Que pourrait faire un gouvernement technique qui dirigerait la France, en cas d’absence de majorité?
Alors que le scénario d’aucune majorité ni d’aucune coalition est envisageable à l’issue des législatives, ne resterait plus que la solution d’un gouvernement technique, sans appui politique. Ses décisions dépendraient du bon vouloir des forces en présence à l’Assemblée.
Qui dirigera la France le 8 juillet prochain? Alors que peut-être aucune formation n’aura de majorité absolue à l’issue des législatives, l’hypothèse d’un gouvernement technique est de plus en plus évoquée.
Car si aucune formation politique n’atteint les 289 députés, soit la majorité absolue, il y a alors plusieurs hypothèses. Soit un gouvernement formé d’une grande coalition dite républicaine (macronistes, centristes, gaullistes, sociaux-démocrates, écologistes…). Encore faut-il qu’un tel atelage ait une majorité à l’Assemblée, ce qui est loin d’être assuré.
L’hypothèse ensuite d’un gouvernement « TSR » (tout sauf RN) qui irait d’Edouard Philippe à LFI est elle encore plus improbable et d’ailleurs d’ores et déjà écartée par Jean-Luc Mélenchon.
Ne reste plus alors que le scénario d’un gouvernement dit technique qui serait composé d’experts (économistes, hauts-fonctionnaires, diplomates..) eux-mêmes chapotés par une personnalité consensuelle à Matignon.
Un concept un peu flou en France qui n’a jamais existé sous la Vème République. La France a bien connu un gouvernement d’union nationale qui réunissait presque tous les partis (en dehors du PC) comme celui de Michel Debré (1959-1962). Des « techniciens » ont bien été à la tête de gouvernements comme Raymond Barre en 1976 ou Jean Castex en 2020. Mais les deux avaient un mandat politique et une majorité à l’Assemblée.
« Il n’y a pas de définition institutionnelle de ce qu’est un « gouvernement technique », précise d’emblée Jean-Philippe Derosier, constitutionnaliste, professeur de Droit public à l’Université de Lille. Donc c’est un gouvernement normal qui peut faire tout ce qu’il veut tant qu’il ne s’oppose pas à l’Assemblée. »
Ça c’est pour la théorie. Car dans la pratique, le fait qu’il soit soumis à la censure permanente du pouvoir législatif limite son champ d’action au strict minimum.
L’impossible budget « technique »
Très concrètement il s’agirait d’une super administration chargée d’assurer la continuité de l’Etat : faire en sorte que les fonctionnaires et les factures soient payés, que les ressources nécessaires soient allouées aux administrations et que les centaines de milliards d’euros dont la France a besoin pour se financer soient bien levés sur les marchés. Le strict minimum.
Sur la question de la fiscalité par exemple, il serait a priori cantonné au statu quo.
« Sur l’impôt sur le revenu par exemple, détaille Jean-Philippe Derosier, on reconduit les grandes lignes mais on ne peut pas ajouter de tranches comme le souhaiterait le Nouveau Front populaire. Idem sur la TVA. On reconduit le taux à 20% car c’est une décision « technique » mais on ne décide pas de taux à 5% car ça c’est politique. »
Reste tout de même un obstacle de taille: le vote du budget, acte ô combien politique.
Quel budget « technique » pourrait présenter à l’Assemblée un tel gouvernement? Le scénario de la reconduction du même projet de loi de financement d’une année sur l’autre pourrait être envisagé. Sauf que ce dernier est le fruit d’une décision politique passée. Il n’est donc pas de nature technique.
Un gouvernement technique aurait à sa disposition les mêmes outils institutionnels que n’importe quel autre, à savoir l’article 47 de la Consitution pour accélérer le vote et mettre en vigueur par ordonnances les dispositions de ce texte si l’Assemblée nationale n’a pas pu se prononcer dans un délai de 70 jours. Ou encore bien sûr l’article 49.3 qui engage la responsabilité du gouvernement avec le risque très grand d’être censuré.
Un casse-tête juridico-politique est donc peut-être sur le point de débuter en France. Et pourtant dans certains pays, des gouvernements technique ont été instaurés. C’est le cas de l’Italie qui en a même connu quatre depuis 1993.
Un piège pour le RN?
Les deux derniers, ceux de Mario Monti (2011-2013) et de Mario Draghi (2021-2022), ont par exemple été mis en place pour tenter d’abaisser le niveau de la dette italienne qui atteignaient des seuils critiques.
« Avec les hausses de taux d’emprunt de l’Italie, ils ont du mener une politique de rigueur budgétaire, rappelle Benjamin Morel, constitutionnaliste et maître de conférence à Paris 2 Panthéon-Assas. Ces gouvernements ont permis de dépolitiser l’austérité. Ce qui a d’ailleurs fait émerger Giorgia Meloni qui était à l’extérieur de ce gouvernement. »
Peut-on imaginer pareil scénario en France d’assainissement des Finances publiques mené par un gouvernement technique? Dans un pays très politisé, cela paraît difficile.
Tout dépendra de l’attitude des forces politiques à l’Assemblée nationale et en particulier du Rassemblement national (RN) qui devrait selon toute vraisemblance avoir le groupe le plus important.
« Plus vous êtes gros, plus vous avez la responsabilité qu’un gouvernement tienne pour éviter le chaos, avance Benjamin Morel. Le RN pourrait peut-être être pris au piège en étant garant de la stabilité. Ce qui n’est pas le cas des autres formations politiques qui pourraient être moins responsabilisées car plus petites. »
Sans endosser la responsabilité politique d’un budget de ce gouvernement technique, le RN pourrait dans ce scénario s’abstenir de le voter mais refuser aussi de censurer le gouvernement.
Mais comme tout est inédit, tout reste encore imprévisible.
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