelle session parlementaire. L’une des missions de l’institution est de promouvoir les droits de l’homme. Et justement, « les droits de l’homme sont bafoués en Guinée équatoriale », disent les pancartes brandies par une quinzaine de personnes habillées de t-shirt orange floqués du mot-clé : « Libérez Frik et Peter. »

Trafic de cocaïne

Les deux hommes travaillaient sur une plateforme pétrolière de l’entreprise néerlandaise SBM Offshore. Ils s’apprêtaient à rentrer en Afrique du Sud quand ils ont été arrêtés à leur hôtel de Malabo, le 9 février 2023. « J’ai reçu un appel de Peter m’informant que quelque chose de terrible venait de se produire. » « Kathy, je ne pense pas qu’on se reverra », rejoue sa compagne en fondant en larmes. Les deux hommes sont arrêtés pour trafic de cocaïne. Kathy ne croit pas une seule seconde que son mari ait pu tremper dans une telle affaire : « je le dis l’esprit léger. »


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Le procès intervient en juin 2023. C’est une « farce », dénoncent les familles dans un communiqué : « L’État n’a présenté aucune preuve crédible, aucun témoin ou expertise, ni même aucune preuve que la drogue qui aurait été retrouvée leur appartiendrait. Il a été dit que la drogue avait été découverte dans leurs bagages. Mais ces mêmes bagages, verrouillés, étaient toujours présents dans leurs chambres cinq jours plus tard quand leurs employeurs, accompagnés de la direction de l’hôtel et de la police locale, les ont récupérés. »

Teodorín, Gabriel, Ruslan… Guerre des clans chez les Obiang

Frik et Peter sont ensuite condamnés à 12 ans de prison et 5 millions de dollars d’amende chacun. « Ces peines extrêmes constituent une violation du nouveau code pénal de la Guinée équatoriale, qui prévoit une peine maximale de trois ans, et sont fondées sur des lois obsolètes », précise encore le communiqué. La justice équato-guinéenne a-t-elle voulu faire de ces deux ressortissants sud-africains des exemples ? Envoyer un message ?

Les villas de Teodorín

Deux jours avant leur arrestation, le mardi 7 février 2023, la justice sud-africaine saisissait au Cap, un yacht et deux villas appartenant à Teodoro Nguema Obiang Mangue, dit Teodorín, vice-président équato-guinéen et fils du chef de l’État. Il est accusé de torture et de détention illégale par l’homme d’affaires sud-africain Daniel Janse van Rensburg.

Ce dernier a été arrêté en 2013 après l’échec de son projet de compagnie aérienne privée qu’il avait monté avec Gabriel Mba Bela dit Angabi, l’oncle d’Obiang junior. L’ancien maire de Malabo, décédé en 2023,  s’était retiré du projet et réclamait l’argent investi. Il accusait son partenaire de fraude et de vol. D’abord blanchi par un juge, Daniel Janse van Rensburg était finalement interpellé par la Force rapide d’invervention, une unité de la police. « Angabi n’a pas accepté le jugement », dit le Sud-africain qui le soupçonne d’avoir téléphoné à Teodorín, alors en charge de la sécurité et de la Défense du pays, pour le jeter en prison.


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Daniel Janse van Rensburg a passé 549 jours en détention dont la grande majorité dans la terrible prison de Black Beach où il a subi des sévices. Depuis, il a raconté son histoire dans un livre, Black Beach: 491 Days in One of Africa’s Most Brutal Prisons, et il essaie de faire condamner Teodorín Obiang pour obtenir une compensation. Il a une pensée pour ses deux compatriotes. « Passer un jour dans ces prisons, c’est déjà un jour de trop. La maltraitance, tout ce que vous devez surmonter, c’est terrible, il n’y a aucune pitié là-bas et personne ne s’occupe de vous », raconte-t-il.

Teodorín Obiang, le fils du président et vice-président de la Guinée équatoriale à la cathédrale de Malabo lors d’une messe pour célébrer son 41e anniversaire, le 25 juin 2013. © JEROME LEROY/AFP

Les « biens mal acquis » de Teodorín Obiang vendus (très chers) aux enchères à Paris

Sa victoire judiciaire contre la famille Obiang avec la saisie des biens a été de courte durée. D’abord, elle a très probablement conduit à l’arrestation de ses deux compatriotes. Quand Naledi Pandor, la ministre sud-africaine des affaires étrangères, s’est rendue à Malabo le 5 mai où elle a évoqué le sujet selon un communiqué du ministère, elle aurait reçu ce message en retour : « la seule façon de les libérer, c’est de parler à Errol pour qu’il fasse dessaisir les propriétés », affirme Errol Eldson, l’avocat de Daniel Janse van Rensburg. Contactés, ni le ministère des Affaires étrangères ni l’ambassade équato-guinéenne à Pretoria n’ont répondu à nos sollicitations.


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Trop cher à entretenir, le yacht a été rendu

Errol Eldson ne veut pas abandonner les deux villas saisies au Cap, au risque de faire perdre tout dédommagement à son client. Le yacht, le Blue Shadow, a déjà été libéré car le coût de la maintenance et le salaire des employés aurait dû être payés par les plaignants jusqu’à la fin du procès. « On avait déjà les deux propriétés et je me suis dit, en signe de bonne foi, que si je libérais le bateau, ils libéreraient les deux otages, mais ça ne s’est pas produit », déplore l’avocat. La défense de Téodorin Obgiang a fait appel du jugement en Afrique du Sud et la Cour suprême d’appel doit étudier le dossier d’ici la fin de l’année.

En attendant, Frik et Peter croupissent en prison. « Ils sont otages en Guinée équatoriale depuis plus de 501 jours, ils sont détenus illégalement, ils sont innocents, les chefs d’accusations ont été fabriqués de toutes pièces, donc on aimerait le soutien du Parlement panafricain », appelle Shaun Murphy, porte-parole de Frik. Une pétition a été transmise au président du Parlement, le 24 juin. Celle-ci s’adresse également au Comité pour la justice et les droits humains, dans lequel siège la députée équato-guinéenne Evangelina Filomena Oyo Ebule. Malheureusement pour les familles des prisonniers, la délégation équato-guinéenne n’était pas présente à l’ouverture de la session parlementaire et devait arriver deux jours plus tard.

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