Législatives 2024 : majorité absolue ou relative, démission du président… Dominique Rousseau décrypte les enjeux constitutionnels du scrutin

Le constitutionnaliste montpelliérain, professeur émérite de droit public à la Sorbonne, analyse, à la lueur du droit et de l’Histoire, ce qui pourrait advenir à la tête du pays au terme du second tour.

Le Président dit qu’un succès du RN ou du Nouveau Front populaire engendrerait le chaos. N’y a pas d’abord un risque de chaos constitutionnel, aussi en cas de majorité relative ?

Une majorité absolue pour le Rassemblement national ou le Nouveau Front Populaire ne produirait ni guerre civile ni chaos. La Ve République a déjà connu des situations de cohabitation ou d’alternance, et alors que beaucoup prédisaient le chaos, y compris en 1974 quand Giscard-d’Estaing a été élu président au prétexte que la Constitution avait été écrite par le Général de Gaulle pour les gaullistes, les institutions ont toujours fonctionné. Ce fut le cas aussi lors des différentes cohabitations. Arrêtons donc de dramatiser.

Si les urnes ne délivrent pas de majorité absolue, il appartiendra alors au Président de la République de désigner une personnalité chargée de construire une coalition majoritaire, selon le modèle en Allemagne, en Espagne et dans tout régime parlementaire. Ce ne sera pas plus la catastrophe. On a d’ailleurs bien vu, depuis 2022, qu’un gouvernement minoritaire a pu voter des lois importantes, comme la réforme des retraites ou la loi sur l’immigration. Les oppositions étant divisées, donc minoritaires, elles n’ont pas réussi à s’accorder pour renverser le gouvernement.

Et si elles parviennent cette fois à faire passer une motion de censure ?

Le Président ne pouvant plus dissoudre l’assemblée nationale pendant l’année qui suit la première dissolution, il aurait encore la possibilité, comme ce fut le cas en Italie, de nommer un gouvernement de techniciens, d’experts, pour assurer la continuité de l’État au moins jusqu’à juin 2025, moment où il retrouverait le droit à la dissolution. Ce gouvernement technique gérerait les affaires courantes et élaborerait le budget, ce qui n’est déjà pas une mince affaire au regard du déficit du pays ou de l’aide militaire à l’Ukraine. Ce ne serait pas une première sous la Ve République. C’est ce que Valéry Giscard-d’Estaing a fait en 1976, après la démission de Jacques Chirac. Il a nommé au poste de Premier ministre Raymond Barre, alors considéré comme “le meilleur économiste de France”. Ce n’est que plus tard que M.Barre a fait de la politique.

Mais un gouvernement technique ne peut-il pas aussi être renversé ?

Évidemment, l’assemblée nationale pourrait à tout moment mettre fin à ce gouvernement si les groupes parlementaires s’entendent pour cela.

Est-ce que cela peut être un outil politique pour pousser le président Macron à la démission ?

C’est déjà arrivé dans l’Histoire, sous la IIIe République, avec un Président poussé à la démission mais par un groupe majoritaire. En 1877, Mac Mahon avait dissous la chambre des députés en demandant au peuple de lui envoyer une majorité conservatrice. Ce sont finalement les républicains qui sont restés majoritaires et Gambetta a eu cette formule restée célèbre : “le président devra se soumettre ou se démettre”. Mac Mahon s’est d’abord soumis en nommant un Président du Conseil républicain, mais au bout de deux ans, en 1879, lorsqu’on a proposé à sa signature une loi mettant à la retraite d’office des généraux monarchistes, il a refusé de signer et a préféré démissionner. Ainsi, dans l’hypothèse d’une majorité absolue pour le Rassemblement national, et si Jordan Bardella applique le programme tel qu’il a été présenté sur la préférence nationale ou la suppression du droit du sol, Emmanuel Macron pourrait être poussé à la démission s’il refuse de promulguer ces lois.

Le Président est-il soumis à une obligation de promulguer toute loi ou peut-il s’y opposer ?

Il peut demander une seconde délibération au Parlement. Il peut encore saisir le Conseil constitutionnel, comme il l’a fait après les débats sur l’immigration, afin de vérifier si la loi adoptée est conforme à la Constitution. Mais si les Sages la valident, alors il n’a pas d’autre choix que de la promulguer. Sauf à démissionner.

Même s’il a rejeté cette hypothèse, peut-il, en cas de démission, se présenter à nouveau au prétexte qu’il n’aura pas accompli deux mandats pleins ?

Non. La Constitution est très claire, elle dit qu’il est interdit de faire plus de deux mandats consécutifs.

Mais le Conseil d’État, en 2022, avait autorisé une troisième candidature du président de Polynésie qui venait de démissionner. Il n’y aurait pas jurisprudence ?

Non, parce que la loi organique de la Polynésie précisait “deux mandats de 5 ans consécutifs”, ce qui n’est pas indiqué pour le président de la République.

Le Président est donc contraint par la Constitution, y compris dans le choix du Premier ministre en cas de majorité absolue ?

En effet, il sera obligé de nommer la personnalité que la majorité absolue lui désignerait. Sinon, il prendrait un risque immédiat, celui de voir le gouvernement immédiatement renversé par la majorité à l’assemblée nationale. Si aujourd’hui, Emmanuel Macron laisse entendre que Jean-Luc Mélenchon serait nommé à Matignon en cas de victoire de la gauche, ce n’est qu’une rhétorique politique de campagne sans aucun argument constitutionnel car M.Mélenchon ne sera a priori pas majoritaire, y compris au sein du Nouveau Front populaire.

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