Au croisement des technologies virtuelles et des applications militaires, le « Miliverse » émerge comme un élément prépondérant propulsant les stratégies et la préparation militaire vers une ère nouvelle et innovante.
Cette innovation a été décrite notamment par le lieutenant-colonel Ryan Kenny de l’US Army qui en défend la mise en place. En France, des travaux effectués entre 2020 et 2022 dans le cadre d’un projet entre l’Agence Innovation Défense (Direction générale de l’armement) et l’ENSTA proposaient également des pistes de réflexion pour le développement d’outils. Comme l’indiquait en 2021 Didier Bazalgette alors réfèrent innovation pour les domaines intelligence artificielle et cognition pour l’Agence innovation défense :
« L’idée d’un Miliverse n’est pas nouvelle mais elle prend une nouvelle dimension au regard des compétences croissantes dans les domaines de la réalité virtuelle et de la réalité augmentée. »
Le Miliverse, raccourci de « military metaverse », constitue une innovation qui révolutionne les entraînements, les simulations et la préparation des forces armées en s’appuyant sur les technologies numériques. Cette nouvelle approche tire parti des caractéristiques du métavers, monde virtuel collectif partagé, souvent accessible via Internet, qui associe des aspects de la réalité augmentée (AR), de la réalité virtuelle (VR) et de la technologie blockchain.
Le Miliverse permet aux acteurs du domaine militaire de se rencontrer, de travailler, de jouer et d’interagir dans des environnements 3D immersifs. Ces atouts contribuent à décupler les compétences opérationnelles, à tester des stratégies complexes et à anticiper des scénarios de haute intensité, le tout dans un environnement virtuel sécurisé et façonnable à l’envie.
Dans le domaine militaire, le Miliverse se déploie à travers des simulations interactives de haute sophistication. Les troupes peuvent s’immerger dans des environnements virtuels grâce à des casques de réalité virtuelle de dernière génération, reproduisant des scénarios variés, allant de missions de combat à des opérations de renseignement délicat. Par exemple, des unités spéciales peuvent simuler des interventions tactiques complexes, testant ainsi leurs compétences en matière de coordination et de réactivité. Un débriefing peut également être intégré aux simulations en fonction des résultats obtenus (précision des tirs, victimes alliées et/ou ennemies, etc.).
De nombreux pays intéressés
Aux États-Unis, le département de la Défense a prévu d’engager 500 M$ dans les quatre prochaines années pour le développement de ces technologies innovantes. Des simulations avancées ont été mises en œuvre pour former des unités spéciales dans des environnements virtuels reproduisant fidèlement des zones potentielles de conflit. Ces simulations utilisent la réalité virtuelle (VR) et augmentée (AR) pour recréer des conditions de combat complexes, permettant un entraînement réaliste sans les risques réels. Le programme Synthetic Training Environment (STE) inclut des simulateurs pour divers véhicules et hélicoptères, utilisant l’IA pour générer des forces adverses et analyser les performances en temps réel. Ces technologies réduisent les coûts et augmentent l’efficacité de la formation.
En Israël, les forces de défense ont intégré le Miliverse dans leur programme d’entraînement, utilisant des simulations pour tester des scénarios de cyberattaques et des opérations conjointes entre différentes branches des forces armées. Cette préparation dans des situations similaires à la réalité permet de tester les actions des forces en situation quasi réelle, d’identifier les bonnes pratiques et les points à améliorer, et accroît la capacité des équipes à collaborer, communiquer et interagir en situation de stress.
En Chine, de nombreuses utilisations sont en cours de développement et s’appuient sur les acteurs majeurs privés : 51World, Alibaba et Tencent. Ces sociétés ont créé des mondes virtuels imitant le monde réel (« jumeaux numériques ») qui permettent de simuler des évènements dans le temps.
En France, l’Armée de Terre, et en particulier le Centre d’enseignement militaire supérieur de l’armée de terre (CEMST) fait travailler actuellement des officiers supérieurs dans un travail profondément interdisciplinaire sur le développement de solutions en réalité augmentée pouvant être utilisée dans le cadre d’un Miliverse.
Un enjeu de recherche et développement
Le Miliverse se situe actuellement à un stade de développement avancé, soutenu par des investissements dans la recherche et le développement de technologies connexes. Les simulations intègrent désormais des intelligences artificielles avancées qui réagissent de manière dynamique aux actions des participants, offrant ainsi un réalisme sans précédent. En effet, ces technologies donnent lieu à de nombreuses applications : lunettes de réalité virtuelle, casque de réalité virtuelle et application de modélisation 3D par exemple. Chacune de ses implémentations permet de pénétrer dans une situation quasi réelle pour tester et ajuster les scénarios d’entraînement et vérifier l’effet de décisions opérationnelles, ce qui améliore l’expérience pour une meilleure progression des participants.
Cette nouvelle technologie améliore et accélère la prise de décisions. Elle offre la possibilité de traiter des situations plus complexes en optimisant l’expérience utilisateur, en permettant une simulation des scénarios envisagés de plus en plus élaborés et offre la possibilité de faire collaborer et interagir plusieurs participants au sein du multivers.
La mise en place du Miliverse apporte également de nombreuses avancées sur des aspects complémentaires des opérations militaires : accélération de la conception et l’innovation, optimisation de l’approvisionnement, amélioration de l’intégration de mécanismes multiniveaux… Très concrètement, les US Marines utilisent ce type de technologie pour disposer d’une vision détaillée de leurs équipements sur le front pacifique avec de nombreuses îles dispersées. De nombreux autres exemples d’applications existent : contrôle des armes à distance, formation médicale aux situations de guerre, entraînement à la communication de crise, etc.
Dans le contexte particulier de la cyberdéfense, le Miliverse fournit un environnement virtuel réaliste où les soldats peuvent s’entraîner à identifier et à neutraliser des menaces en temps réel. Par exemple, en simulant une cyberattaque sur une infrastructure critique, les experts de la cyberdéfense civils et militaires collaborent et apprennent à mieux détecter des intrusions, à isoler les systèmes compromis et à rétablir les services tout en minimisant les dommages collatéraux. Cela permet une préparation optimale pour des situations réelles où des réponses rapides et coordonnées sont cruciales.
Rester attentifs aux limites du Miliverse
Si les technologies liées au Miliverse pourraient révolutionner la préparation militaire, elles ne sont pas sans limites. En effet, une utilisation excessive peut créer une dépendance aux systèmes virtuels. En cas de défaillance technique ou d’attaque sur les systèmes numériques, les forces armées pourraient être désorientées et voir diminuer leur capacité à réagir en situation réelle. Par ailleurs, aussi réalistes que soient les simulations, elles ne reproduisent jamais parfaitement l’imprévisibilité et le stress du combat réel. Les soldats formés uniquement via des moyens numériques risqueraient de manquer d’expérience et de sang-froid face aux réalités du champ de bataille.
Ces technologies doivent donc être utilisées en complément des méthodes d’entraînement traditionnelles (exercices pratiques, simulations sur terrain). Une approche combinée garantit une formation complète et équilibrée, tirant parti des atouts technologiques tout en préservant l’importance de l’expérience concrète et de l’adaptation au combat réel. Intégrer cette approche à la formation militaire doit être encadrée pour renforcer, et non remplacer, les méthodes d’entraînement éprouvées. En reconnaissant et en abordant ses limites, elles peuvent devenir un outil précieux pour préparer les soldats aux défis du combat moderne.
Des perspectives prometteuses mais de nombreux défis
L’adoption du Miliverse transcende les frontières des États-Unis et d’Israël. Des nations telles que la Chine, le Royaume-Uni, et dans une large mesure la France, ont également intégré des technologies similaires dans leurs programmes d’entraînement militaire. Les retours d’expérience mettent en lumière une amélioration significative des compétences opérationnelles, de la prise de décision sous pression, et de la réactivité des troupes.
En parallèle des avantages, des préoccupations émergent concernant la dépendance croissante à la technologie, la vulnérabilité aux cyberattaques, et les enjeux éthiques liés à la simulation de scénarios de conflit réel. Le Miliverse pose des défis uniques qui nécessitent une approche réfléchie pour garantir son utilisation judicieuse.
Le Miliverse représente une avancée significative dans la préparation militaire, offrant des avantages tangibles et ouvrant la voie à des perspectives d’innovation continue. Toutefois, son utilisation doit être encadrée par des normes éthiques rigoureuses pour garantir la sécurité et l’intégrité des opérations militaires dans un monde de plus en plus numérique.
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