Viols, meurtres et faim : le bilan d’une année de guerre au Soudan

Les souffrances risquent de s’aggraver, a prévenu Justin Brady, chef du bureau d’aide humanitaire des Nations Unies (OCHA) au Soudan, à ONU Info.

« Sans plus de ressources, non seulement nous ne pourrons pas arrêter une famine, mais nous ne pourrons aider pratiquement personne », a-t-il déclaré. « La plupart des rations que les gens reçoivent du Programme alimentaire mondial (PAM) sont déjà réduites de moitié, nous ne pouvons donc pas en tirer davantage pour essayer de faire fonctionner cette opération ».

Les conditions difficiles sur le terrain ont atteint un niveau d’urgence peu après que les forces armées soudanaises et les forces de soutien rapide ont lancé des attaques aériennes et terrestres à la mi-avril 2023, a-t-il souligné, et cette vague de violence continue de déferler à travers le pays aujourd’hui.

Une situation qui s’aggrave

« Nos plus grandes préoccupations concernent les zones de conflit à Khartoum même et dans les États du Darfour », a déclaré Justin Brady depuis Port-Soudan, où les efforts humanitaires se poursuivent pour apporter une aide vitale à ceux qui en ont le plus besoin.

Khadija, une personne déplacée soudanaise à Wad Madani.

L’ensemble de la communauté humanitaire a été contrainte de quitter la capitale soudanaise quelques semaines seulement après le début des combats en raison de la situation sécuritaire désastreuse.

Alors qu’une récente alerte à la famine montre que près de 18 millions de Soudanais sont confrontés à une faim aiguë, le plan de réponse de 2,7 milliards de dollars pour 2024 n’est financé qu’à hauteur de 6%, a précisé M. Brady. « C’est très mauvais, mais je ne pense pas que nous ayons atteint le fond », a-t-il dit.

Les conditions étaient mauvaises même avant la guerre, en raison du coup d’État de 2021, avec une économie en faillite et des vagues de violences ethniques, a-t-il expliqué.

Sauf qu’aujourd’hui, bien que des fournitures humanitaires soient disponibles à Port-Soudan, le principal défi consiste à assurer un accès sûr aux populations touchées. Or, cette assistance est actuellement entravée par des entrepôts d’aide pillés et des obstacles bureaucratiques paralysants, l’insécurité et des coupures totales de communications.

« Le Soudan est souvent qualifié de crise oubliée », a-t-il déclaré, « mais je me demande combien de personnes étaient au courant de cette crise pour pouvoir l’oublier ».

La guerre et les enfants

Alors que la faim s’abat sur le pays, les médias ont rapporté qu’un enfant mourait toutes les deux heures de malnutrition dans le camp de déplacés de Zamzam, au Darfour Nord.

En effet, 24 millions d’enfants ont été exposés au conflit et un chiffre stupéfiant de 730.000 enfants souffrent de malnutrition aiguë sévère, a déclaré à ONU Info Jill Lawler, cheffe des opérations sur le terrain au Soudan pour le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF).

« Les enfants ne devraient pas avoir à vivre cela, à entendre des bombes exploser ou à être déplacés à plusieurs reprises » dans un « conflit qui doit simplement prendre fin », a-t-elle dit, décrivant la première mission d’aide de l’ONU à Omdurman, la deuxième plus grande ville du Soudan.

Plus de 19 millions d’enfants ne sont plus scolarisés et de nombreux jeunes portent également des armes, ce qui reflète les informations selon lesquelles les enfants continuent d’être victimes d’un recrutement forcé par des groupes armés.

Trop faible pour allaiter

Pendant ce temps, les femmes et les filles qui ont été violées au cours des premiers mois de la guerre accouchent désormais, a souligné la cheffe des opérations de l’UNICEF. Certaines sont trop faibles pour allaiter leurs enfants.

« Une mère en particulier soignait son fils de trois mois et, malheureusement, elle n’avait pas les ressources nécessaires pour fournir du lait à son fils. Elle a donc eu recours au lait de chèvre, ce qui a provoqué un cas de diarrhée », a déclaré Mme Lawler.

Le nourrisson était l’un des « rares chanceux » à pouvoir bénéficier d’un traitement alors que des millions d’autres n’ont pas accès aux soins, a-t-elle dit.

Des personnes fuyant les violences transitent par un centre de transit à Renk, dans le nord du Soudan du Sud.

Des personnes fuyant les violences transitent par un centre de transit à Renk, dans le nord du Soudan du Sud.

Morts, destructions et assassinats ciblés

Sur le terrain, les Soudanais qui ont fui vers d’autres pays, ceux qui sont déplacés à l’intérieur du pays et certains qui témoignent des souffrances persistantes ont partagé leurs points de vue.

« J’ai perdu tout ce que j’avais jamais possédé », a raconté Fatima (nom changé pour protéger son identité), une ancienne employée de l’ONU, à ONU Info. « Les milices ont pillé notre maison et ont tout pris, même les portes ».

Pendant 57 jours, elle et sa famille ont été piégées dans leur maison à El Geneina, dans l’ouest du Darfour, tandis que les milices ciblaient et tuaient systématiquement les gens en fonction de leur appartenance ethnique, a-t-elle expliqué.

« Il y avait tellement de cadavres dans les rues qu’il était difficile de marcher », a-t-elle déclaré, décrivant leur fuite.

Pas de solution en vue

Le photographe Ala Kheir couvre la guerre depuis que de violents affrontements ont éclaté à Khartoum il y a un an, affirmant que « l’ampleur du désastre » est bien plus grande que ce que les médias décrivent.

« Cette guerre est très étrange parce que les deux parties détestent le public et les journalistes », a-t-il déclaré à ONU Info dans une interview exclusive, soulignant que les civils subissent le plus gros des affrontements meurtriers en cours.

« Un an plus tard, la guerre au Soudan se poursuit et la vie de millions de Soudanais est complètement au point mort », a-t-il dit, « sans aucun signe de solution en vue ».

Des femmes et des enfants vont chercher de l'eau dans l'est du Soudan.

© UNICEF/Ahmed Elfatih Mohamdee

Des femmes et des enfants vont chercher de l’eau dans l’est du Soudan.

Appel à l’action

Alors que le Conseil de sécurité de l’ONU a appelé à un cessez-le-feu pendant le mois sacré du Ramadan, qui s’est terminé la semaine dernière, les combats se poursuivent, a noté M. Brady d’OCHA.

« Nous avons besoin que la communauté internationale ne se tienne pas à l’écart, qu’elle engage les deux parties et les amène à se parler car ce conflit est un cauchemar pour le peuple soudanais », a-t-il déclaré, expliquant qu’un plan de prévention de la famine est en préparation avant une conférence d’annonces de contributions pour les fonds cruellement nécessaires, qui se tiendra lundi à Paris, le jour où la guerre entrera dans sa deuxième année.

Dans une tribune publiée samedi dans le quotidien français Le Monde, le chef de l’humanitaire de l’ONU, Martin Griffiths, a appelé la communauté internationale à « prendre ses responsabilités » après un an de conflit dévastateur.

Selon lui, les enjeux de la conférence humanitaire à Paris sont immenses : « l’avenir du troisième plus grand pays d’Afrique est compromis ; la survie de millions d’enfants, de femmes et d’hommes est en jeu alors qu’une éventuelle famine et la période de soudure se profilent ; la stabilité de toute une région, qui accueille déjà des centaines de milliers de réfugiés, est menacée ».

Il a réclamé une réponse humanitaire entièrement financée, une cessation immédiate des hostilités et un accès humanitaire sûr et sans entraves.

La cheffe du Programme alimentaire mondial (PAM), Cindy McCain  a également appelé à une cessation immédiate des hostilités, alors que des retombées se font sentir au Soudan du Sud et au Tchad, où la perturbation des échanges commerciaux et les déplacements massifs de population mettent à rude épreuve les ressources et intensifient la faim.

« Des millions de personnes au Soudan, au Soudan du Sud et au Tchad sont menacées de famine parce que cette guerre a ravagé l’agriculture, les entreprises et les économies nationales, laissant ses victimes affamées et sans le sou », a-t-elle déclaré dans un communiqué de presse publié samedi. « Les combats doivent cesser maintenant, sinon la région pourrait bientôt connaître la plus grande crise alimentaire au monde ».

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