Le ministère de l’Environnement et des Gouvernements locaux du Nouveau-Brunswick a reçu plusieurs dizaines de plaintes sur les activités à Saint-Jean du ferrailleur American Iron and Metal (AIM) avant que son permis ne soit révoqué en décembre 2023.
Des inspecteurs du gouvernement ont, à répétition, effectué des enquêtes sur l’entreprise québécoise, selon des documents obtenus en vertu de la Loi sur l’accès à l’information. À chaque fois, AIM a néanmoins pu reprendre ses activités sur son site de recyclage de métal à Saint-Jean.
Les plaintes formulées du 24 septembre 2020, lorsqu’est survenu un incendie important, impliquant à l’époque selon un rapport la moitié des pompiers de Saint-Jean, jusqu’au 14 septembre 2023, le jour de l’incendie qui a entraîné un ordre de confinement et qui a causé la révocation du permis, sont toutefois presque entièrement caviardées.
Les documents obtenus font allusion à au moins 62 explosions et quatre feux chez AIM à Saint-Jean. Le comité de travail mis sur pied suite au dernier incendie fait plutôt état de 181 explosions et 22 feux entre 2011 et 2023.
Le comité a conclu notamment que l’étude d’impact environnemental était insuffisante et que la possibilité d’explosions et d’incendies était toujours importante. En se basant sur ces conclusions, la province a révoqué le permis de l’entreprise, mais AIM conteste aujourd’hui cette décision devant le tribunal.
Explosion du 19 novembre 2018
Le 19 novembre 2018, AIM prévient par courriel le ministère d’une explosion de pression maîtrisée
dans ses installations du port de Saint-Jean à 8 h 43 selon un rapport d’enquête du ministère. L’entreprise dit alors qu’aucun service d’urgence n’est nécessaire.
Le ministère a reçu plusieurs plaintes. Une femme a appelé pour dire que sa maison a tremblé
. Le lendemain, deux autres personnes se sont plaintes d’une explosion. L’une d’elles dit que cette explosion a été la plus bruyante jusqu’à maintenant et qu’elle est la première à faire trembler la maison et la porcelaine.
L’après-midi du 19 novembre 2018, l’inspectrice environnementale Tammy Savoie McIntosh est envoyée chez l’entreprise. En s’y rendant, elle constate une fumée jaune qui émane du terrain d’AIM et une fumée noire.
Une fumée noire s’échappe des installations d’AIM à Saint-Jean le 19 novembre 2018 sur cette photo comprise dans les documents obtenus.
Photo : Radio-Canada / Frédéric Cammarano
Une fois sur les lieux, le directeur Kevin Hughes lui explique que des soudeurs travaillent sur le broyeur. Il avoue ne pas être certain de ce qui provoque la fumée jaune, mais croit qu’elle est causée par des employés en train de couper de l’acier.
L’inspectrice répond qu’il n’est pas acceptable de libérer une telle fumée dans l’atmosphère, ordonne à l’entreprise d’arrêter ces travaux et d’envoyer une mise à jour par courriel.
Dans ce courriel, Kevin Hughes indique que son équipe changera d’outil pour couper l’acier, que l’explosion a été causée par un réservoir d’essence et que la fumée noire n’est due qu’au travail des soudeurs.
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La page couverture du rapport d’enquête sur l’explosion chez AIM le 19 novembre 2018
Photo : Radio-Canada / Frédéric Cammarano
Deux jours plus tard, le 21 novembre 2018, le ministère reçoit de nouvelles plaintes au sujet d’autres explosions.
Une femme indique qu’elles auraient eu lieu à 9 h 35 et 14 h 54, que les meubles dans sa maison ont tremblé et qu’elle aperçoit de la fumée sortir d’un bâtiment. Un homme et une femme feront aussi état d’une explosion ce jour-là.
Le dossier sera officiellement clos environ un mois plus tard, le 17 décembre 2018, sans faire état d’autres actions du ministère.
Explosion du 21 mars 2019
Selon un autre rapport d’enquête du ministère, le 21 mars 2019, AIM signale au ministère une explosion maîtrisée
survenue à 16 h 49. Dans son courriel au ministère, l’entreprise explique que les bruits impulsionnels comme ceux entendus aujourd’hui sont peu fréquents, mais font partie de nos activités ordinaires
.
Le ministère reçoit peu de temps après une plainte d’un résident. Ce dernier évoque des murs et des fenêtres qui ont tremblé et il dit que c’est la deuxième explosion importante qu’il a ressentie au cours des derniers mois.
Le lendemain, l’inspectrice Tammy Savoie McIntosh rencontre chez AIM l’assistante administrative Rita Burgess et l’inspecteur Wesley Pratt. Ce dernier indique que l’explosion est due à un bonbonne de propane provenant d’une des vieilles piles
qui ont été chargées dans le broyeur.
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Une photo du site d’AIM à Saint-Jean contenue dans les documents obtenus
Photo : Radio-Canada / Frédéric Cammarano
Le broyeur est immédiatement mis à l’arrêt pour réparation, selon les représentants de l’entreprise. Ces derniers espèrent alors finir les réparations au cours des prochains jours et comptent fermer le broyeur pour un entretien complet le mois prochain, après avoir déchiqueté les vieilles piles
.
L’assistante administrative d’AIM, Rita Burgess, évoque aussi que tout matériau inacceptable sera retourné au fournisseur ou déduit de ses paiements.
Le dossier est clos environ quatre mois après l’incident.
Des actions du ministère
Les documents obtenus contiennent aussi quelques actions du ministère pour forcer AIM à se conformer à la loi. Tous les documents sont datés entre 2015 et 2019.
Par exemple, un avis daté du 6 décembre 2018 et signé par le ministre de l’Environnement de l’époque, Jeff Carr, annonce la levée d’une suspension des activités d’AIM pour ne pas avoir fourni de plan sur la qualité de l’air qui répond aux exigences du ministère. L’avis exige toutefois que le broyeur soit réglementaire 30 jours après l’ordre émis par le ministre.
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Jeff Carr (à droite) a été ministre de l’Environnement et des gouvernements locaux de 2018 à 2020. En 2019 à Fredericton, il présentait son plan de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Photo : Radio-Canada / Michel Corriveau
Selon les documents obtenus, l’entreprise semble toujours mettre en place les exigences du ministère.
Le ministère de l’Environnement et des Gouvernements locaux a refusé une demande d’entrevue, plaidant que le dossier fait aujourd’hui l’objet d’une affaire judiciaire.
Des discussions parfois tendues
Entre l’entreprise et le ministère, les discussions n’ont toutefois pas toujours été aussi cordiales, particulièrement quelques années après l’obtention du broyeur en 2010.
Le 3 octobre 2012, le ministère de l’Environnement apprend par une station de radio locale qu’il y a eu une explosion chez AIM. N’ayant eu aucun de signalement de l’entreprise, le ministère a interrogé par courriel l’entreprise.
Le directeur Environnement Mathieu Germain répond : Ok, nous allons envoyer un fax s’il y a un autre « big bang ». Toutefois, je peux vous assurer qu’il y a beaucoup d’exagérations dans les réactions que nous avons reçues
.
Ça n’était simplement pas une explosion
, plaide-t-il dans un courriel subséquent, assurant que le bruit est dû à une matière faite de résine.
L’employé du ministère réplique ensuite en envoyant un extrait de la loi, lui indiquant que l’entreprise a obligation de signaler toute explosion qui atteint un certain niveau sonore.
L’avenir incertain du site de Moncton
À la fin mai, le ministre de la Sécurité publique, Kris Austin, menaçait de suspendre ou de retirer le permis d’AIM pour ses installations de la rue Toombs à Moncton.
AIM avant de prendre d’autres décisions », »text »: »Le ministre Austin continue d’examiner et d’évaluer la réponse de AIM avant de prendre d’autres décisions »}} »>Le ministre Austin continue d’examiner et d’évaluer la réponse de AIM avant de prendre d’autres décisions
, a fait savoir par courriel le responsable des communications, Allan Dearing.
Les documents obtenus contiennent aussi une vingtaine de plaintes de résidents de Moncton transféré par le conseiller du quartier 1, Shawn Croosman, au ministère.
Le bruit est si fort que nous l’entendons constamment, même avec les fenêtres fermées, le ventilateur en marche et la télévision allumée
, écrit un voisin très fatigué et frustré
.
Nous sommes à un kilomètre d’eux, mais le grincement, le cognement et les fenêtres qui tremblent sont devenus quotidiens
, explique une autre résidente.

Des gens manifestent contre la présence du parc à ferraille d’American Iron & Metal (AIM), le 24 mai 2024 à Moncton, au Nouveau-Brunswick.
Photo : Radio-Canada / Babatundé Lawani
Les plaintes concernant les installations de Moncton n’ont provoqué aucun rapport d’enquête du ministère de l’Environnement contenu dans les documents obtenus et ne portent que sur le bruit et l’odeur. Aucune ne fait état d’explosion.
L’entreprise n’a pas répondu à une demande d’entrevue.
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