- Author, Ibrahim Zongo, Rachida Houssou et Didier Lando
- Role, BBC Afrique
- Reporting from Dakar
L’idée de délocaliser le très populaire marché Dantokpa remonte en mars 2018. Au cours d’une rencontre avec les commerçants du marché présenté comme le plus grand de l’Afrique de l’Ouest, le président Patrice Talon avait été intransigeant. Le marché Dantokpa ne peut plus rester dans son emplacement actuel, avait-il prévenu.
« Aujourd’hui, en cas d’incendie dans le marché, il n’y a pas de passage pour accéder au feu et l’éteindre », s’était brièvement expliqué le président de la République béninoise. Ces dernières années, en effet, le marché central de la capitale béninoise Cotonou, a subi la furie des flammes lors des nombreux incendies qui s’y sont déclarés.
Le dernier de grande ampleur en date remonte à novembre 2022 et a fait des dizaines de millions de pertes selon les témoignages des sinistrés rencontrés par BBC Afrique. L’incendie qui s’était déclaré à deux heures du matin, heure locale, n’avait pu être maîtrisé qu’après quatre heures de lutte acharnée des pompiers.
À ces incendies répétitifs, s’ajoute un état d’insalubrité avancée et d’anarchie qui ont achevé par convaincre les autorités qu’il était temps de trouver une solution durable.
Un marché à ciel ouvert
Présenté comme le plus grand marché à ciel ouvert de la sous-région ouest-africaine, Dantokpa est bâti, au départ, sur treize hectares avant que la superficie ne s’étende à dix-neuf hectares à la suite de constructions et installations anarchiques.
Au fils des ans, plusieurs bâtiments, boutiques et hangars ont poussé çà et là, encombrant davantage la principale route qui traverse ce marché situé au cœur de la capitale. On y rencontre également de nombreux vendeurs ambulants ou des personnes qui n’ont pas d’étalage fixe.
« Si on ne fait rien, est ce que le marché peut être encore là, dans vingt ou trente ans ? Je ne travaille pas que pour aujourd’hui. Je travaille aussi pour l’avenir. Le marché Dantokpa est au cœur de la ville. Si on le laisse là, dans les années à venir, on ne pourra presque plus y accéder » avait soutenu le président Talon le 4 mars 2018.
Dantopka abrite à ce jour, les principaux grossistes et détaillants du pays. C’est un marché à plusieurs compartiments indique Rachida Houssou, correspondante de BBC Afrique à Cotonou : le compartiment des bijoux, la zone des pièces détachées, la zone des tissus, des pagnes, des épices, des oignons, des plastiques etc.
Environ 45 secteurs de l’économie s’y échangent selon Anastasie Chodaton, la représentante des usagers au sein du conseil d’administration de la société qui gère ce marché.
Pour la relocalisation des commerçants de ce marché, le président béninois annonçait la construction d’un pôle commercial qui abriterait « les vendeurs de tissus, de bijoux, de maroquinerie, de sacs, de chaussures et d’autres produits cosmétiques ».
Les autres marchands, notamment des produits vivriers, disait-il, « ils seront relogés à Akassato ». « Ce sera un marché pour aujourd’hui et pour l’avenir » précisait-il, indiquant que les travaux étaient confiés aux ingénieurs qui ont travaillé sur le projet du marché international de Rungis, un centre commercial de référence à Paris. À terme, avait-il expliqué, les femmes seraient heureuses d’y aller, « car le marché sera accessible avec une garderie, un hôpital et une unité de sapeurs-pompiers ».
Des alternatives qui font grincer les dents
Six ans après l’annonce des autorités, le processus de délocalisation entre dans sa phase opérationnelle. S’exprimant sur une radio locale en juin dernier, la directrice générale de l’Agence nationale de gestion des marchés, Anagem, a appelé les marchands de Dantokpa à se rapprocher de ses services en vue de leur inscription pour l’obtention de places dans les nouveaux marchés en construction.
Mais cette décision du gouvernement ne fait pas l’unanimité. Plusieurs voix se sont élevées pour s’opposer au déplacement. Cependant, au marché, les commerçants se résignent face au fait accompli. « De toutes les façons, on n’a pas le choix. Si le président a décidé de délocaliser le marché, on ne peut pas s’y opposer », indique une commerçante que nous avons rencontre à côté de son étale.
« Il a dit ça il y a longtemps. On n’a pas le choix, même si on dit aujourd’hui, on ne peut que partir », renchérit un autre assis à côté.
Si les occupants des lieux sont unanimes qu’ils n’ont plus le choix, ils espèrent toutefois que le gouvernement se tiendra à leurs côtés pour la phase de transition.
« Moi, je crains juste la mévente dans le nouveau marché parce que quand on change de lieu de vente, on chôme quelque temps avant de se refaire une nouvelle clientèle. Donc, nous souhaitons que le gouvernement nous appuie pendant cette période et j’insiste », suggère cette commerçante.
« L’idée n’est pas mauvaise en soi, mais moi, j’ai peur de perdre mes clients. Quand vous quittez un lieu pour un autre, il y a un long moment de flottement avant de retrouver des clients », s’inquiète une autre.
La crainte de perdre une référence socio-économique et identitaire
Les commerçants ne sont pas les seuls à redouter l’impact de ce projet de délocalisation. Parmi les voix qui se sont élevées contre l’initiative, l’on note celles d’hommes politiques ou de techniciens du développement économique, dont Célestine Zannou.
Pour elle, les dirigeants du Bénin devraient plutôt « comprendre la structuration de Dantokpa et l’intégrer dans leur plan de développement. »
Géographe agroéconomiste et spécialiste en économie du développement, celle qui fut successivement directrice de cabinet du ministre du Plan du Bénin et de l’ancien président de la République Mathieu Kérékou, estime que ce marché est la synthèse de « trois lois ».
La première, dit-elle, « c’est une loi économique, puisque c’est un marché ». Une loi économique consolidée, car explique-t-elle, « vous verrez que Dantokpa est connecté au port de Cotonou avec l’import-export. Le marché est [également] connecté au Nigeria par Badagri via le fleuve. »
Mieux estime Mme Zannou, Dantokpa est connecté à tous les autres marchés du Bénin dans leur structuration : « les marchés régionaux de regroupement, les marchés primaires de collecte, les marchés terminaux de consommation ».
« Toute la vallée de l’Ouémé, à travers sa production agricole, est connectée à Dantokpa et un marché qui est une loi économique de cette envergure, a besoin d’une attention particulière ».
La deuxième loi selon l’analyse de cette spécialiste en économie du développement est l’aspect social du marché, qui est selon elle, un espace de brassage.
« Chacun connaît ses aires de spéculation et quand les gens y séjournent quelques mois seulement, ils comprennent les langues ».
« C’est un symbole même de l’unité nationale », conclut-elle.
Au-delà des « lois économiques et sociales », l’ex-directrice de cabinet de l’ancien président évoque « une loi identitaire ». Aujourd’hui, dit-elle, tous les Béninois sont fiers de Dantokpa. « Dantokpa a une renommée qui a dépassé les frontières. C’est le plus grand marché de l’Afrique de l’Ouest et avec une configuration géographique exceptionnelle », a-t-elle poursuivi.
À l’instar de bien d’autres Béninois, Madame Zannou estime que le marché central de la capitale a plutôt besoin d’aménagement, de modernisation, d’assainissement.
C’est en cela, explique-t-elle, que Dantokpa serait « une vitrine, une plateforme marchande qui respecte l’histoire et l’identité de ce lieu ».
Un choix assumé pour la « modernité »
S’exprimant lors d’un point de presse le 28 juin 2024, le porte-parole du gouvernement Wilfried Léandre Houngbédji a défendu le choix du gouvernement. Pour l’exécutif béninois, réaménager le site de Dantopka pour y reloger les commerçants serait voué à l’échec tous les efforts de modernisation déjà consentis.
« Avec le vent de modernité qui souffle sur notre pays et sur Cotonou en particulier, laisser Dantopkpa là où il est en l’état, ferait une tâche. Dire qu’on va le reconstruire à l’identique sur une même superficie après avoir construit tous les nouveaux marchés, le Mall de Kouhounou et le marché de gros, il y aurait un problème de cohérence et de logique qui se poserait », a expliqué le secrétaire général adjoint du gouvernement Houngbédji.
Mais qu’adviendrait-il du site du marché situé aux abords de la lagune ? La question demeure sans réponses, du moins officiellement. De quoi alimenter les suspicions sur les réelles motivations du projet de délocalisation.
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