Le cacao au cœur de la déforestation : l’urgence de réguler efficacement les usages de la terre dans le bassin du Congo
La conversion des forêts en terres agricoles pour répondre aux demandes locales, nationales et internationales est responsable de la majeure partie de la déforestation mondiale. Cette déforestation menace la conservation de la biodiversité et contribue significativement aux émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine. Or, les forêts sont largement reconnues comme des filets de sécurité permettant aux populations locales d’atténuer les risques agricoles et de faire face aux stress saisonniers, climatiques et autres. Au niveau mondial, environ 75 % de la population pauvre vit dans des zones rurales, et environ 90 % de cette population pratique l’agriculture pour subsister. Dans ces territoires, les forêts constituent une ressource cruciale, fournissant des produits et des services essentiels et représentant 22 à 27 % du revenu total des ménages.
Dans le bassin du Congo, la déforestation à petite échelle a de grandes conséquences
Les ménages du paysage de conservation transfrontalière Dja-Minkebe-Odzala (« Tridom »), étendue entre le Cameroun, le Gabon et la République du Congo, adoptent diverses stratégies de subsistance : agriculture vivrière, production agricole d’exportation (comme le cacao) ou encore activités basées sur la forêt, comme la récolte de produits forestiers non ligneux dont les plus consommés sont irvingia spp., Ricinodendron heideulotti et Gnetunm africanum. Ces choix déterminent l’utilisation des terres et l’exploitation des ressources forestières, impactant directement la déforestation et la dégradation des forêts.
Dans le bassin du Congo, la déforestation issue de l’agriculture est principalement attribuable aux petits exploitants agricoles utilisant des techniques de culture sur brûlis
Dans le bassin du Congo, deux régimes de gestion des forêts coexistent : le « domaine forestier permanent », mandaté pour demeurer forêt et maintenir la biodiversité, incluant les concessions d’exploitation forestière et les aires protégées ; et le « domaine forestier non permanent » ouvert aux activités agricoles et au développement des infrastructures. Contrairement à l’Asie du Sud-Est et à l’Amazonie, où les opérations agricoles à grande échelle sont prédominantes, la déforestation issue de l’agriculture dans le bassin du Congo est principalement attribuable aux petits exploitants agricoles utilisant des techniques de culture sur brûlis. Des enquêtes montrent que 85 % des ménages du Tridom sont responsables de la conversion de la forêt vers d’autres usages.
L’agriculture familiale extensive et non durable, basée sur la culture sur brûlis, aggrave la déforestation et la dégradation des forêts à petite échelle. Sans rotation optimale des cultures, la fertilité des sols et le rendement des cultures diminuent, contribuant à la surexploitation des ressources et à la perpétuation de la pauvreté.
Une étude économétrique qui révèle un important levier pour lutter contre la déforestation
Pour aider à concevoir des politiques efficaces face à la déforestation à petite échelle dans le bassin du Congo, les scientifiques d’INRAE, en collaboration avec l’UNEP-WCMC, l’Institut international d’agriculture tropicale, l’Institut du bassin du Congo, le CIFOR et l’université de Californie Los Angeles, ont analysé les facteurs sous-jacents de ce phénomène. Leur étude, basée sur des données originales recueillies auprès de 1 035 ménages du paysage de conservation Tridom, met en lumière l’impact des stratégies de subsistance sur la déforestation. Cette recherche pionnière, utilisant une approche d’économétrie spatiale, souligne l’importance des interactions entre exploitants, comblant ainsi une lacune dans les analyses économétriques de la déforestation tropicale en Afrique centrale et occidentale.
Le cacao, un risque pour la forêt
Plus les revenus des ménages tirés de la culture du cacao sont élevés, plus le risque de déforestation est important.
Les ménages se spécialisant dans la production de cacao ont l’impact le plus significatif sur la déforestation : plus les revenus tirés de cette culture sont élevés, plus le risque de déforestation est important par rapport à d’autres stratégies de subsistance. En tant que produit
agricole, le cacao présente un risque élevé de déforestation, car les revenus qui en sont issus financent souvent l’expansion des terres agricoles. De plus, les effets de voisinage des stratégies basées sur la production de cacao peuvent atteindre jusqu’à 20 % des effets directs de ces ménages, et sont équivalentes aux effets directs d’autres stratégies de subsistance. Enfin, l’intensification de la production de cacao, même dans un cadre durable, attire de nouveaux agriculteurs et accentue la déforestation. Ainsi, bien que l’agroforesterie cacaoyère puisse contribuer à la conservation, sans zonage d’utilisation des terres ni politiques incitatives appropriées, la prospérité liée au cacao continue de menacer les forêts.
Les conditions sociales et économiques qui influencent la déforestation
La déforestation dans le bassin du Congo est influencée par divers facteurs. Une meilleure accessibilité au marché réduit l’autoconsommation des produits agricoles et augmente la déforestation. Les conflits fonciers et la distance des zones protégées n’ont pas d’impact significatif, tandis que les conflits homme-faune, notamment homme-éléphants, aggravent la déforestation, soulignant l’importance de politiques de protection de la faune intégrant les populations locales. Les interactions spatiales jouent un rôle crucial : les ménages imitent les décisions de déforestation de leurs voisins. L’emploi des membres des peuples autochtones Baka par les communautés bantoues semble orienté vers l’utilisation intense des terres, et par conséquent associé à une plus grande déforestation, alors que la main-d’œuvre familiale n’a pas d’influence. Les facteurs comme le sexe et l’âge pointent la culture du cacao, qui, plus exigeante physiquement, entraîne une déforestation plus importante chez les hommes. En somme, le développement économique, favorisant les cultures de rente comme le cacao et l’accès aux marchés, est associé à une augmentation de la déforestation.
Mieux planifier et réguler pour sauver la forêt
À l’heure de l’émergence des régulations commerciales internationales en faveur des produits exempts de déforestation, la nécessité d’un modèle de développement intégrant à la fois l’amélioration du niveau de vie et de la résilience des ménages, et la préservation des écosystèmes forestiers devient urgente. Pour répondre au défi de la déforestation liée à la production de cacao, une approche stratégique impliquant les agriculteurs eux-mêmes s’impose. Une telle approche associerait la promotion de systèmes agroforestiers complexes à une meilleure planification foncière et à des mesures d’incitation en faveur de pratiques agricoles et forestières durables. En parallèle, des efforts de recherche et d’accompagnement sont essentiels pour améliorer les rendements agricoles de manière durable, car une productivité accrue peut contribuer à réduire la pression sur les zones forestières vulnérables.
Connaissez-vous l’agriculture intelligente face au climat ?
Selon la FAO, l’agriculture intelligente face au climat (climate-smart agriculture) est une approche qui définit les mesures nécessaires pour réorienter les systèmes agricoles dans le but de soutenir efficacement le développement de l’agriculture et d’assurer la sécurité alimentaire face au changement climatique. Cette approche vise 3 objectifs principaux :
- l’augmentation durable de la productivité et des revenus agricoles (sécurité alimentaire) ;
- l’adaptation et le renforcement de la résilience face aux impacts des changements climatiques (adaptation) ;
- et la réduction et/ou la suppression des émissions de gaz à effet de serre (l’atténuation).
Dans cette optique, une agroforesterie cacaoyère complexe et bien gérée est un outil durable pour les paysages forestiers. Elle profite aux agriculteurs locaux et contribue à la préservation de la nature. Elle est cohérente avec les réglementations internationales qui cherchent à dissocier le cacao de la déforestation et à améliorer la biodiversité. Parmi ces réglementations, citons le règlement de l’Union européenne sur les produits exempts de déforestation, la directive de l’Union européenne sur le devoir de diligence des entreprises en matière de développement durable (CSDDD) et la loi du Royaume-Uni sur le devoir de diligence . Ces mesures visent à empêcher l’entrée sur les marchés de l’UE et du Royaume-Uni de produits issus de la déforestation en obligeant les entreprises à faire preuve de diligence raisonnable dans leurs chaînes d’approvisionnement.
REFERENCE
Ngouhouo-Poufoun J., Chaupain-Guillot S., Ndiaye Y. et al. (2024). Cocoa, livelihoods, and deforestation within the Tridom landscape in the Congo Basin: A spatial analysis. Plos one, 19 (6), e0302598. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0302598
Ce projet a bénéficié du soutien financier du UKRI GCRF (projet ES/S008160/1), du CIFOR-GCS M3 via NORAD (subvention QZA-12/0882) et du programme « Investissements d’Avenir » de l’ANR (LabEx ARBRE, ANR-11-LABX-0002-01). Les financeurs n’ont eu aucune influence sur la conception de l’étude, la collecte et l’analyse des données, la décision de publier ou la préparation du manuscrit.
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