pourquoi le Sénégal n’a pas réitéré son exploit de 1988

_Depuis 1988, le Sénégal n’a remporté qu’une seule médaille olympique, un exploit réalisé par El hadji Amadou Dia Ba aux Jeux olympiques de Séoul avec un temps de 47,23 secondes au 400 m haies terminant deuxième derrière l’Américain André Phillips (47,19 secondes).

Nalla Socé Fall, enseignant-chercheur spécialiste en politique sportive examine les facteurs clés qui ont contribué à ce succès et les obstacles qui ont empêché le Sénégal de briller à nouveau sur la scène olympique. Il esquisse quelques pistes pour revitaliser le sport olympique et renouer avec les médailles.

Le Sénégal a remporté son unique médaille olympique en 1988. Quelles étaient les facteurs clés qui avaient contribué à ce succès ?

Cette réussite ne fut pas un hasard, car El Hadji Amadou Dia Ba avait déjà atteint la finale des Jeux olympiques de 1984 à Los Angeles. En 1987, il s’était classé quatrième aux championnats du monde, se plaçant ainsi parmi les meilleurs athlètes mondiaux. Dia Ba avait bénéficié du soutien de l’État sénégalais, avec une bourse de l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (INSEP) à Paris qui lui permettait d’avoir un traitement privilégié. Après avoir été champion d’Afrique à cinq reprises, il a su percer grâce aux conditions réunies. Le président Abdou Diouf lui avait également accordé une bourse qui lui permit de séjourner aux États-Unis pendant quatre ans.

Suite aux Jeux de Los Angeles, Dia Ba avait affirmé que, s’il bénéficiait de conditions optimales, il pourrait remporter une médaille aux prochains Jeux olympiques, ce qu’il fit. Cette bourse lui permit de séjourner longtemps aux États-Unis et de faire des allers-retours à l’INSEP de Paris, ce qui l’aida à démystifier ses concurrents. Il est crucial de se mesurer aux meilleurs pour éviter le blocage psychologique lors des grandes compétitions. Edwin Moses, invaincu pendant 9 ans, 9 mois et 9 semaines, fut battu par Dia Ba aux Jeux de Séoul. L’athlète sénégalais manqua de peu la médaille d’or, avec un temps de 47,23 secondes contre 47,19 secondes pour le vainqueur, Andre Phillips, car son principal concurrent était Edwin Moses.

Cette victoire était le fruit d’un long travail et du soutien de l’État sénégalais. Il est essentiel de comprendre que les sports olympiques nécessitent un accompagnement total. Et contrairement aux autres sports comme le football et le basketball, les athlètes olympiques ne bénéficient pas de contrats lucratifs leur permettant d’être autonomes. L’engagement de l’État est donc crucial pour réussir dans ces disciplines, comme l’a démontré la victoire d’El hadji Amadou Dia Ba.

Quels ont été les principaux obstacles à la réussite olympique du Sénégal depuis 1988 ?

Suite à cette médaille olympique, on espérait que cela déclencherait un engagement total du Sénégal pour soutenir ses athlètes olympiques. Cependant, de nombreux obstacles persistent. Il est important de rappeler que les Jeux olympiques sont un rendez-vous crucial entre les nations, et que la médaille olympique a une signification géopolitique importante. Les pays riches investissent massivement, et certains pays en développement prennent en charge leurs athlètes pour exister sur la scène internationale, en plus de trouver des raccourcis en incitant les athlètes talentueux des pays en développement à changer de nationalité à leur profit. Depuis cette victoire, le Sénégal n’a pas suffisamment investi dans les sports olympiques, comme le montrent les nombreuses plaintes ) des athlètes concernant leurs conditions de prise en charge .

Pour que le sport olympique puisse prospérer, l’État doit s’engager et trouver des moyens de financement supplémentaires, notamment par le secteur privé et le sponsoring. Malgré la création du fonds de relance, le Sénégal n’a pas été à la hauteur. Une nouvelle génération dorée, incarnée par Amy Mbacké Thiam, a failli remporter une médaille olympique après être devenue championne du monde en 2001 à Edmonton et médaillée de bronze en 2003 à Paris.

Malheureusement, il n’y a pas eu de Jeux olympiques entre ces deux événements. En 2004, elle a atteint la finale, mais n’a pas remporté de médaille. L’équipe du relais 4×400 mètres a également terminé quatrième aux Jeux de 1996 à Atlanta, juste au pied du podium. Ndiss Kaba Badji s’est classé sixième mondial aux Jeux de 2008 à Pékin , et Ken Ndoye, qui avait un gros potentiel, n’a jamais reçu un accompagnement adéquat .

Le Centre international d’athlétisme de Dakar (CIAD) nous permettait de maintenir notre niveau Le CIAD a été fermé depuis plus de 10 ans par l’IAAF. Ce sont des centres de développement qui permettaient aux pays du tiers monde de mettre leur élite dans des conditions de performance, avec des experts contractés directement par IAAF. Malheureusement, les pays de l’Afrique qui comptaient trois centres au Kenya, en Île Maurice et au Sénégal sont devenus orphelins de cette vision éclairée du président Lamine Diack. A la place, il y a une nouvelle version avec l’African Athletics Development Centre (AADC) qui a moins de moyens et d’envergure. C’est pourquoi les pays africains comme le Sénégal doivent travailler à avoir leur propre centre de développement pour y produire le maximum de talents possible.

Le Sénégal doit repenser sa politique sportive, et les nouvelles autorités semblent s’y atteler. Une médaille se prépare sur une période de quatre à huit ans. Les futurs médaillés olympiques ont souvent atteint au moins les demi-finales des Jeux précédents, à quelques exceptions près. Il est crucial de détecter les athlètes dès le primaire et de les accompagner à travers des lycées sportifs. Une fois à l’université, des centres de développement sont nécessaires. Le Sénégal n’a pas eu cette infrastructure, ce qui le pousse à se rabattre sur l’INSEP de Paris, où les conditions peuvent être difficiles en raison du dépaysement.

L’Afrique du Sud et le Botswana montrent la voie avec leurs centres nationaux qui développent d’excellents athlètes réalisant de grandes performances aux Jeux Olympiques et aux championnats du monde. Le Sénégal doit s’inspirer de ces nations pour se hisser à leur niveau.

Quels sont les principaux changements politiques que vous suggéreriez pour stimuler la réussite olympique du Sénégal ?

Comme je l’ai décrit dans mon livre, la politique olympique à mettre en œuvre doit se concentrer sur la préparation à long terme de nos sports olympiques. L’entraînement est un processus pédagogique qui prend du temps. Les médailles ne se gagnent pas du jour au lendemain, et il n’y a pas de génération spontanée. Il faut investir dans la durée et garantir la qualité de cet investissement en matière de ressources humaines, d’infrastructures, mais aussi en termes de prise en charge médicale, diététique et de la rémunération des athlètes professionnels.

Le secret réside dans la planification, la préparation et la mise à disposition de moyens suffisants pour que les athlètes puissent se sentir à l’aise et sachent qu’ils peuvent se réaliser en pratiquant des sports olympiques. Sinon, ils se tourneront vers le football, qui attire plus de monde et génère plus d’argent.

Pouvez-vous nous faire part d’exemples de réussite ou d’études de cas tirés de votre livre qui pourraient offrir des leçons précieuses au Sénégal?

Pour illustrer des exemples de réussite, on peut citer Cuba, le Royaume-Uni et la Chine. En 1996, le Royaume-Uni s’était classée 36e, ce qui avait provoqué un tollé général dans le pays, où l’attention était principalement portée sur le football. En réponse, les Britanniques ont créé UK Sport pour redéfinir leur politique sportive concernant les sports olympiques. Vingt ans plus tard, leurs efforts ont porté leurs fruits. En 2008, ils se sont classés troisièmes, puis troisièmes également à Londres en 2012 et deuxièmes à Rio en 2016. Ils continuent d’obtenir d’excellents résultats.

Pour la Chine, la situation est similaire. Après les Jeux olympiques de Los Angeles, où elle avait obtenu de bons résultats en l’absence des pays de l’Est qui boycottaient les Jeux, la Chine s’est rendu compte en 1988, avec le retour des pays de l’Est, qu’elle n’était pas encore au niveau olympique souhaité. En s’inspirant des méthodes l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS, qui n’existe plus) et des pays de l’Est, elle a changé sa politique olympique. Vingt ans plus tard, la Chine a atteint ses objectifs, se classant à la deuxième place à Athènes en 2004, remportant les Jeux de Pékin en 2008. Elle reste depuis lors à la pointe des performances olympiques. Son succès repose sur l’implication d’experts internationaux.

Le Sénégal peut s’inspirer de ces pays avec une volonté politique forte. Il est important de noter qu’il n’y a pas de corrélation directe entre la richesse d’un pays et ses performances olympiques. Par exemple, Israël, malgré ses ressources, n’a remporté que deux médailles, tandis que Cuba, grâce à son orientation stratégique vers les sports olympiques, parvient à se distinguer sur la scène internationale.

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