Jusqu’à ces dernières semaines, cette question était pudiquement tue, mais, le 2 mai 2024, la diplomatie algérienne a brisé le tabou quand le ministre des Affaires étrangères Ahmed Attaf a signifié à son homologue russe, Sergueï Lavrov, que la politique de son pays au Sahel allait contre les intérêts du sien.
Un simple regard sur une carte suffit à constater que la question sahélo-saharienne concerne directement l’Algérie. Dans les immensités sahariennes que la France lui offrit en 1962 vivent en effet les Touareg qui, par le passé, n’ont jamais dépendu d’États régionaux.
Les Touareg algériens appartiennent à trois confédérations, dont une seule, celle du Hoggar, a son territoire, c’est-à-dire ses anciennes zones de nomadisation, entièrement en Algérie. Tel n’est pas le cas des Kel Adrar (les Iforas) qui débordent de l’actuelle Algérie pour s’étendre sur tout le nord de l’actuel Mali, et des Kel Ajjer dont une partie du territoire est situé en Libye.
L’Algérie surveille donc jalousement tout ce qui se passe dans la zone saharo-sahélienne car, pour elle, les logiques de chaos qui y développent des foyers d’instabilité menacent directement sa stabilité et sa sécurité.
Voilà pourquoi, dès les lendemains de l’indépendance, l’Algérie s’impliqua dans la région. En 1963-1964, lors de la première guerre touarègue du Mali, le président Ahmed Ben Bella autorisa ainsi l’armée malienne à poursuivre les rebelles touareg du Mali jusqu’à 200 km à l’intérieur du territoire algérien, c’est-à-dire jusqu’aux limites septentrionales de l’espace des Kel Adrar.
Au mois de janvier 1991, lors de la deuxième guerre touarègue du Mali, l’Algérie organisa les négociations entre le général Moussa Traoré et le MPA (Mouvement populaire de l’Azawad) d’Iyad ag Ghali, ce qui permit la signature de l’Accord de Tamanrasset des 5-6 janvier 1991. Une médiation qui permit ensuite la signature du Pacte national du 11 avril 1992.
La paix ne revint cependant pas, car le nord du Mali se transforma peu à peu en «zone grise» dans laquelle vinrent se réfugier les survivants des maquis jihadistes algériens qui se lièrent aux trafiquants de toutes sortes et à certains irréductibles de la cause touarègue. En 2007, ils se sont affiliés à «Al-Qaïda au Maghreb islamique» (AQMI), mouvement lui-même issu du GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat) né en Algérie en 1998.
Le 23 mai 2006 éclata la troisième guerre touarègue du Mali. Ce fut une fois encore l’Algérie qui permit la signature des Accords d’Alger pour la restauration de la paix et du développement dans la région de Kidal. Accords signés le 4 juillet 2006 entre l’État malien et l’Alliance démocratique du 23 mai pour le changement (ADC), mouvement fondé par Iyad Ag Ghali, Ibrahim Ag Bahanga et le lieutenant-colonel Hassan Ag Fagaga.
La quatrième guerre touarègue (2007-2009) éclata le 11 mai 2007, à l’initiative d’Ibrahim Ag Bahanga qui avait repris les armes. Blessé au combat, il fut soigné en Algérie.
Après le déclenchement de la cinquième guerre touarègue en 2011, l’Algérie fut une fois encore à la manœuvre pour tenter d’y mettre un terme. C’est ainsi que le 15 mai 2015, l’Accord de paix et de réconciliation d’Alger fut signé, cependant, les armes continuèrent à parler, le pouvoir de Bamako ayant refusé de prendre véritablement en compte les revendications des Touareg du MNLA. Comme ces accords n’ont pas traité les problèmes de fond, à savoir la question du partage du pouvoir entre le Nord et le Sud, ils n’ont donc fait que geler temporairement les antagonismes.
Or, le départ des forces françaises de Barkhane a eu pour résultat de dégeler la question. En effet, aidés par les miliciens russes de Wagner puis d’Africa Corps, les sudistes au pouvoir à Bamako lancés à la reconquête du nord Mali ont repris la ville de Kidal. La junte malienne a alors déclaré renoncer à l’accord de paix d’Alger signé en 2015 entre le gouvernement de Bamako et les groupes rebelles de la Coordination des mouvements de l’Azawad.
Devant cette défaite, les différentes factions de la Coordination des mouvements de l’Azawad se sont réorganisées avec l’appui d’Alger et, le 2 mai 2024, elles ont créé une nouvelle coalition, le Cadre stratégique permanent pour la défense du peuple de l’Azawad (CSP-DPA).
Désormais, les intérêts contradictoires de l’Algérie et de la Russie étant clairement exposés, Moscou va devoir faire des choix. Comme il lui est difficile de se couper de l’Algérie, peut-être choisira-t-elle alors de freiner les ardeurs de ses alliés de la junte malienne. Mais dans ce cas, naîtront des déceptions qui feront passer un nuage sur la «lune de miel» entre Bamako et Moscou.
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