Au Gabon, chasseurs de brousse et traqueurs de virus

Avec ses cases en bois posées de part et d’autre de la route et ses étals de viande de brousse achalandés pour les rares véhicules qui le traversent, Kessipoughou ne serait qu’un banal village noyé dans l’immensité de la forêt gabonaise si de grands panneaux ne venaient frapper le regard. Des images d’organes nécrosés y alertent sur les risques de zoonoses, ces maladies transmissibles des animaux aux êtres humains. « Ne pas cacher, ne pas manger, informer le chef du village en urgence », ordonne la légende écrite en gros caractères rouges.

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Un autre avertit sur les dangers des morsures et des griffures. « Nous faisons partie du réseau de surveillance et d’alerte des maladies zoonotiques », justifie Schultz Bavekoumbou, le président de l’Association des chasseurs de Kessipoughou, 40 ans, flanqué d’un polo bleu électrique vantant une « chasse durable ».

Depuis presque deux ans, l’association participe à ce projet apparu comme une nécessité avec l’émergence du SARS-CoV- 2 en Chine. Si l’origine de la pandémie responsable de près de 20 millions de morts dans le monde, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), n’est toujours pas fermement établie, l’une des pistes les plus sérieuses demeure celle d’une transmission du virus par un animal servant d’hôte intermédiaire aux abords du marché de Wuhan. Les chauves-souris étant considérées comme le premier réservoir du virus.

Pression sur la faune sauvage

Or, dans l’ouest du Gabon, le département de Mulundu auquel appartient Kessipoughou est connu pour ses nombreuses grottes qui sont autant d’abris pour les chiroptères. La circulation de coronavirus comme d’autres agents pathogènes aux conséquences mortelles – fièvre de Marburg, Ebola… – a été identifiée par les scientifiques gabonais depuis plusieurs décennies. La zone est aussi un intense lieu de chasse dont les populations tirent leur principale source de protéines et souvent aussi leur seul revenu en approvisionnant les centres urbains environnants, où la demande ne cesse de croître.

Cette pression sur la faune sauvage – y compris sur les espèces menacées d’extinction comme les grands singes ou les pangolins – a motivé le lancement en 2018 du Programme de gestion durable de la faune sauvage par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), financé par l’Union européenne (UE) et sur lequel est ensuite venu se greffer le volet sanitaire de prévention des épidémies.

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A côté du suivi des espèces ouvertes à la chasse et du contrôle du nombre de captures autorisées, Schultz Bavekoumbou a ainsi appris à reconnaître les symptômes suspects chez un animal et à suivre un protocole de signalement. « Nous devons en premier avertir le chef du village pour qu’il constate la situation. Puis nous appelons le centre médical régional et le représentant du ministère des eaux et forêts qui, à leur tour, demandent l’intervention des vétérinaires du Centre international de recherches médicales de Franceville (CIRMF) afin qu’ils procèdent à des prélèvements sur l’animal », décrit-il.

Kessipoughou a déjà lancé deux alertes dont une au mois de mai après la prise d’un mandrill dont la fourrure présentait des pelades anormales. Les analyses ont montré que le singe avait contracté la rage. Une trentaine de personnes ont pu être vaccinées.

« Bombe à virus »

A 200 km de là, au CIRMF, le vétérinaire Gaël Maganga dirige l’équipe chargée de répondre aux alertes des villageois sur une ligne ouverte sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Reconnu pour ses travaux sur les chauves-souris, le chercheur a été en première ligne de la riposte contre le Covid-19.

Le CIRMF, crée en 1974, est un établissement de référence pour la recherche sur les maladies infectieuses en Afrique. Il possède avec l’Institut national des maladies transmissibles de Johannesburg l’un des deux seuls laboratoires de haute sécurité de type P4 de tout le continent. Cet équipement, où sont manipulés les virus les plus dangereux, a notamment permis de travailler sur Ebola dès la première épidémie apparue au Gabon en 1996.

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Cette notoriété n’a pas réglé ses problèmes de financement. « J’avais espéré qu’après la pandémie de Covid-19, nous aurions davantage de moyens, mais ce n’est pas le cas », déplore le scientifique, inquiet pour l’avenir du dispositif de veille communautaire après le désengagement annoncé par l’UE en juin.

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Bruxelles qui a versé 47 millions d’euros pour la première phase (2018-2023) du programme de gestion durable de la faune sauvage et dont le Gabon n’est qu’un des quatorze bénéficiaires en Afrique, au Guyana et en Papouasie-Nouvelle-Guinée, a décidé de diviser sa contribution par deux pour la seconde phase. La surveillance des zoonoses est le poste qui a été sacrifié.

Gaël Maganga ne cache pas son incompréhension. « Les interactions entre les populations et la faune sauvage sont de plus en plus fréquentes. L’exploitation forestière et les activités minières créent une pression sur l’environnement et transforment certaines zones en “bombe à virus” » , explique-t-il en citant en exemple la mine de fer de Belinga, dans la province voisine de l’Ogooué-Ivindo. « Beaucoup de personnes vont venir travailler sur un site où le virus de Marburg est présent et aucune précaution n’a été prise. »

« Nous soucier de l’avenir »

Pour que les efforts déployés à Kessipoughou et auprès des quatre autres associations de chasseurs du département de Mulundu impliquées dans le réseau de veille ne soient pas anéantis, une demande de financement a été adressée au Fonds pour les pandémies géré par la Banque mondiale.

En attendant, les chercheurs répondent aux alertes avec le peu de moyens qu’il leur reste. Il n’y a plus assez d’argent pour renouveler les abonnements téléphoniques offerts aux chasseurs afin qu’ils puissent les contacter gratuitement ni de budget pour le véhicule avec lequel aller faire des prélèvements. « Nous avions l’occasion de mieux comprendre la genèse des zoonoses et de construire un système de prévention adapté dans un contexte où les populations n’ont pas d’autre choix que de consommer de la viande de brousse », regrette à son tour, le vétérinaire Gilles Bompana.

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Installé dans les locaux du CIRMF, le représentant local du Centre de coopération internationale de recherche agronomique pour le développement (Cirad), chargé par la FAO de la mise en œuvre du projet, appréhende la réaction des communautés lorsqu’elles seront informées : « Elles nous ont fait confiance. Nous avons dit aux chasseurs qu’ils étaient nos yeux et nos oreilles dans la forêt et que toute découverte suspecte devait être traitée avec urgence. Demain, nous allons disparaître. »

A Kessipoughou, le président Schultz Bavekoumbou n’imagine pas un tel épilogue. Il y a cinq ans, l’attaque d’un éléphant l’a presque laissé pour mort. Depuis, sa vie tourne un peu au ralenti et il a réfléchi : « La chasse durable est un sacrifice pour les familles qui n’ont que cela pour vivre mais, nous ne pouvons pas continuer à vider la forêt sans nous soucier de l’avenir. » A côté de la case qui sert de bureau à l’association, il songe à construire une boucherie qui respecterait la chaîne du froid et ferait de son village un pionnier. Ce serait sa fierté.

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