Chaque fin d’année scolaire ouvre l’heure des bilans. En Côte d’Ivoire, certains sont positifs, comme le taux de réussite de 84 % au certificat d’études primaires et élémentaires. D’autres sont moins réjouissants, comme celui, tout juste finalisé par le Conseil national des droits de l’homme (CNDH), sur les grossesses en milieu scolaire : au moins 4 600 écolières, collégiennes et lycéennes étaient enceintes durant l’année écoulée, soit une hausse préoccupante de 28 % par rapport à l’année précédente.
Si cette augmentation spectaculaire des grossesses précoces, pour la plupart subies, s’explique moins par une explosion soudaine du phénomène que par une meilleure capacité du CNDH à identifier ces filles-mères, les chiffres restent sans doute très en deçà de la réalité : faute de données fiables, ils n’incluent pas la ville d’Abidjan.
En outre, dans son travail de collecte, le CNDH n’a pas distingué les cas de grossesses relevant d’un rapport sexuel consenti et celles issues d’un viol. C’est pourtant le deuxième cas qui prédomine, selon Aïcha Traoré, présidente et cofondatrice de l’association ivoirienne Pro-kids, qui accompagne chaque année plus d’une centaine de mères âgées de 9 à 25 ans dans leur réinsertion scolaire ou professionnelle.
Pour la plupart des jeunes filles, maternité rime avec fin de scolarité. Après la naissance de son fils, en 2020, Boualay Messan n’est jamais revenue en classe. Elle avait 19 ans lorsque, dit-elle, un garçon l’a séquestrée puis violée lors d’une soirée. Après trois mois de grossesse, elle a été contrainte de quitter son collège de Yopougon. « Les nausées et les moqueries des autres élèves devenaient trop dures », se souvient-elle. Chez elle, son père la rejette. « Il m’a même demandé de partir de la maison au début, avant de changer d’avis. » Aujourd’hui, la jeune fille concède que « ça ne va toujours pas dans [sa] tête », mais elle continue de se reconstruire, domiciliée chez sa mère avec son fils et gagnant un peu d’argent comme coiffeuse.
Des histoires comme celle-ci pullulent sur les réseaux sociaux. Comme celle d’une collégienne de 16 ans qui a accouché en plein examen du brevet avant d’être transférée à l’hôpital de Duékoué (ouest), en mai. D’autres cas tournent au drame, comme celui de Djénéba Kossouba, 14 ans, violée par son directeur d’école à Hiré-Ouatta (sud) puis décédée le 21 mai après un avortement clandestin auquel son agresseur l’avait contrainte. Ce dernier est aujourd’hui écroué.
Campagnes de sensibilisation
Depuis 2019, le ministère de l’éducation autorise un report de scolarité d’un an pour les élèves empêchés « pour cause de grossesse, de maladie et de déplacement des parents ». En d’autres termes, la jeune fille a un an pour réintégrer gratuitement l’école publique après l’avoir quittée. Des délais souvent dépassés qui poussent ces filles hors des radars du système éducatif.
Selon l’ONU, une adolescente ivoirienne sur quatre a déjà contracté une grossesse. En théorie, la loi autorise l’avortement dans les cas de viol ou de mise en danger de la santé des femmes. En pratique, « c’est quasi impossible », constate Aïcha Traoré, surtout dans « les milieux ruraux et défavorisés », comme les régions de la Nawa (sud-ouest) et du Tonkpi (ouest), où les taux de grossesses scolaires sont les plus élevés.
Quant à la contraception, accessible sans qu’elle soit partout gratuite, elle se heurte encore à « de forts freins culturels », souligne Léonce Adon, directeur des programmes et études thématiques au CNDH. Seulement 18 % des Ivoiriennes ont recours à un moyen contraceptif, selon l’ONU, et « environ une femme sur trois qui ne souhaite pas tomber enceinte n’utilise pas une méthode moderne de contraception », observe-t-il : « Les mères sont souvent sceptiques et refusent que leurs filles y aient recours par peur qu’elles deviennent stériles. »
Autres facteurs de vulnérabilité : l’isolement géographique et la pauvreté. Certaines filles ne peuvent pas rentrer dans leur famille le soir, faute de moyens ou de temps pour le faire. Sans l’aide d’un parent ou d’un ami de la famille, « elles se retrouvent en ville sans aide et certains prédateurs en profitent », déplore Léonce Adon.
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En plus d’accentuer les campagnes de sensibilisation sporadiquement menées par le ministère de la santé auprès des élèves, le CNDH plaide pour « un déploiement du système des internats » afin de protéger ces jeunes filles et d’assurer leurs besoins élémentaires. Aïcha Traoré milite, elle, pour élargir le report de scolarité à « au moins deux ans », ce qui laisserait à ces jeunes mères le temps et la possibilité de reprendre le chemin de l’école et ne pas, comme Boualay Messan, avoir le sentiment d’une « vie gâchée ».
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