Le Sénégal, plateforme de transit du trafic international de cocaïne et nouveau pays consommateur

Les douaniers sénégalais ne chôment pas. Lundi 3 juin, ils ont intercepté sur la route entre Fatick et Kaolack, dans le centre du pays, une cargaison de 33 kg de cocaïne d’une valeur de 2,7 milliards de francs CFA (4,1 millions d’euros), dissimulée « dans des cachettes aménagées d’un véhicule de type Mercedes immatriculé à l’étranger », selon un communiqué des douanes. Deux jours plus tôt, une cargaison de 30 kg avait été saisie dans le village de Keur Ayip, près de la Gambie. Le chargement, d’une valeur de 2,4 milliards de francs CFA, était caché « dans les cavités des portières et de la malle arrière » d’un véhicule « en provenance d’un pays limitrophe du Sénégal », indiquent les douanes.

Les saisies s’enchaînent, volumineuses. En avril, une tonne de cocaïne avait été interceptée dans la ville de Kidira, frontalière avec le Mali. Le même mois, 95 kg sur l’axe routier Tambacounda-Koumpentoum. Et trois tonnes sur un navire arraisonné au large du Sénégal fin décembre. « La récurrence de ces saisies démontre la volonté des criminels de faire du Sénégal une plateforme du crime organisé », a dénoncé le directeur général des douanes, Mbaye Ndiaye.

Depuis le début des années 2000, l’Afrique de l’Ouest est devenue une zone privilégiée pour le transit de la cocaïne en provenance d’Amérique latine, particulièrement du Brésil, de la Colombie et du Pérou, et à destination de l’Europe, second marché le plus important de consommateurs. La Guinée-Bissau, au sud du Sénégal, a ainsi joué un rôle prépondérant dans le trafic international de poudre blanche. Mais le trafic s’est géographiquement étendu. De même que les saisies.

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Les routes maritimes entre l’Amérique latine et l’Europe étant de plus en plus contrôlées, « la situation géographique de l’Afrique de l’Ouest en fait désormais une étape naturelle, d’autant que la route en provenance du continent africain est moins surveillée », relate Lucia Bird, directrice de l’Observatoire des économies illicites en Afrique de l’Ouest (basé à Dakar) au sein de l’ONG Global Initiative Against Transnational Organized Crime (GI-TOC).

Gang brésilien, mafia calabraise

Dans son rapport 2024 sur le trafic de drogue dans la région, l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) souligne que ces trafics se sont développés « dans un contexte d’augmentation de la production de cocaïne en Amérique du Sud et d’une demande croissante de la drogue en Europe ». Selon l’ONUDC, la majorité de la cocaïne qui arrive en Afrique de l’Ouest prend en effet la direction du Maghreb et de l’Europe en empruntant des routes maritimes le long du continent, mais aussi des routes terrestres à travers les pays du Sahel, dont la Mauritanie et le Mali, voisins du Sénégal.

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Dans une région où les groupes armés prospèrent et où de larges pans de territoire échappent au contrôle des Etats, les quantités de cocaïne saisie ont explosé, passant de 13 kg par an en moyenne entre 2015 et 2020 à plus de 41 kg en 2021 et 1 466 kg en 2022, selon l’ONUDC. « Parmi les acteurs les plus impliqués dans cette transatlantique de la drogue, on retrouve le PCC [Premier commando de la capitale] brésilien, l’un des gangs les plus puissants du Brésil, qui est en lien avec d’autres organisations criminelles africaines et européennes, dont la mafia italienne de Calabre, la’Ndrangheta », pointe Lucia Bird.

Dans d’autres cas, des binationaux peuvent être des points de connexion pour coordonner la logistique du trafic de drogue. En mars, l’Office central de répression du trafic illicite des stupéfiants du Sénégal (OCRTIS) a ainsi arrêté deux Franco-Sénégalais qui tentaient d’organiser une filière sur la ligne aérienne Transavia reliant Dakar à Marseille.

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La lutte contre ces trafics fait des victimes dans les rangs des forces de sécurité. Le 5 janvier, cinq membres de la marine sénégalaise ont disparu en mer lors de l’arraisonnement d’un navire soupçonné de transporter de la drogue. Selon l’armée, les membres de l’équipage auraient ouvert les vannes du navire, qui a coulé en l’espace de quelques minutes alors que les commandos étaient en train de fouiller les cales.

Un problème de santé publique

« Il est indéniable qu’aujourd’hui, après le terrorisme au Sahel et la sécurisation des frontières, le trafic de drogue est l’un des enjeux sécuritaires et économiques les plus importants pour le Sénégal », explique Babacar Ndiaye, directeur de recherches pour le centre de réflexion Wathi. Un constat que partagent les hauts dirigeants des forces de l’ordre sénégalaises. « L’Etat en a pris pleine conscience et nous nous dotons de nouveaux moyens pour y faire face », assure un commissaire de police mobilisé sur les questions du trafic illicite de stupéfiants.

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Mercredi 5 juin, la marine sénégalaise a réceptionné son troisième patrouilleur lance-missile OPV 58S, dénommé Cayor, complétant ainsi son programme d’équipement lancé par l’ancien président Macky Sall (2012-2024). Il doit rejoindre dans les prochains jours les patrouilleurs Walo et Niani pour contribuer, entre autres, à la lutte contre les trafics illicites. « Nous avons aussi récemment reçu des équipements technologiques avancés qui nous permettent de faciliter la collecte, l’analyse et le partage d’informations sur les trafics », poursuit le commissaire précédemment cité.

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Outre l’enjeu sécuritaire, le Sénégal doit faire face à un problème de santé publique. Selon l’ONUDC, la région est passée d’une simple zone de transit à une zone de forte consommation de drogues. « Avant, nous observions qu’entre 5 % et 8 % de la cocaïne qui transitait par la région restait sur place. Aujourd’hui, ce taux est passé à 10 %, voire 17 %. Cela indique qu’une base de consommateurs se développe au niveau régional et c’est une grande source d’inquiétude », alertait, en janvier 2022, Amado Philip de Andrés, responsable de l’ONUDC à Dakar.

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