La fille du président du Cameroun libère la parole dans un pays où l’homosexualité est considérée comme un crime.
Nom
Anastasia Brenda Biya Eyenga
Âge
26 ans
Fonction
Rappeuse, héritière, fille de président
Mots-clés
Scandale, homosexualité, Paul Biya, lois
Pourquoi on en parle
Brenda Biya espérait devenir populaire comme rappeuse. Mais elle vient de faire les manchettes pour une tout autre raison : une photo Instagram où on la voit embrasser sa copine sur la bouche (la mannequin brésilienne Layyons Valença) avec ce message : « Je suis folle de toi et je veux que le monde le sache. » En soi, rien de si scandaleux, si ce n’est que Brenda Biya est la fille de Paul Biya, président du Cameroun, un pays où l’homosexualité est considérée… comme un crime.
Des conséquences politiques
Paul Biya, 91 ans, au pouvoir depuis 1982, a dû avaler son café de travers en voyant le post de sa fille. Il est probable que ce coming out n’aidera pas la cause du père, sachant que son autorité est de plus en plus contestée. Selon Larissa Kojoue, chercheuse à Human Rights Watch, qui s’intéresse notamment aux droits LGBTQ+, le geste de Brenda Biya n’a d’ailleurs pas tardé à être récupéré politiquement par les adversaires du président. « L’opposition dit que tout cela résulte de l’incompétence de Paul Biya depuis 42 ans. Pour eux, c’est la preuve de la décadence et de la déchéance du régime actuel. Ils disent qu’on en est arrivés au point où même la fille du président n’est pas contrôlable. Tout cela participe à l’ambiance autour de la fin du régime. »
Cinq ans de prison
Au Cameroun, le Code pénal prévoit une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et une amende de 200 000 francs CFA (environ 450 $ CAN) pour rapports sexuels entre personnes du même sexe. Même si ces sanctions sont rarement appliquées, elles sont prétextes à de nombreux abus, souligne Larissa Kojoue. « Ça permet le chantage, les violences policières, les arrestations arbitraires. Les gens se font harceler, arrêter, torturer. Ils peuvent donner beaucoup d’argent pour se sortir de là. Les personnes qui évitent le tribunal sont celles qui peuvent payer. »
Un impact pour les droits des personnes LGBTQ+…
Mme Biya, une richissime héritière résidant en Suisse, ne s’expose clairement pas aux mêmes risques. Mais comme le soulignait le média camerounais AfricaPresse, son coming out « met en lumière les contradictions du système ». Selon Marc Epprecht, professeur à l’Université Queen’s, à Kingston, et auteur du livre Heterosexual Africa ?, ce pavé dans la mare pourrait même faire avancer la cause des minorités en Afrique, surtout si la principale intéressée accepte de porter le flambeau militant, ce qui semble être le cas si l’on en juge par sa dernière intervention dans le journal Le Parisien1, où elle a annoncé vouloir passer un « message fort ». « Si elle prend le leadership sur ce sujet, je pense que les gens vont l’écouter, observe M. Epprecht. D’un autre côté, ce sera facile pour ses détracteurs de dire qu’elle n’est pas vraiment africaine parce qu’elle vit en Europe, qu’elle fait partie de l’élite et qu’elle est super riche et que donc elle n’est pas pertinente pour les masses. »
… mais pas sur la loi
Pour Larissa Kojoue, la bravade de Brenda Biya a « au moins » le mérite d’avoir libéré une parole. « C’est entendu, on ne peut plus ignorer. Ce que ça dit, c’est que l’homosexualité est dans toutes les familles, y compris les familles présidentielles », explique la chercheuse. En ce sens, la jeune femme a clairement « marqué un point » pour faire évoluer les mentalités jusque dans « les villages les plus reculés ». En revanche, il est peu probable, selon elle, que cela changera quelque chose sur le plan juridique, du moins à court terme. « À mon sens, le changement sera envisageable au Cameroun après le départ de Paul Biya, renchérit Marc Epprecht. Ce sera peut-être un autre régime autoritaire, mais rien n’exclut que celui-ci décide de supprimer la loi pour des raisons pragmatiques, ce qui est arrivé dans d’autres pays d’Afrique, comme le Rwanda, par exemple, où les condoms sont disponibles en prison et où on ferme les yeux sur la loi. »
La situation en Afrique
Être gai est encore illégal dans une trentaine de pays du continent africain. Certains États sont plus brutaux que d’autres. Au Kenya, l’homosexualité est passible de 14 ans de prison, tandis qu’on risque la peine de mort en Mauritanie ou au Nigeria… Certains pays comme Maurice, la Namibie ou le Botswana ont récemment dépénalisé l’homosexualité, mais les avancées sont fragiles et les reculs possibles… Au Burkina Faso, où aucune loi ne réprime l’homosexualité, la junte militaire vient d’annoncer vouloir la criminaliser. Seule l’Afrique du Sud, pionnière en la matière, a adopté une loi reconnaissant les couples homosexuels et permettant l’adoption en 2006. « Il y a des îlots de liberté, mais pas beaucoup », résume Larissa Kojoue.
Une première
Brenda Biya n’est certes pas la première « vedette » du continent africain à s’afficher. D’autres personnalités ont effectué leur sortie du placard, dont l’écrivain kényan Binyavanga Wainaina et Chimano, chanteur du groupe Sauti Sol, qui se revendique comme queer. Mais ce sont les exceptions qui confirment la règle. « C’est plus facile pour une figure pop de faire son coming out que pour quelqu’un d’attaché à une famille qui est au pouvoir, conclut Marc Epprecht. À ma connaissance, Brenda Biya est la première, c’est donc assurément une grosse histoire… »
Avec Le Monde, Courrier international, TV5 Monde et Amnistie.org
1. Lisez l’article du Parisien
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