Au Sénégal, le business des moutons XXL

Dans son enclos en carrelage imitation marbre, Thiapathioly bêle de satisfaction. Moussa Sy, un éleveur, lui masse les côtes. « Il adore ça ! », lance le jeune homme, caché par l’énorme croupe du bélier. Massages, soins au beurre de karité, cure de vitamines… Bienvenue à Ndao et frères, une bergerie pour moutons de luxe dans la banlieue de Dakar.

Au 5e étage d’un appartement cossu avec vue sur l’océan, les bêtes portent des prénoms et mènent une vie de pacha à faire pâlir d’envie nombre de Sénégalais, dont 38 % vivent sous le seuil de pauvreté. Moulures et ventilateurs au plafond, salon feutré équipé d’une télévision… Priorité au confort des animaux et des visiteurs. « C‘est aussi du marketing », reconnaît le gérant Saliou Ndao, qui poste des vidéos sur une page Facebook. Sur les réseaux sociaux, des éleveurs dépensent des fortunes pour attirer leur riche clientèle. Climatisation, lumières LED colorées et même un vigile à l’entrée… Certaines étables ressemblent presque à des boîtes de nuit.

Baptisé en hommage à l’ancien roi du Maroc

Au Sénégal, l’élevage des ladoums, une race d’ovins prisée pour sa beauté et sa taille exceptionnelle, est en plein essor. Né dans les années 1970 d’un croisement entre le touabire mauritanien et le bali-bali du Mali, ce « super mouton » principalement utilisé pour la reproduction peut se vendre plus d’une dizaine de milliers d’euros. En 2017, Hassan II, un bélier baptisé en hommage à l’ancien roi du Maroc, a même atteint le record de 52 millions de francs CFA, soit plus de 80 000 € ! Son propriétaire a néanmoins refusé de le vendre, estimant qu’il valait plus.

Pour s’offrir Thiapathioly, un de ses « petits-fils », Saliou Ndao a dû débourser une petite fortune, 40 millions de francs CFA (60 000 €). « Mais c’est un investissement très rentable, il me rapportera trois à quatre fois son prix d’achat, les ladoums produisent beaucoup et améliorent les races », explique le propriétaire, qui s’est lancé dans ce « business » avec son frère aîné il y a vingt ans avec deux moutons. Ils en ont depuis une cinquantaine. À trois ans, Thiapathioly compte déjà une vingtaine d’agneaux, vendus chacun entre « un à dix millions » de francs CFA.

Prestige social de la famille

Quand il ne se prélasse pas dans son enclos protégé par une armada de caméras de surveillance, Thiapathioly, 150 kg pour 140 cm de tour de poitrine – la taille mannequin pour un ladoum –, enchaîne les concours de beauté et les séances photo. Avec son port altier, ses deux cornes enroulées et son élégante toison blanche, Thiapathioly, qui signifie « l’unique » en wolof, est une célébrité. Compétitions, émissions télévisées, pages fan sur Facebook… Au Sénégal, le ladoum est une fierté nationale.

À quelques jours de la Tabaski (l’Aïd-El-Kébir), le 16 juin, la grande fête des musulmans lors de laquelle chaque famille abat un mouton pour commémorer le sacrifice d’Abraham, les éleveurs exposent leurs plus belles bêtes dans les rues. Chaque année, 800 000 ovins sont vendus dans ce pays à 90 % musulman. « C’est notre plus gros chiffre d’affaires de l’année, tout le monde veut son mouton, certains économisent pendant un an pour en acheter un », rapporte l’éleveur Alioune Badara Dieng, qui espère gagner 1 500 à 3 000 € de bénéfices en deux semaines.

Mais au Sénégal, où le PIB annuel par habitant avoisine 1 400 €, la plupart devront se satisfaire d’un mouton ordinaire, à 150 €, pour le traditionnel méchoui de la Tabaski. S’offrir un ladoum reste un luxe. Chez Ndao et frères, la plupart des clients sont « des hommes d’affaires, des politiques ou des célébrités », énumère le gérant. Au-delà de la dimension religieuse, le mouton est aussi le symbole du prestige social d’une famille. « Mais ce ne sont pas des jouets ! Il faut les respecter et les aimer comme sa propre femme », s’agace Alioune Badara Dieng, en caressant Chérif, son ladoum de 135 kg.

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Le hajj, l’un des cinq piliers de l’islam

L’Aïd-El-Adha (« fête du sacrifice » en arabe) ou Aïd-El-Kébir (la « grande fête »), aussi appelée Tabaski en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale (Tchad, Cameroun), est la plus importante des fêtes musulmanes.

Célébrée cette année le 16 juin, elle correspond avec le hajj, le temps du grand pèlerinage à La Mecque (ouest de l’Arabie saoudite) qui est l’une des cinq « obligations » pour le croyant musulman.

L’année dernière, le hajj a attiré plus de 1,8 million de pèlerins, après que les autorités ont levé les restrictions liées à la pandémie et supprimé les limites d’âge.

Tous les musulmans sont censés accomplir le hajj, l’un des cinq piliers de l’islam, au moins une fois dans leur vie s’ils en ont les moyens.

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