« Je crois que la sécurité et la paix durables dépendront de la capacité de nos Etats à réaliser l’intégration économique »
Entretien en couverture de DIFA numéro 7. Le Général Djibril Bassolé a d’abord été ministre de la Sécurité puis des Affaires étrangères du Burkina Faso sous le régime de Blaise Compaoré. A l’international, il a représenté le Burkina Faso non seulement en tant que ministre des Affaires étrangères, mais également pour le compte de l’ONU et de l’Union africaine. Il est envoyé spécial de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) pour la paix au Sahel. Plus récemment, il s’est impliqué dans la médiation entre les acteurs politiques au Tchad.
Que se passe t’il au juste au Burkina Faso ? Depuis un certain temps, l’on entend parler d’une crise au sommet de l’Etat avec l’incident de l’explosion d’une roquette au siège de la télévision nationale, la disparition puis la réapparition du capitaine Ibrahim Traoré et l’arrivée de mercenaires russes de Wagner et de soldats maliens pour le protéger.
Je ne suis pas dans le secret des dieux pour savoir ce qui se passe dans les cercles du régime à Ouaga et qui semble être une affaire purement interne. Je fais abstraction par prudence, des informations véhiculées par les réseaux sociaux qui sont bien souvent du domaine de la désinformation et de la manipulation de part et d’autre. C’est malheureusement ce qui se passe quand dans un pays, la liberté de la presse est bafouée et que les journalistes ne peuvent plus faire leur métier de donner les faits.
On peut simplement constater à l’évidence qu’il existe des tensions et un malaise au sein des armées dont la cohésion et le moral sont mis à très rude épreuve à cause des affres de la situation chaotique de sécurité que les différentes composantes militaires et paramilitaires vivent au quotidien sur le terrain. L’arrivée de troupes étrangères n’est certainement pas la solution à mon avis. Au contraire, elle pourrait même engendrer des complications.
Il semble que la dernière attaque terroriste du JNIM* à Mansila contre un détachement de l’armée burkinabè serait le facteur déclencheur d’une fronde dans les casernes ?
Les bilans de ses attaques à répétitions sont effroyables en effet et difficilement supportables pour une armée.
Comment vous expliquez un bilan aussi important que les groupes djihadistes revendiquent ?
Vous savez, la guerre pour être bénéfique doit être bien pensée, limitée dans le temps et dans l’espace avec des buts de guerre réalistes.
Vous me direz que la critique est peut être facile quand on est loin comme je le suis, du théâtre des opérations. Je connais néanmoins suffisamment les réalités du terrain pour faire quelques constats.
Premier constat, la formule des détachements isolés qui ne peuvent bénéficier de soutiens appropriés exposent les hommes à la merci des groupes armés qui attaquent chaque fois en force et par surprise. Nos soldats ont beau être vaillants, sans appui et en infériorité numérique, ils ne peuvent pas tenir.
Deuxième constat, il n’y a plus aucune surveillance dissuasive qui empêche les groupes armés de rassembler de très gros effectifs (plusieurs centaines) pour lancer leurs assauts contre les casernes des détachements de l’armée. Ces groupes semblent évoluer librement en terrain conquis. Troisième constat, l’implication des civils armés qui sont sommairement formés, mal encadrés et qui foutent la pagaille qui en fin de compte, coûtent chers à tout le monde. Dans ces conditions, les méthodes désastreuses obstinément utilisées par le régime ne peuvent que coûter très cher en vies humaines. Et lorsque les hommes se font massacrer comme de la chair à canon faute de précautions et dans une indifférence générale, cela crée forcément des frustrations et de la colère devant l’impression terrible d’être sacrifiés.
Dans une armée en opérations, les chefs doivent constamment avoir le souci de préserver au mieux l’intégrité physique et morale de leurs soldats car, comme me le disait souvent un de mes instructeurs, « la meilleure qualité d’un combattant c’est d’être vivant ».
Qu’est-ce que vous préconisez alors pour en finir avec ce phénomène du terrorisme qui ravage le Burkina et les pays du Sahel central ? Vous pensez que les négociations peuvent ramener la paix ?
Ecoutez ! je suis bien placé pour savoir que l’usage des armes est indispensable dans le cadre de la lutte contre les groupes terroristes et criminels. Force doit rester à la loi dans tout Etat digne de ce nom. Seulement, la guerre, il faut bien la faire et la gagner relativement rapidement comme je le disais tantôt pour éviter de plonger le pays dans les conséquences désastreuses d’une guerre sans fin. Sans compter le fait que les activités djihadistes se développent mieux dans un environnement de crises et de conflits armés.
Le dialogue que je préconise moi, vise les communautés que l’on taxe de collaborer avec les organisations djihadistes et qui font l’objet d’exactions et de tueries de masse. Nous devons dialoguer pour créer avec elles les conditions d’une paix stable plutôt que de les inciter et les pousser quasiment par nos comportements bellicistes, à se lancer dans les mouvements djihadistes contre leur Etat pour se protéger et survivre. Un Etat, pour réussir à ramener la paix, doit savoir être inclusif.
Que répondez vous au capitaine Ibrahim Traoré qui vous accuse personnellement de « composer avec des terroristes pour semer le chaos au Burkina et arrêter sa marche vers la souveraineté véritable » ?
Je voudrais ne pas descendre dans ce genre de polémique avec le capitaine et relever plutôt le niveau du débat pour contribuer à trouver pour le Burkina et la sous- région, des solutions de sortie de crise. En général, le complexe de l’incompétence peut conduire à être agressif, outrancier et à rechercher constamment des boucs émissaires au lieu de faire un diagnostic sérieux et rigoureux de l’équation à résoudre, en l’occurrence le phénomène terroriste. Lorsqu’on se complait à faire des évaluations fantaisistes et tronquées de la situation de l’insécurité, naturellement on ne peut pas trouver la bonne solution. Et il est consternant de voir comment les populations civiles et les militaires de notre pays sont massacrés au quotidien à cause justement des fausses analyses, de la manipulation politicienne et de la posture belliciste des dirigeants. Le Burkina mérite beaucoup mieux que ce qui lui arrive aujourd’hui. Les propos agressifs et haineux entretenus et encouragés par les tenants du régime nous dévaluent et nous vulnérabilisent.
J’ai toujours pensé que pour venir à bout de l’extrémisme violent qui mine les sociétés du Sahel, il nous faut consolider la cohésion nationale et proscrire la catégorisation clivante des burkinabè entre «patriotes» et «apatrides». Avec un pays et une armée délibérément divisés, il nous sera impossible de gagner la guerre et de construire la paix. Pour conclure sur cette question, je comprends bien l’état d’esprit du capitaine. Je voudrais l’inviter à garder son sang-froid et à ne surtout pas se tromper dans l’évaluation de la nature de la menace terroriste. L’écoute, la sagesse et la tempérance l’aideront sans nul doute à surmonter les difficultés qui l’assaillent.
Suite à la publication du rapport au mois d’avril, de l’organisation Human Rights Watch accusant l’armée burkinabè d’avoir massacré au moins 223 civils au nord du Burkina Faso, certaines voix vous ont accusé d’avoir saisi la Cour Pénale Internationale. Qu’en est-il ?
Non ! je n’ai pris aucune initiative allant dans ce sens. Et si c’était le cas, je le ferais à haute et intelligible voix en toute transparence. L’armée burkinabè en tant qu’institution ne mérite pas une telle réputation. Elle s’était toujours montrée exemplaire dans l’exécution de ses missions. Quand j’étais au Darfour comme Médiateur des Nations unies et de l’Union africaine, je ne recevais que des éloges des populations, des autorités soudanaises ainsi que des responsables onusiens au sujet des prestations des contingents militaires burkinabè. Jamais aucune exaction, aucun scandale ne leur était reproché. C’est dommage que leur réputation soit ternie à cause de ces tueries de masse apparemment planifiées et exécutées par leurs supplétifs. Les Forces régulières d’un pays doivent être entrainées et équipées pour être efficaces et rigoureusement professionnelles dans le cadre des opérations militaires de lutte contre le terrorisme.
Parlant toujours de la CPI, les médias rapportent l’inculpation et l’émission d’un mandat d’arrêt international contre Iyad Ag Ghaly, accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité dans la région de Tombouctou au nord Mali entre 2012 et 2013. Vous apparaissez dans une photo à ses côtés. Quels sont vos liens avec Iyad et que pensez vous de cette action judiciaire de la CPI ?
J’ai toujours eu un profond respect pour la Justice. Je ne ferai donc pas de commentaires quant aux décisions de la CPI. Mon vœux le plus cher en tant que citoyen de cette région du Sahel, c’est que les exactions prennent fin et que les vies humaines et la quiétude des population soient préservées. Au sujet des photos faites avec Iyad Ag Ghaly en 2013, et qui sont utilisées depuis bientôt une dizaine d’années par mes détracteurs pour me diaboliser, je voudrais simplement préciser que ces images ont été réalisées par les journalistes de la presse nationale et internationale qui avaient bien voulu effectuer cette mission à hauts risques avec moi, dans un vol spécial militaire au nord Mali, en pleine guerre.
A cette époque (2012-2013), j’étais le représentant de la médiation de la CEDEAO confiée au Burkina Faso, et l’envoyé spécial de l’Organisation de la Coopération Islamique (OCI) pour le Mali et le Sahel. Après la signature de «l’accord préliminaire à l’élection présidentielle et aux pourparlers inclusifs de paix au Mali» le 18 juin 2013 et dont je peux vous transmettre une copie, il est apparu nécessaire que je me rende à Gao et à Kidal afin de discuter avec les principaux protagonistes les modalités de la mise en œuvre de cet accord et surtout insister justement sur l’impérieuse nécessité pour ces protagonistes de se démarquer des groupes terroristes comme le stipulait l’accord. Entre autres actions terroristes à cet époque, il y avait la démolition des mausolées de Tombouctou qui défrayait la chronique. Cette mission tout à fait officielle (couverte par la RTB et d’autres organes de presse) avait été bénéfique dans la mesure où l’élection présidentielle au Mali avait pu se dérouler en juillet 2013 sur toute l’étendue du territoire national. Ce dialogue méritait d’être poursuivi à mon humble avis ; si tel avait été le cas, nous aurions pu éviter la radicalisation de certains groupes et la situation désastreuse de l’insécurité que les pays du Sahel central vivent aujourd’hui.
En ce qui concerne l’exploitation malveillante des photos de la presse prises avec Iyad à cet époque, c’est de bonne guerre j’allais dire dans le monde des intrigues politiciennes. Je voudrais simplement que les gouvernants se départissent des analyses erronées et des accusations fantaisistes qui nous éloignent forcément des véritables solutions de
paix. M’accuser de collusion avec des groupes terroristes sur la base de ces photos relève au mieux de l’ignorance, mais plus probablement d’une mauvaise foi affligeante au regard de la gravité de la situation que nous traversons. Pour ce qui me concerne, je n’accepterai jamais de laisser mon honorabilité être mise en cause par des activistes ou des amateurs !
Le Burkina Faso, le Niger et le Mali ont fait part de leur décision de quitter la CEDEAO et de créer l’’Alliance des Etats du Sahel (AES). Quelles sont les conséquences à en attendre sur le plan sécuritaire ?
Je pense que l’AES dont les fondations reposent sur celles de l’Autorité du Liptako Gourma, peut être plutôt un cadre approprié de la lutte concertée contre le terrorisme et une organisation de promotion de la paix et du développement dans cette partie de la bande sahélienne confrontée aux problèmes de la sécheresse et de la désertification. Il lui faut pour cela faire la paix avec la CEDEAO en tant qu’organisation d’intégration, et promouvoir des relations bilatérales de bon voisinage avec les pays voisins comme la Côte d’Ivoire, le Bénin et la Mauritanie pour ne citer que ceux-là. Je crois que la sécurité et la paix durables dépendront de la capacité de nos Etats à réaliser l’intégration économique.
Le Président Bassirou Diomaye Faye du Sénégal souhaiterait voir la CEDEAO se réunifier. Pensez- vous qu’il soit entendu ?
Le Président Faye a des atouts considérables pour être entendu. D’abord il jouit d’une légitimité incontestable puisqu’il a été brillamment élu. Ensuite il a la possibilité de parler avec tous les chefs d’états de la CEDEAO. Il n’a aucun contentieux avec personne. Enfin il fait preuve d’humilité, de réalisme et de lucidité. Fort de ces atouts, il pourrait aider l’organisation à préserver sa cohésion et à sauvegarder les acquis de l’intégration économique.
Notes:
*JNIM : Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM) ou Groupe de Soutien à l’Islam et aux musulmans s’est décrit comme la branche officielle d’al-Qaida au Mali. En 2017, la branche saharienne d’al-Qaida au Maghreb islamique, al-Murabitoun, Ansar al-Dine et le Front de libération du Macina se sont réunis pour former le JNIM. Opérant au Mali, au Niger et au Burkina Faso, le JNIM est responsable de nombreuses attaques et enlèvements.
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