« Je prends le frais, ça va peut-être m’aider. » À Saint-Jean-de-Védas, commune périurbaine de 12 500 habitants dans la première couronne de Montpellier, les électeurs ont afflué dès l’ouverture dans les trois bureaux de vote ouverts dans le château du Terral, salle de spectacle et propriété municipale. Joséphine, 79 ans, s’est assise sur un banc près de l’entrée de son bureau pour s’accorder un dernier instant de réflexion. Va-t-elle voter pour le candidat LR-RN ou pour le candidat écologiste du Nouveau Front populaire ? Jamais cette fille d’immigré russe n’a autant hésité avant de glisser son bulletin dans l’urne, elle qui a « travaillé en usine depuis l’âge de 15 ans ». « Il n’y a jamais eu autant de reports de gens qui votaient ceci et votent cela. On est un peu déroutés. » Elle déplore « la perte des valeurs, tout ce qu’on détruit de nos biens, de nos usines, de ce qui faisait la France ». Dit « avoir peur de sortir dans la rue, de prendre un coup de couteau ».
À l’entrée du premier bureau, un groupe d’amis sexagénaires discute avec animation. « Tous les scrutins sont importants, mais ce scrutin est plus important que d’autres », estime Bernard, ancien gestionnaire d’entreprise. « On est au seuil de quelque chose qui pourrait déstabiliser complètement nos institutions politiques et notre mode de fonctionnement démocratique. » Véronique est venue avec la procuration de sa fille, qui vit à 700 km. Cette enseignante redoute que l’éducation et la culture « deviennent les parents pauvres ». Elle ne veut pas « confier nos institutions à des gens incompétents, qui changent d’avis comme de chemise ». Elle aimerait que les politiques, en France, « arrivent à travailler dans le compromis ». « Il va falloir qu’ils se bougent ! » Frédéric, 52 ans, couvreur-zingueur, sort du bureau de vote à grandes enjambées. Oui, il est inquiet. Ce qu’il redoute ? « La guerre civile ».
À LIRE AUSSI « En me bouchant le nez » : ces électeurs de droite qui vont voter LFIRarement les Français s’étaient autant mobilisés pour des élections législatives. À 17 heures, le taux de participation atteignait 59,71 %, du jamais-vu depuis 1981. Les électeurs peuvent se rendre aux urnes jusqu’à 18 heures, ou 20 heures dans les grandes villes. Soixante-seize députés ont été élus dès dimanche 30 juin, et il en reste cinq cent un à désigner. Au premier tour, les Français ont placé le Rassemblement national – et ses alliés issus de LR – largement en tête (33 %), devant l’alliance de gauche Nouveau Front populaire (NFP, 28 %), et le camp présidentiel Ensemble ! (20 %).
Certains commerçants barricadent leurs vitrines
Après une campagne d’entre-deux-tours sous tension et marquée par des violences, certains redoutent des débordements après l’annonce des premières tendances et premiers résultats, ce soir à partir de 20 heures. À Marseille, dans la grande rue piétonne Saint-Férreol, de larges panneaux en bois ont été posés devant Sephora et quelques autres boutiques. « Il y a encore moins de raisons de tout casser que l’an dernier, mais tout le monde est tendu. Les minots, ils te regardent de travers », lâche Eddy, un vigile. Sur les hauteurs d’Endoume, plus loin, une inscription prévient sur le mur d’une agence immobilière : « Attention au bruit des bottes. » Croisée dans la matinée, Françoise, la cinquantaine, vient d’aller voter. « On n’est pas la génération qui a connu ça, mais ça fait peur. Les gens que je connais depuis longtemps, dès que ça parle politique, ça s’agace vite, mes voisins se sont insultés l’autre jour. Moi, ça m’inquiète. »
L’angoisse ici, la fatigue là-bas. Olivier vient de voter lui aussi. Premier réflexe en sortant de la cour de l’école, allumer une cigarette. « Je suis épuisé par Macron, tout ce qu’il nous a fait subir. Il est temps que ça s’arrête, on est tous à cran. On pourrait se régaler avec l’Euro et les JO à Marseille, on n’a même pas envie », ajoute-t-il, avant de filer « à la douche ». Il s’est levé tôt, dès 4 heures, il bosse au marché d’intérêt national.
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Dans cette ville qui a placé deux élus Insoumis dès le premier tour et propose cinq autres duels entre le RN et la gauche, les opinions sont tranchées et la lassitude semble habiter ceux qui ne savent pas. « Franchement, ceux qui restent ne nous proposent que le chaos ou le chaos », gronde Ilham, qui a voté LR dimanche dernier. « On voit les programmes, on prend peur. Mon mari est italien, ajoute cette préparatrice en biologie. On dirait que ce qui leur est arrivé va nous arriver aussi. Quand on voit ce qu’ils vivent depuis des années, Meloni et compagnie, on va vite regretter Macron ici. » Ilham ne sait toujours pas si elle va voter.
Partout, colère et inquiétude
Même inquiétude dans les rues de Lyon. « C’est très inquiétant, on ne sait pas où on va… » confie Anne, électrice « de droite », à la sortie d’un bureau de vote du 6e arrondissement de Lyon. « Scandalisée par la campagne » et surtout par « les accords de désistement de la majorité présidentielle pour LFI », cette mandataire judiciaire de 58 ans a malgré tout voté pour la députée sortante macroniste Anne Brugnera alors que la circonscription pourrait basculer pour la première fois à gauche en raison d’une triangulaire avec une socialiste et un RN. Mais elle a trouvé « lamentable cette classe politique qui ne s’intéresse qu’à ses sièges ».
J’ai l’impression de vivre l’histoire en direct.
Alain, 72 ans, trouve aussi que l’on a vécu « une période immonde, avec ces gens qui ne sont là que pour aller à la soupe ». Cet entrepreneur de 72 ans avait voté pour Macron en 2017. Il ne souhaite pas dire pour qui il a voté cette fois, mais il estime que « le RN, ce n’est pas le FN. C’est le RPR de l’époque, ce n’était pas très beau déjà avec le SAC, Pasqua… S’ils arrivent au pouvoir, ils ne feront rien. On l’a vu en Italie avec Meloni, qui n’a rien changé. Les institutions européennes sont fortes ». Il considère que « les gens en ont vraiment marre » et que « ça va bouger très fort. La France a déjà connu des crises, elle s’en remettra. Là, je crois qu’il n’y aura pas de majorité, ça va être le bordel. Si Bardella n’est pas Premier ministre cette fois, il sera président la prochaine. C’est lui qui suscite l’adhésion ».
Un peu plus loin, un jeune couple se dit « très inquiet ». Élise, comptable, ne suit pas les informations mais n’a « jamais vu autant de personnes pousser à aller voter sur les réseaux sociaux ». Elle s’inquiète « de la vague de racisme et pour les droits des femmes ». Franco-Togolais, Fredy, alternant dans la promotion immobilière, a « l’impression de vivre l’histoire en direct ». « Ce qui m’inquiète, ce sont les langues qui se délient, ça pousse à nous diviser. » Il ne redoute pas tant la victoire du RN : « On est en démocratie, ils ne pourront pas tout faire. Et je pense qu’ils vont renoncer à leurs mesures sur la binationalité ou tout ça, qu’ils vont comprendre que ce n’est pas ça, le vrai combat. Par contre, je crains vraiment la réaction de certains de leurs électeurs qui vont vouloir fêter leur victoire et appeler à des ratonnades comme on le voit régulièrement dans le Vieux Lyon. »
Un nombre record de procurations
À Nantes aussi, plusieurs commerçants ont recouvert leurs vitrines de panneaux de bois. Une habitude ici, dans la cité des ducs, où les manifestations riment bien souvent avec dégradations, comme ce fut d’ailleurs le cas dimanche 30 juin. Alors qu’un défilé d’un millier de militants antifascistes s’était déroulé sans accroc, des débordements avaient émaillé la fin de soirée, dispersés à coups de gaz lacrymogène… Malgré cela, contrairement à d’autres grandes villes en France (comme à Rennes), aucune interdiction de défiler n’a été décrétée par les autorités ce 7 juillet, la préfecture de Loire-Atlantique prévenant seulement que le centre-ville sera dûment surveillé par des drones dès 19 heures.
En attendant, les bureaux de vote, eux, ont été pris d’assaut. Les demandes de procuration ont battu des records dans la capitale des Pays de la Loire : 17 604, c’est près de 1 000 de plus qu’une semaine avant et 10 000 de plus qu’aux législatives de 2022 ! Avoir glissé son bulletin dans l’urne a non seulement provoqué un élan d’espoir chez Sylvie, mais aussi un vrai soulagement. L’espoir, pour cette quadragénaire marquée à gauche, est de voir le NFP renverser la vapeur sur le plan national, ou du moins d’empêcher le « FN », comme elle dit, d’obtenir la majorité, « relative ou absolue ». Quant au soulagement, cette Nantaise l’éprouve d’abord avec la fin d’une campagne particulièrement « agressive ». « C’est parti dans tous les sens, on n’osait plus en parler autour de nous tant les avis étaient tranchés, assure-t-elle. Ce qui m’exaspère le plus, c’est qu’on demande toujours aux mêmes de faire barrage. »
Loin des grandes villes, à Marmande (Lot-et-Garonne), les rues n’étaient pas très animées dimanche matin. Les devantures abandonnées des commerces ont servi de panneaux d’affichage au Nouveau Front populaire. À deux pas de l’église Notre-Dame, une professeure de danse de 34 ans a accompli son devoir électoral à la première heure. « En glissant mon bulletin dans l’urne, j’ai eu l’impression de faire quelque chose d’extrêmement important, de participer à l’écriture d’une page de l’histoire de France. » En avril 2002, cette électrice de gauche, qui souhaite garder l’anonymat, avait à peine 12 ans. « J’étais une enfant, mais je me souviens d’avoir ressenti la même chose qu’en ce moment, le sentiment qu’une catastrophe pouvait arriver. » Cette électrice est très remontée contre Emmanuel Macron. « Je lui en veux d’avoir dissous et de jouer l’avenir du pays aux dés. Il est cynique et irresponsable. » La jeune femme vêtue d’un ensemble noir estival allume une cigarette et poursuit : « J’ai un petit garçon de 8 mois. J’ai peur pour lui. Je suis effrayée à l’idée qu’il grandisse dans un pays dirigé par des gens dont la brutalité est à l’opposé de mes valeurs. »
Je suis inquiet pour la France. Je ne suis pas serein pour mes enfants et mes petits-enfants.
Un peu plus loin, Monique, 66 ans, tout sourire, rentre chez elle d’un pas décidé. Cette retraitée qui s’est mise sur son, pour aller voter, attend les résultats avec impatience. « Je croise les doigts pour que ça change enfin pour les Français ! » En prévision de la soirée électorale qu’elle va passer avec un ami, elle a déjà mis une bouteille au frais. « C’est la première fois de ma vie que je vais boire du champagne un soir d’élections ! » Cette Marmandaise, qui confie suivre la politique « seulement sur TikTok », avoue ne pas connaître le nom d’Hélène Laporte, la députée (RN) sortante. « J’ai voté Bardella [sa photo figure sur la profession de foi de la candidate, NDLR] pour qu’il devienne Premier ministre. » La seule inquiétude de Monique ? « Qu’il ne puisse pas faire tout ce qu’il a dit sur les retraites et les étrangers. »
À 75 ans, Pierre a voté, comme il le fait depuis des décennies, à l’hôtel de ville. Ce gaulliste, qui « adore la politique », en veut à Emmanuel Macron. « Ce n’était pas le bon moment de dissoudre l’Assemblée nationale. Avec les Jeux olympiques, ça va être le gros bazar. » Depuis plusieurs jours, le retraité ne décolle plus les yeux de LCI. « Je suis inquiet pour la France. Je ne suis pas serein pour mes enfants et mes petits-enfants », poursuit-il. Alors, avec son épouse, il a pris une décision radicale : annuler purement et simplement leurs vacances prévues au Portugal. « Pas question de partir en ce moment alors que l’on ignore ce qui va se passer ici dans les prochains jours. Selon les résultats, ça pourrait tourner à la bagarre dans tous les quartiers difficiles. Il faut être là. » Le retraité l’assure : « Cette ambiance, ça me rappelle le grand écœurement que j’ai ressenti en mai 1981 quand Mitterrand a été élu. »
Devant la mairie, Stecy, presque 19 ans, pianote sur son portable. L’élève infirmière regrette de ne pas avoir effectué son changement d’adresse car « maintenant la situation [l]’inquiète un peu ». L’étudiante poursuit : « J’ai l’impression de vivre un moment historique sans pouvoir y participer. »
Sur la place du Marché, Philippe, 60 ans, qui vient de voter, est inquiet. « Je ne suis pas serein. Si l’extrême droite arrive au pouvoir, ce sera le grand tournant de la Ve République. » Le futur retraité enchaîne : « J’ai encore l’espoir que ce 7 juillet ne devienne pas un jour historique. »
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