- Author, Armand Mouko Boudombo
- Role, Journaliste BBC Afrique
- Twitter,
- Reporting from Dakar
Le Conseil National de la Communication, organe de régulation des médias au Cameroun a signé avec le réseau social TikTok un pré-accord pour la régulation des contenus dans le pays. Une mesure qui réjouit et inquiète en même temps.
Une équipe du réseau social TikTok pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre vient de boucler un séjour au Cameroun. L’une des escales dans leur agenda a été la rencontre avec les autorités de l’organe camerounais de régulation des médias, le Conseil national de la communication (CNC).
Au cours de la rencontre, les deux organisations ont discuté du renforcement de leur « collaboration pour une régulation inclusive des contenus en ligne au Cameroun » dans un contexte marqué par « l’approche des échéances électorales », explique le Conseil National de la Communication sur son site internet.
Il est notamment question de « lutter efficacement contre les contenus en ligne susceptibles de porter atteinte à la paix et à la cohésion sociale », poursuit l’organisation sans donner plus de précisions sur la spécificité des contenus qui seront régulés.
Joint par la BBC, le président du conseil, Joe Chebonkeng Kalabubse n’a pas souhaité s’étendre sur le sujet, expliquant que le réseau social était d’accord sur plusieurs points, mais doit encore se référer à son service juridique avant de prendre quelque mesure que ce soit.
Stopper le discours de haine
Le régulateur camerounais a souligné les « initiatives mises en avant par TikTok » lors de la rencontre. Elles visent notamment à « faciliter le travail des régulateurs, notamment la mise en place d’un portail permettant à la société civile et aux régulateurs de signaler les contenus illicites. Cette signalisation est considérée comme prioritaire.
En clair, les dénonciations du Conseil National de la communication auprès de TikTok pourraient être prioritaires et donner lieu à des actions prioritaires de la part du réseau social chinois. Les deux organisations ne précisent pas s’il y a des garde-fous.
Le CNC semble dans une campagne pour une régulation des contenus en ligne. Fin avril, l’organisation avait réuni des blogueurs et cyber journalistes pour préparer un mémorandum d’entente « sur comment les parties doivent se comporter à l’avenir et pourquoi pas nous (CNC) aider dans la régulation des contenus en ligne ».
Il estimait alors que « près de 50 % des Camerounais ont des smartphones et cela signifie qu’ils peuvent publier ce qu’ils veulent. Et ce faisant, ils ne savent pas ce qu’ils font et ce sont ces blogueurs qui peuvent rectifier le tir ».
Joint par la BBC, l’Union des Cyber Journalistes du Cameroun qui a pris part à la signature du préaccord entre le CNC et TikTok ajoute que la mesure, si elle entrait en vigueur, permettrait de protéger les enfants qui sont très exposés à TikTok, surtout à des contenus incontrôlés.
Mais au-delà, elle précise que la proposition de convention a insisté sur des actions de monitoring sur cette plate-forme.
Sollicité, TikTok n’a pas voulu s’exprimer sur les modalités de régulation que l’entreprise compte implémenter, expliquant qu’elle ne peut pas fournir de commentaire pour l’instant, puisque l’accord n’a pas encore été signé.
Approche des élections
Le Cameroun doit en principe tenir trois élections l’année prochaine. Si le calendrier est tenu, les législatives et municipales devraient avoir lieu en février 2025, et la présidentielle en octobre de la même année.
Mais, le pays a eu à reporter les élections législatives et locales en 2012 et 2018, évoquant des nécessités d’ajustement de la commission électorale pour la première, et des questions financières difficiles pour celles de 2018 qui devaient se tenir la même année que la présidentielle.
La dernière présidentielle a été vivement contestée par le principal opposant Maurice Kamto qui a été emprisonné puis libéré des mois plus tard, après avoir tenté de manifester avec ses militants pour contester les résultats donnant le président Biya vainqueur.
La présidentielle a également montré une montée de la controverse entre les militants pro-pouvoir et ceux de l’opposition, amenant le réseau social Facebook à fermer certains groupes d’échange hébergés par sa plateforme.
Par exemple, le groupe « Le Cameroun c’est le Cameroun », qui regroupait plusieurs centaines de milliers de personnes, a été momentanément fermé, avant d’être réouvert par Facebook, avec un nombre de participants réduit.
Son promoteur Mathieu Youbi, un militant du parti politique de Maurice Kamto, a dit avoir été notifié par Facebook de la fermeture de son groupe, parce que ce dernier « salit l’image du Cameroun et porte atteinte aux efforts de modernisation de l’État en construction ».
Facebook n’a pas réagi à nos sollicitations pour un commentaire sur ces allégations, jusqu’au moment où nous mettons cet article en ligne
Pourquoi l’accord inquiète ?
Ni l’association des blogueurs, ni l’Union des journalistes du Cameroun sollicités par la BBC n’ont voulu s’exprimer sur ce préaccord qui lie désormais le régulateur des médias au réseau social TikTok. Mais la mesure réjouit et inquiète en même temps Yannick Assonmo Necdem.
Journaliste et enseignant-chercheur, il trouve pertinent de penser à une régulation des contenus en ligne au Cameroun, « au regard des dérives langagières qui pullulent dans ces espaces numériques ».
Mais, le CNC étant un organe gouvernemental, poursuit M. Assonmo Necdem « le défi est de réguler sans tuer le formidable progrès en matière de liberté d’expression et de co-construction d’un espace public plus démocratique. La lutte contre les discours de haine et l’approche des élections ne doivent pas servir de prétexte pour museler la société, les acteurs politiques de l’opposition, les voix indépendantes et plus généralement les citoyens. »
Il rappelle que « c’est une préoccupation majeure concernant le besoin de réguler les espaces numériques, tout comme cette préoccupation a été formulée par la Commission africaine des droits de l’Homme et des Peuples concernant la lutte contre le terrorisme ».
Analysant ce préaccord, Maurice Simo Djom qui a coordonné, en 2020, la rédaction d’un ouvrage sur l’impact des réseaux sociaux au Cameroun le voit d’un bon œil, étant donné les préoccupations des États à protéger les citoyens des dérives en ligne, surtout la petite enfance.
Bien qu’il faille selon lui, mettre un accent sur ce qu’il appelle l’intégrité électorale, qui consiste pour les gouvernements à protéger les processus électoraux contre les ingérences.
Étant dans une période qui peut déjà être considérée comme pré-électorale, écrit Maurice Simo Djom, « nous suggérons que le gouvernement camerounais peut évoquer toutes les options en signant cet accord, en sensibilisant les représentants de TikTok sur la nécessité d’un filtrage optimal des messages pouvant porter atteinte à l’intégrité électorale ».
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