L’AFC-M23 a enregistré des gains territoriaux substantiels à la veille de la fête de l’Indépendance.
Le peuple congolais a dû se contenter d’un discours du chef de l’État en fin de journée. Un discours dans lequel Félix Tshisekedi, qui a entamé son dernier mandat en janvier, n’a pu que constater les défaites enregistrées dans l’est du pays et a annoncé qu’il avait “instruit le nouveau gouvernement d’investir prioritairement dans le renforcement des capacités de l’État à sécuriser le territoire et la population avec un budget cumulé sur les cinq ans, représentant 20 % du budget annuel.”
Des mots qui ne sont pas parvenus à rassurer ni à faire oublier les images venant du Nord-Kivu où les rebelles de l’Alliance Fleuve Congo-M23, menés par l’ancien président de la Ceni Corneille Nangaa, sont parvenus, le 29 juin, à prendre la cité de Kanyabayonga, présentée depuis des mois comme un verrou vers le Grand Nord.
Les casques bleus de la Monusco et l’armée congolaise avaient encore affirmé la semaine dernière, avec force vidéo à l’appui, qu’ils multipliaient les patrouilles conjointes pour garantir la sécurité de la population civile et repousser l’avancée des rebelles dans cette localité qui est finalement tombée samedi 29 juin.
« Un verrou a sauté”
Dans les rangs des cadres de l’AFC-M23, contactés par La Libre, la chute de Kanyabayonga est présentée comme une “victoire importante qui ouvre l’accès au Grand Nord”. Dimanche 30 juin, les rebelles ont poursuivi rapidement leur avancée vers le nord de la province du Nord-Kivu avant de ralentir et de chercher à “consolider les prises”.
Pour Bob Kabamba, politologue, professeur à l’université de Liège et spécialiste de la RDC, “Kanyabayonga semble bien être le verrou qui empêchait l’avancée vers le Grand-Nord. On parle aussi bien de la province de l’Ituri que de l’ex-Province orientale avec, évidemment la ville de Kisangani en ligne de mire. Cette avancée des rebelles sera peut-être un point de bascule du conflit”.
Une armée critiquée
À Kanyabayonga et dans les environs, des vidéos prises à la sauvette montrent une armée congolaise vilipendée par la population civile. “On voit aussi moins de colonnes de déplacés qui fuient l’avancée des rebelles. À certains endroits, les hommes dirigés par Corneille Nangaa semblent même plutôt bien accueillis par la population. C’est une évolution considérable”, note l’universitaire.
Avec cette percée, les hommes de l’Alliance Fleuve Congo-M23 se rapprochent aussi du pays Nande. Un peuple de commerçants peu coutumiers de la guerre. “Si on remonte quelques années en arrière, du temps des mouvements rebelles comme le RCD ou l’AFDL de Laurent-Désiré Kabila, on verra que cette région Nande a toujours préféré le deal au combat. Ce sont les Nande qui dirigent économiquement la région dans de nombreux domaines qui vont du commerce de nourriture au carburant, en passant par les compagnies aériennes, les moyens financiers… Et ils ne se limitent pas au Nord-Kivu, ils débordent largement sur l’Ituri, l’ex-Province orientale et, évidemment, l’Ouganda”, poursuit Bob Kabamba. Pour notre interlocuteur, si les rebelles continuent d’avancer de manière soutenue, il y a fort à parier que l’histoire pourrait bégayer et que les troupes de Nangaa puissent progresser rapidement dans toute cette zone d’influence.
Le poids de l’Ouganda
Une avancée qui ne peut être envisagée sans le soutien des Ougandais qui viennent d’être épinglés, comme le Rwanda, dans le dernier rapport des experts des Nations Unies pour leur soutien aux rebelles opposés au régime de Kinshasa.
”Il ne faut pas oublier non plus que cette progression permet à Corneille Nangaa de se rapprocher de sa base personnelle”, poursuit le professeur Kabamba qui insiste sur le fait que cette région “est souvent délaissée par Kinshasa tant économiquement que politiquement ou en termes de développement. Si Nangaa arrive dans cette région, il devrait pouvoir fédérer de nombreux soutiens à sa cause. C’est pour cette raison que je parle d’un point de bascule.”
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Contagion
Progression. Point de bascule. Le mouvement, né il y a plus de deux ans à Bunagana, sur la frontière entre l’Ouganda et la République démocratique du Congo, semble prendre une nouvelle dynamique qui pourrait aussi déclencher des mouvements de contestation dans d’autres parties du pays qui se montrent de plus en plus critiques à l’égard du régime en place à Kinshasa, comme dans le Haut-Katanga ou le Sud-Kivu. “Il y a eu des mouvements d’humeur contre le pouvoir de Tshisekedi à Lubumbashi”, continue M. Kabamba qui pointe aussi “le vide sécuritaire au Sud-Kivu suite au retrait des casques bleus”. Une nouvelle donne qui pourrait faire l’affaire des milices locales qui, à court ou moyen terme, pourraient être tentés de rejoindre l’AFC-M23 contre un président Tshisekedi qui apparaît de plus en plus coupé de la réalité du quotidien de son peuple.
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