Le Burkina Faso est secoué par des attaques jihadistes depuis de nombreuses années. La dernière en date, perpétrée le 11 juin, a provoqué la mort de militaires postés à la frontière avec le Niger. Dans ce contexte d’insécurité, des publications prétendent dévoiler l’image d’un « appareil » permettant « aux groupes terroristes d’écouter les conversations des forces de défense et de sécurité burkinabè ». L’AFP n’a pas pu retrouver l’origine de cette image, ni déterminer où et quand elle avait été prise. Cependant, cet équipement est un brouilleur conçu pour couper la connexion entre un drone et son pilote et non un matériel d’espionnage, selon un spécialiste de l’industrie de l’armement. Il s’agit d’un « Ihasavar », commercialisé par Aselsan, une société d’armement turque, dont les caractéristiques sont décrites dans une dépêche de l’agence de presse étatique turque Anadolu.
Le 11 juin 2024, le Burkina Faso a été touché par une nouvelle attaque jihadiste meurtrière.
Ce jour-là, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM, affilié à Al-Qaïda) a frappé la localité de Mansila (située dans le nord-est du pays), ainsi que le détachement militaire qui s’y trouve près de la frontière avec le Niger voisin.
Aucun bilan officiel n’a été donné, mais selon une source sécuritaire, « beaucoup d’éléments sont portés disparus« . Les détachements militaires déployés dans les diverses localités du Burkina Faso comportent généralement environ 150 éléments.
Depuis plusieurs années, ce pays d’Afrique de l’ouest fait face à des attaques jihadistes récurrentes de groupes liés à Al-Qaïda et à l’Etat islamique. Au total, elles ont fait quelque 20.000 morts civils et militaires et environ deux millions de déplacés, depuis 2015.
Après l’arrivée au pouvoir d’une junte militaire hostile à Paris en 2022, le Burkina Faso a rompu ses partenariats avec la France, ancienne puissance coloniale, pour se tourner vers d’autres partenaires, dont la Russie.
Ainsi, entre 2022 et 2023, le Burkina Faso, mais aussi ses voisins malien et nigérien ont contraint les troupes françaises à quitter leur territoire, mettant fin à leur coopération au sein du G5 Sahel : coalition régionale mise en place pour lutter contre les groupes jihadistes (lien archivé ici). Les trois pays sont désormais réunis au sein d’une nouvelle alliance militaire et sécuritaire : l’Alliance des Etats du Sahel (AES).
Au Burkina Faso, le contingent de près de 400 forces spéciales françaises, la force Sabre, a plié bagage en février 2023 (lien archivé ici).
Dans ce contexte, des publications diffusées des centaines de fois sur Facebook depuis le 26 mai 2024 prétendent dévoiler l’image d’un « appareil » permettant « aux groupes terr0ristes (sic) d’écouter les conversations de nos FDS et VDP« , à savoir les Forces de défense et de sécurité (FDS) burkinabè et les volontaires pour la défense de la patrie (VDP), des supplétifs civils venus renforcer l’armée dans la lutte anti-terroriste.
Cet équipement militaire permettrait aussi de « détecter tous drones et tout hélicoptère qui arrive dans la position qu’ils occupent« , avancent ces posts. Ils accusent également la France de l’avoir « fourni aux groupes terr0ristes (sic) » (lien 1,2,3,4…)
Le Ministère des Affaires étrangères français, contacté par l’AFP au sujet de ces accusations, n’a pas répondu. Paris fait par ailleurs l’objet d’une campagne de désinformation au Sahel, en particulier depuis que le Mali, le Niger et le Burkina Faso sont devenus des régimes militaires.
Ces assertions ont suscité de nombreux commentaires en ligne, poussant certains internautes — basés au Burkina Faso — à manifester leur volonté d’une « rupture totale » avec la France.
Mais attention, la légende associée à cette image est fausse. En effet, elle montre un brouilleur de drone de fabrication turque conçu pour couper la liaison entre l’appareil et son pilote, a expliqué à l’AFP un chercheur spécialiste des questions de défense et de l’industrie de l’armement. Ce matériel n’est pas destiné à capter des communications, ni à faire de la détection d’aéronefs, appareils se déplaçant dans les airs.
Par ailleurs, l’AFP n’a retrouvé aucune trace de ce visuel sur les canaux officiels des forces burkinabè.
Une image prise au Burkina Faso ? Rien ne le prouve
Pour retrouver l’image diffusée sur les réseaux sociaux, l’AFP a mené une recherche d’image inversée à l’aide du moteur de recherche Google, qui nous a notamment conduit à un article de presse locale pro-junte.
« Mali : Les Forces Armées Maliennes Infligent Une Lourde Défaite Aux Terroristes À Mourdiah« , est-il intitulé à la date du 28 mai, sur le site de l’Afrique (lien archivé ici).
L’armée malienne a bel et bien indiqué avoir infligé de lourdes pertes aux jihadistes et perdu cinq hommes en repoussant une attaque, le 26 mai à Mourdiah, localité du sud-ouest du Mali située à des centaines de kilomètres du Burkina Faso. Elle a fait état d’un « nombre important de terroristes neutralisés (et) des dizaines de blessés » (lien archivé ici).
L’AFP n’a toutefois pas retrouvé la source originale de l’image diffusée sur les réseaux sociaux, qui a également été publiée sur le site d’une chaîne de télévision nigériane, pour illustrer un tout autre sujet d’actualité. En anglais, le média nigérian écrit, le 11 juin : « Des terroristes de Boko Haram enlèvent 3 personnes sur la route Kano-Maiduguri » (lien archivé ici).
Dans cet article, dix images montrent des tas d’armes étalées sur des couvertures, ou encore des pick-up stationnés près d’un bosquet ; on y retrouve le visuel actuellement relayé sur les réseaux sociaux.
Un brouilleur anti-drone de fabrication turque
L’appareil visible sur l’image que nous vérifions permettrait de faire de la surveillance et de la détection de drones ou d’hélicoptères, prétendent plusieurs messages.
Afin de vérifier ces assertions, l’AFP a contacté un spécialiste des questions de défense et d’industrie de l’armement.
« Il s’agit d’un générateur d’ondes qui sert à brouiller la connexion entre un drone et son pilote« , nous a ainsi indiqué le 12 juin Léo Péria-Peigné, chercheur au Centre des études de sécurité de l’Ifri (lien archivé ici).
« Il est composé d’un sac à dos et d’une antenne, que vous tenez dans la main, qui sert à émettre des ondes. Pour l’utiliser, vous dirigez l’antenne vers le drone et vous avez une chance de couper le lien avec son pilote. A ce moment-là, le drone peut tomber, se mettre en ‘stand by’ ou encore rentrer à la base, » précise le chercheur.
« Ce genre d’équipement peut être utilisé pour protéger des sites ou bien une petite patrouille, par exemple. Mais il est doté d’une batterie limitée, ce qui peut être problématique en cas de déplacement prolongé« , ajoute-t-il, spécifiant que l’appareil est « de fabrication turque« .
En effet, on retrouve le modèle sur un site de vente d’équipement militaire, complète Léo Péria-Peigné (lien archivé ici). Il est décrit comme un « Système électronique de brouillage / brouillage Anti-drone » au nom d' »IHASAVAR« , commercialisé par Aselsan, une société d’armement turque (lien archivé ici).
Les fonctionnalités de l’appareil sont également détaillées sur le site de l’agence de presse turque Anadolu.
« Le système de brouillage (…) anti-drone İHASAVAR offre une protection en empêchant le vol de drones (…) à proximité d’installations/bases militaires, de bâtiments d’institutions gouvernementales, de résidences de hauts fonctionnaires, de zones de cérémonie (…)« , expose l’article, en turc.
Cet équipement « n’est pas très cher et il est possible qu’il ce soit vendu aux armées locales et services de sécurité, par la Turquie, au Sahel. Il est possible, par la suite, que ce type de matériel soit revendu par des soldats ou récupéré après un affrontement« , observe par ailleurs le chercheur à l’Ifri Léo Péria-Peigné.
En effet, dans le sillage du retrait de la France, la Turquie mais aussi l’Iran et le Maroc multiplient les initiatives en direction des régimes militaires du Sahel qui cherchent à diversifier leurs partenaires (lien archivé ici).
Avions de chasse, hélicoptères de combat… Face aux caméras de la télévision burkinabè, le directeur de l’agence turque de l’industrie spatiale et aéronautique a exposé, en mars dernier, un catalogue alléchant pour des régimes militaires aux prises avec les groupes jihadistes.
Le Burkina Faso cherche à réduire sa dépendance aux forces étrangères, notamment de la France et d’autres pays occidentaux, qui ont été déployées pendant plus de dix ans dans la région et rechignent à livrer du matériel offensif à des armées accusées de perpétrer des exactions contre les populations civiles.
Tandis que les troupes françaises pliaient bagage, les drones de combat livrés par la Turquie sont par exemple devenus des pièces maîtresses des dispositifs des armées du Mali et du Burkina Faso.
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