Bassirou Diomaye Faye est attendu au Mali et au Burkina Faso, ce 30 mai, pour une « visite d’amitié et de travail », selon un communiqué de la présidence sénégalaise, en vue de renforcer « les liens historiques de bon voisinage ». Le nouveau chef de l’Etat sénégalais doit pour la première fois rencontrer le dirigeant burkinabé, le capitaine Ibrahim Traoré, à Ouagadougou et le président de la transition malienne, le colonel Assimi Goïta, à Bamako, deux hommes auteurs de coup d’Etat, en rupture avec la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), dont le Sénégal est un poids lourd.
Si ces putschistes entretiennent des relations tendues avec une partie de leurs homologues ouest-africains, ils partagent avec le président sénégalais une même rhétorique panafricaniste et souverainiste. Bassirou Diomaye Faye a été élu sur un programme vantant la rupture avec l’ordre néocolonial et sur une promesse de changement.
Lors de son investiture le 2 avril, ses partisans ont d’ailleurs acclamé les officiels du Mali et du Burkina Faso qui avaient fait le déplacement. Une proximité idéologique qui n’était pas sans susciter des interrogations auprès des partenaires occidentaux du Senegal et au sein de la Cedeao. Quel camp allait choisir le successeur de Macky Sall ?
Aucun, a répondu depuis Bassirou Diomaye Faye. Auréolé de son élection exemplaire – il l’a emporté dès le premier tour, sans contestation de ses adversaires –, il entend mettre sa popularité au service de l’Afrique de l’Ouest. « Je suis persuadé que nous devons continuer d’agir dans la solidarité au sein de l’espace Cedeao, de faire les réformes nécessaires et d’œuvrer à dissiper les incompréhensions qui ne peuvent manquer de survenir », a-t-il déclaré le 7 mai à Abidjan, assurant que la Cedeao « est un outil formidable d’intégration [que] nous gagnerons à préserver ». Un message directement adressé aux trois pays putschistes qui ont créé l’Alliance des Etats du Sahel (AES), mettant en péril la survie de l’organisation régionale.
« Faire revenir au bercail » les Sahéliens en rupture
Outre la Côte d’Ivoire donc, Bassirou Diomaye Faye s’est rendu chez ses voisins directs, la Mauritanie, la Gambie et la Guinée-Bissau, mais aussi au Nigeria, au Ghana, puis au Cap-Vert et en Guinée. Huit pays en seulement deux mois, durant lesquels cet homme discret a décidé de revêtir un costume de médiateur. Bola Tinubu, le président du Nigeria et président en exercice de la Cedeao lui a ainsi demandé de tout tenter pour faire « revenir au bercail » les pays sahéliens au bord du départ. En marge de son voyage à Abuja, M.Diomaye Faye a aussi reçu le président de la Commission de la Cedeao, Omar Alieu Touray.
« Le dossier est complexe et si quelqu’un peut s’en charger, c’est bien Diomaye Faye. Il comprend la rhétorique hostile à la France des juntes au Sahel, et jouit des relations étroites entre son pays et ceux de la Cedeao, comme la Côte d’Ivoire », souligne Oumar Berté, juriste et auteur d’un ouvrage sur l’institution ouest-africaine, qui précise aussi que « le président sénégalais semble apprécié par les citoyens maliens et burkinabés ».
Pour Oumar Berté, le jeune président sénégalais a tout intérêt à tenter de réconcilier sa région. « Se placer comme médiateur, cela a du prestige, poursuit le juriste. Mais surtout, il y a des enjeux économiques pour le Sénégal à ne pas voir la Cedeao se fissurer. La moitié de l’activité du port de Dakar se fonde autour de produits à destination du Mali ». Il rappelle ainsi que « lorsque la Cedeao avait décidé des sanctions contre Bamako en 2022, l’économie sénégalaise avait été affectée. »
« Mieux négocier avec les pays européens »
L’avenir de la Cedeao et du Franc CFA, symbole de la « Françafrique » que les putschistes comme Bassirou Diomaye Faye veulent voir disparaître, mais aussi les enjeux sécuritaires dans une région gangrenée par les groupes armés terroristes devraient être au cœur des discussions que le Sénégalais aura avec ses homologues à Bamako et Ouagadougou.
Se positionner comme leader régional doit aussi lui permettre d’accomplir d’autres ambitions. Un fonctionnaire du ministère des affaires étrangères, qui a requis l’anonymat, souligne : « Ces voyages dans la région, c’est aussi pour mieux négocier avec les pays européens. Sur des dossiers comme la migration ou les accords économiques, il a tout intérêt à sensibiliser ses homologues à ses vues. »
Les attentes des électeurs touchent à ces sujets « qui mêlent diplomatie, économie et questions domestiques », assure Sambou Ansou, membre du secrétariat national à la communication du Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité) – le parti fondé par le président Bassirou Diomaye Faye et le premier ministre Ousmane Sonko.
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Durant sa campagne, le candidat du Pastef avait promis de renégocier les accords de pêche signés avec l’Union européenne ainsi que les contrats gaziers et pétroliers conclus avec des opérateurs étrangers. Des thèmes qu’il a abordés avec le président du Conseil européen Charles Michel, en visite à Dakar le 23 avril, appelant à un « partenariat repensé, rénové ».
Un fonctionnaire du ministère des affaires étrangères, qui a requis l’anonymat, souligne la portée symbolique de la visite à Dakar, mi-mai, de Paul Kagame, le dirigeant rwandais. « Kagamé incarne un souverainisme africain, un rapport décomplexé à l’Occident, et cela parle à Diomaye Faye et participe à sa popularité auprès de la jeunesse. »
Bassirou Diomaye Faye préparera ensuite son déplacement en France, prévu le 20 juin, au cours duquel il devrait rencontrer Emmanuel Macron. « Dans la région comme au-delà, Diomaye Faye veut assumer la rupture mais aussi assurer la continuité », conclut Mamadou Lamine Sarr, qui enseigne les sciences politiques à l’université Cheikh Hamidou Kane de Dakar.
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