Émanations toxiques d’algues brunes : la Martinique pionnière dans la recherche sur la santé

« Un destructeur de cellule », « un poison ». C’est ce que représente le phénomène des sargasses pour les Martiniquais. La décomposition de ces algues brunes qui s’échouent en nombre libère notamment des gaz toxiques, dont deux sont à ce jour identifiés : le sulfure d’hydrogène (H2S) et l’ammoniac (NH3). La concentration de l’hydrogène sulfuré dépasse parfois jusqu’à cinq fois le seuil de tolérance, fixé à 1 ppm (partie par million). L’exposition chronique à ces émanations provoque irritations aux yeux, nausées, maux de tête, etc. Comment cette région française gère-t-elle ces conséquences sanitaires ?

En matière de recherche sur la santé, La Martinique se démarque au sein des Caraïbes. « Dès 2019, notre équipe du Centre hospitalo-universitaire (CHU) de Martinique, à Fort-de-France, lançait l’alerte dans la revue Lancet sur le risque sanitaire lié aux sargasses, explique l’épidémiologiste Rishika Banydeen. Et en février 2024, nous avons publié une étude pionnière sur le lien entre apnée centrale du sommeil et exposition au sulfure d’hydrogène. » Deux ans plus tôt, ils mettaient en lumière le risque auquel s’exposent les femmes enceintes qui vivent ou travaillent à proximité des échouages. En parallèle, des études anthropologiques sont menées. Pour les scientifiques, la priorité reste la protection des personnes les plus vulnérables.

Des capteurs pour avertir les écoles des émanations dangereuses

« Beaucoup de personnes sont malheureusement captives de leurs lieux d’habitation », se désole Rémi Nevière, clinicien et membre de l’équipe du CHU de Martinique. L’Agence régionale de santé (ARS) propose des mesures de prévention pour les enfants. « Si les capteurs [placés près des écoles en bord de plage, NDLR] enregistrent un taux de gaz élevé, les enfants ne viennent pas à l’école, ou bien les cours sont donnés ailleurs », explique le médecin. Des mesures qui sont appliquées en Martinique et en Guadeloupe.

Concernant la protection des femmes enceintes et des autres personnes vulnérables, Rémi Nevière et Rishika Banydeen espéraient davantage de réactivité de la part des autorités à la suite de la publication de leurs travaux. « Aucune directive n’a été donnée de la part de l’ARS pour tenir les femmes enceintes à distance des émanations », constatent-ils. « Des différences de temporalité subsistent entre le quotidien des habitants et les politiques publiques », pose Florence Ménez, anthropologue et coordinatrice du projet SaRiMed. Ce projet ethnographique a été mené entre 2021 et 2023. Son but ? Recenser les ressentis des populations touchées par les rejets gazeux des sargasses. « Les personnes qui souffrent tous les jours se demandent comment prouver leur mal-être », livre l’anthropologue.

"destructeur de cellule"

Dessins réalisés par l’étudiant en graphisme Lucas Pernock dans le cadre du projet SaRiMed. Il a accompagné les anthropologues à des entretiens avec les victimes des sargasses et a traduit leur témoignage en dessins. Celui du haut illustre la parole : »ça détruit psychologiquement », celui du bas : « destructeur de cellule ». 

La chercheuse a échangé avec une centaine de résidents affectés par les gaz. Porter un masque pour dormir, ne pas pouvoir profiter de son jardin, se sentir malade… Voilà leur quotidien. Des témoignages qui trouvent difficilement leur place dans l’espace public. « Les études ethnographiques révèlent les angles morts des politiques publiques ou sanitaires » nous apprend Florence Ménez. « Ici, on entre dans l’intimité des victimes », ajoute-t-elle. Des associations locales continuent d’écouter ces personnes et tentent de faire entendre ce problème de santé publique. Si la mise à l’abri de la population martiniquaise n’est pas encore idéale, elle a le mérite d’exister, ce qui n’est pas le cas dans l’entièreté des Caraïbes.

Le gaz toxique des sargasses décomposées intensifie la fréquence des épisodes d’apnée centrale du sommeil

En Martinique, certains habitants ont le souffle coupé pendant la nuit. En février 2024, le CHU de Martinique a dévoilé une étude sur l’apnée centrale du sommeil (d’origine neurologique) en lien avec l’exposition aux émanations gazeuses des algues sargasses. Lorsque ces algues brunes se décomposent, un cocktail de gaz est relâché, dont le sulfure d’hydrogène (H2S) très toxique. Les médecins savaient déjà que ce gaz régulait naturellement, en partie, la ventilation au niveau du tronc cérébral. Le dérèglement de cette ventilation – qui pourrait être associé à une surdose de sulfure d’hydrogène – entraine une apnée centrale du sommeil. Pour l’évaluer, 685 patients admis au centre du sommeil du CHU de Martinique ont été suivis. Par ailleurs, les données des capteurs d’H2S situés sur leurs lieux de vie ou de travail ont été collectées. Résultat : un mois d’exposition aux sargasses en décomposition suffit à augmenter significativement les épisodes d’apnée du sommeil. Des résultats qui se trouvent en libre accès. Une volonté assumée par les cliniciens, qui confient vouloir rendre accessible leurs recherches au plus grand nombre.

Crédit image d’ouverture : Marine Laplace

Légende image d’ouverture : une plage remplie de sargasses en Martinique. 

Crédit dessins : @ Lucas Pernock / SaRiMed / AMURE / UBO / IUEM 2022

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