« Je ne connais rien du Mali où on veut m’expulser. Ma vie est ici. »

Cela fait un mois que je suis au centre de rétention. Je ne dors plus, je perds du poids, je suis enfermé dans une cage, je tourne en rond comme si j’étais le pire des criminels. Je vois des avions décoller tout le temps au-dessus de ma tête, à longueur de journées. Les murs tremblent. Les gens prennent des médocs, ils se cachetonnnent, ils se taillent les veines. Il y en a qui se suicident. En vrai de vrai, moi, je ne sais pas ce que je fais ici.

Je me disais qu’en France, on ne pourrait pas traiter quelqu’un comme ça pour des histoires de papier.

On m’a mis une OQTF (Obligation de quitter le territoire français) en me reprochant plusieurs années plus tard des choses que j’ai déjà payées et après m’être réinséré. J’ai subi les premières conséquences de la loi asile et immigration de 2024. On m’a aussi reproché de ne pas avoir fait les démarches nécessaires pour me régulariser, ce qui est faux.

À plusieurs reprises, j’ai fait mes démarches. Une décision prise par un tribunal administratif annulait les arrêtés pris contre moi et le préfet devait me donner un titre de séjour provisoire le temps de faire mes démarches. La préfecture n’a pas respecté cette décision, ce qui est grave. Après mon OQTF, les autorités maliennes ont délivré à la préfecture un laissez-passer et la préfecture a programmé un vol, vendredi 28 juin, vers le Mali. Je ne peux pas y croire.

« Je suis arrivé quand j’avais 3 ans »

Après l’expulsion du « En gare » (une association à Montreuil, NDLR), quand on m’a emmené en garde à vue, j’étais loin de me dire que je me retrouverai en rétention. C’est l’histoire des autres habitants qui m’impactait le plus, surtout que j’étais le référent du pôle « social » et « sécurité » dans cette association. Je pensais que je ne craignais rien avec une décision d’un tribunal administratif et mes démarches en cours. Le papier aurait dû suffire pour me sortir de garde à vue. Mais tout a basculé. Je sais que c’est réel, mais je ne peux pas y croire. Je me disais qu’en France, on ne pourrait pas traiter quelqu’un comme ça pour des histoires de papier. J’ai grandi et vécu ici. Je suis arrivé quand j’avais 3 ans.




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J’ai un parcours un peu compliqué. Ma famille est toujours là en soutien. C’est ma grand-mère qui m’a fait venir en France pour soigner mon problème d’œil. J’ai toujours vécu à Montreuil. J’ai la preuve pour chaque année que je vis en France depuis mes trois ans. Toutes les preuves de mon existence, je les ai. Pour ma régularisation, j’attendais seulement la délivrance de documents de la préfecture qui ne sont jamais venus. Je travaillais au musée du Louvre en logistique. Mon contrat a été rompu parce que j’attendais les documents. Quand ils ont expulsé l’association du « En gare », j’ai reçu mon OQTF.

Ma grand-mère, mon oncle, ma tante, mes cousins, mes enfants, mes bonheurs, mes malheurs : tout est ici.

Hier, j’ai vu mes proches pour qu’on se dise au revoir. Toute ma famille, tous mes amis, ceux avec qui j’ai grandi, sont ici. Ma grand-mère, mon oncle, ma tante, mes cousins, mes enfants, mes bonheurs, mes malheurs : tout est ici. J’ai mal au cœur, vous pouvez pas savoir. Mes enfants, je ne les ai pas revus. C’est pas des conditions pour voir des enfants, ici.

Personne ne mérite d’être enfermé pour des histoires de papier. Quand t’es transporté, au tribunal par exemple, t’es ceinturé autour des abdominaux, t’es menotté, on t’attache. Quand t’entends que l’autre, ils ont déjà essayé de le mettre dans un vol, qu’il a été attaché, qu’il est traumatisé, ton cerveau tourne à 100 km/heure. Si ce sont des vols cachés, ils te prennent pendant la nuit. Pour les vols classiques, si tu refuses d’y aller, ils t’attachent aussi.

« Ici, t’es moins que rien »

Peu importe tes mouvements, ce sont les haut-parleurs qui parlent. Quand le haut-parleur dit un nom, ça met la pression à tout le monde. Tout est fait pour te dérégler, tu deviens dingue. Quand le haut-parleur dit ton nom, tu viens, tu te présentes à la grille et si tu ne viens pas, c’est eux qui viennent te chercher.

Je n’ai pas causé de tort à qui que ce soit, mais on bafoue tous mes droits.

Je ne connais rien du Mali où on veut m’expulser. Ma vie est ici. Le Mali, c’est un pays où je suis né, mais je ne connais pas les coutumes comme en France où j’ai pris mes repères. Je n’ai rien là-bas. Qui va m’aider ? Qu’est-ce que je vais faire comme travail ou formation ?

Je vous jure, c’est inhumain. Même moi, j’arrive pas à y croire. Pourtant, je sais que c’est réel : demain, un potentiel départ. Je suis à bout de souffle, à bout de nerfs, à cran, je dors pas, je pète des plombs, je vois des choses que je ne devrais pas voir. Je n’ai pas causé de tort à qui que ce soit, mais on bafoue tous mes droits. Mais pour des trucs administratifs, pour des histoires de papiers, se retrouver dans des endroits comme ça, c’est inhumain. Les gens craquent, certains se plantent. C’est normal, les gens sont prêts à tout, car la nuit comme le jour, toutes les trente à quarante secondes, les avions décollent au-dessus de leur tête. Et on sait qu’on va devoir prendre un vol. Ici, t’es moins que rien, et même moins que rien, c’est mieux que toi.




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Un des éléments qui me fait tenir, c’est la solidarité et l’entraide. Parce que quand tu es tout seul ici, tu craques. Je voudrais remercier, ma famille, mes proches, chaque membre du « En gare » et les gens qui se sont mobilisés, mon avocate qui n’a rien lâché, merci du fond du cœur. Respect à toute la solidarité et tout ce qui se met en place, à ceux qui compatissent et font ce qu’ils peuvent. Peu importe les difficultés, et j’en ai surmontées dans ma vie, c’est là qu’on voit la solidarité et les gens qui n’aiment pas l’injustice. Si jamais je pars, j’espère que ce texte servira à quelqu’un.

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