Haïti : ces gangs qui ont remplacé l’Etat

Mercredi, un nouveau Premier ministre, Garry Conille, a été nommé à Haïti par le Conseil de transition présidentiel mis en place après la démission d’Ariel Henry, le 11 mars dernier. Ses premières missions seront de tenter de restaurer l’ordre, de nommer un gouvernement provisoire et d’organiser des élections pour restaurer le Parlement, dans un pays passé sous la coupe des gangs depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse, le 7 juillet 2021. Le journal « Le Temps » décrit la façon dont ces 300 groupes armés très diversifiés tiennent Haïti.

« Certains sont très petits avec peu de moyens, une dizaine de types au maximum. D’autres rassemblent au moins 1.500 soldats, qui perçoivent tous un salaire régulier. Ils sont bien équipés, bien armés et bien entraînés. Il doit y avoir entre cinq et sept vrais gangs puissants », déclare Romain Le Cour Grandmaison, expert des organisations criminelles, auprès du journal suisse. Tous ces gangs « justifient leur existence par la défaillance du gouvernement », poursuit-il.

Une succession de catastrophes naturelles, dont de violents séismes en 2010 et 2021 et l’ouragan Matthew en 2016, a rendu les conditions de vie des 11,5 millions d’habitants déplorables. Selon les estimations de la Banque Mondiale, 29 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, avec moins de 2 dollars par jour. Mais le pays est aussi paralysé depuis des années par la corruption généralisée de l’administration publique.

Des gangs tout-puissants

Le quotidien suisse a réalisé un reportage sur place dans lequel les journalistes interrogent Jimmy « Barbecue » Chérizier. « Où est l’Etat ? Nous sommes au XXIe siècle ! L’Etat est absent et refuse de prendre soin de ses citoyens, mettant tout sur le dos des groupes armés. Nous faisons ce qu’il ne fait pas. C’est nous qui le remplaçons », a justifié l’un des plus puissants chefs de gang de l’île. C’est lui qui, début mars, a ordonné à Ariel Henry de démissionner de son poste sous peine de déclencher une « guerre civile ».

Depuis, le « patron des lieux » comme le nomme « Le Temps », s’est mué en véritable homme politique, en organisant notamment une célébration le 18 mai, à l’occasion de la Fête du Drapeau, durant laquelle ont été arborées les couleurs de « Viv Ansann » (« Vivre ensemble » en français), la coalition de groupes qu’il dirige.

Même si les témoignages d’habitants recueillis par « Le Temps » décrivent « Barbecue » comme un homme à l’écoute du peuple et qui répond à ses besoins, il reste difficile d’affirmer la véracité de ces propos étant donné la terreur exercée par les gangs sur la population. Le Bureau des Nations Unies pour la Coordination des affaires humanitaires estime que 96.000 personnes ont fui leur domicile depuis février dernier pour échapper à leur ultraviolence omniprésente, étant donné que les gangs tiennent 80 % de la capitale Port-au-Prince.

Le résultat d’une politique corrompue

Il est ironique de constater que les hommes politiques ont perdu le contrôle sur ces organisations criminelles quand on sait que ce sont eux qui les ont financées, souligne «Le Temps». Les élites politiques et économiques ont eu recours aux gangs pour contrôler la population, les zones pauvres et les mouvements de contestations à des fins électorales.

C’est notamment « après le coup d’Etat et l’exil forcé du président Jean-Bertrand Aristide en 2004 que les gangs ont multiplié les alliances et allégeances à différents groupes politiques », explique Diego Da Rin, consultant au sein du think tank Crisis Group. Ces groupes étaient grassement payés et recevaient des armes et des munitions…

Après l’assassinat de deux missionnaires américains par des bandes armées, la Maison-Blanche a déclaré le 24 mai que la situation sécuritaire en Haïti ne pouvait plus attendre. Le Kenya, qui avait signé un accord de coopération avec le précédent gouvernement haïtien en juillet 2023, a annoncé l’envoi d’ici trois semaines de troupes pour aider à ramener l’ordre dans le pays. Cette mission est soutenue par l’ONU, qui espère obtenir une aide de la part des Etats-Unis.

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