Avant de croiser l’Argentine en finale de la Copa América 2024, la Colombie n’avait atteint ce stade qu’à deux reprises. Retour sur ces moments d’histoire.
Après la découverte de la doyenne des compétitions en 1945, la Colombie ne prend pas part à toutes les éditions suivantes. Absente en 1946, elle dispute les éditions 1947 et 1949, époque de la période de l’arrivée du football professionnel et de l’ère d’El Dorado. Cette ère exclut le pays de la FIFA la fait disparaître des radars sud-américains, les Cafeteros ne revenant dans l’épreuve que lors de l’édition 1957 puis en 1963 alors que le tournoi vacille.
1975, la renaissance
Après trois éditions marquées par les forfaits et autres désistements, alors que l’instabilité politique est devenue monnaie courante aux quatre coins du continent, le Campeonato Sudamericano effectue une pause, incapable de trouver un consensus entre les désormais dix fédérations participantes alors que les compétitions continentales et nationales de clubs sont également marquées par une profonde violence. Mais la CONMEBOL ne veut pas la mort de son tournoi. Pour lui redonner vie, la confédération décide de changer de format. Oublié le pays hôte qui a tant divisé ces dernières années (les deux éditions la même année en 1959 ou encore l’édition bolivienne de 1963 qui voit par exemple Uruguay refuser de se rendre à La Paz, l’Argentine et le Brésil envoyer les équipes réserves, illustrant à merveille ces conflits), place désormais à une compétition longue durée sans lieu fixe. Les dix équipes invitées à participer sont réparties en trois groupes de trois dans lesquels chacun s’affrontent en matchs aller-retour, le dixième, le tenant du titre, n’entrant en piste qu’en demi-finales. Pour cette édition 1975 et pour la première fois, les dix membres de la CONMEBOL prennent part à l’épreuve.
La phase de groupes est une promenade de santé pour le Pérou dans le Groupe A (avec Chili et Bolivie). Dans le Groupe B, deux géants se retrouvent : le Brésil et l’Argentine, retrouvailles d’une Coupe du Monde 1974 au cours de laquelle le champion du monde emmené notamment par Rivelino et Jairzinho a pris le dessus sur l’Albiceleste avant de subir la loin d’Oranges Mécaniques, les Pays-Bas de Cruyff. Pour l’Argentine, cette Coupe du Monde fut un échec, la leçon reçue face au futur finaliste de l’épreuve restant un traumatisme. Ainsi, en octobre 1974, César Luis Menotti est nommé sur le banc de la sélection. Le Rosarino s’est fait connaître en emmenant Huracán vers son premier titre de champion l’année précédente ou, avec les Avallay, Basile, Houseman, Carrascosa, Larrossa, Brindisi et autres Babington, il a transformé Parque Patricios en Palacio del Gol, offrant au Globo le seul titre de son histoire professionnelle. À son arrivée, l’Argentine change de style, elle se construit pour l’objectif fixé, sa Coupe du Monde 1978. Après s’être imposée 5-1 au Venezuela (triplé de Luque, but d’un gamin nommé Kempes), l’Albiceleste tombe au Brésil après avoir mené au score avant de signer au Gigante de Arroyito l’un des plus gros cartons de l’histoire de la compétition, une victoire 11-0 face au Venezuela. Mais l’Argentine n’est pas du rendez-vous des demi-finales, la nouvelle défaite face au Brésil concédée à Rosario l’éliminant.
La Colombie se retrouve dans le Groupe C qu’elle partage avec Paraguay et Équateur. La sélection est dirigée par Efraín El Caimán Sánchez, membre de la sélection qui a participé à la Coupe du Monde chilienne de 1962 et qui a mis brutalement fin à sa carrière en raison d’une blessure au genou l’année suivante, emmenant son Millonarios vers le titre alors qu’il avait un temps repris le chemin des terrains. Son premier match se dispute au Campín le 20 juillet, jour de fête nationale, et l’oppose au favori du groupe, le Paraguay. Un but signé Ernesto Díaz offre à une Colombie vêtue d’une tunique orange une courte mais précieuse victoire, confirmée par une belle victoire à Quito face à l’Équateur. Le tournant du groupe se produit au Defensores del Chaco le 30 juillet lors d’une véritable bataille. Le match symbolise cette époque sombre du football sud-américain. D’une rare violence, il voit les Paraguayens frapper constamment les joueurs colombiens avant que tout explose à la 43e minute lorsqu’Ernesto Díaz surgit de nouveau pour donner l’avantage aux visiteurs. Le match dérape alors, le buteur chambre Ever Hugo Almeyda, légendaire gardien guaraní. Une immense bagarre éclate, la police du dictateur Alfredo Stroessner entre sur le terrain pour frapper les joueurs colombiens, notamment Willington Ortiz. Le match est alors arrêté par l’arbitre Arnaldo Cézar Coelho, la CONMEBOL donne la victoire à une Colombie qui file alors vers la demi-finale, la victoire face à la Tri équatorienne assurant un score parfait.
En demies, comme un symbole, la Colombie croise l’Uruguay, tenant du titre qui débute ainsi sa compétition. Le match aller tourne au récital. Edgar Angulo, Willington Ortiz et Ernesto Díaz, qui devient alors meilleur buteur de la compétition, offrent aux Cafeteros un succès confortable (3-0). Au retour au Centenario, la Colombie résiste, Pedro Zape sort un penalty de la légende Fernando Morena, action sur laquelle il se luxe l’épaule mais poursuit dans les cages. La courte défaite (1-0, sur l’un des trois penalties tentés par Morena) permet ainsi à la Colombie de se hisser à sa première finale de l’épreuve, l’année où celle-ci devient officiellement Copa América.
L’adversaire se nomme Pérou. Emmené par sa génération dorée, sans doute la plus belle de son histoire, symbolisée par son duo Teófilo Cubillas – Hugo Sotil, mais comptant aussi des joueurs comme Percy Rojas, Héctor Chumpitaz ou encore Juan Carlos Oblitas. À la tête de la Blanquirroja, l’entraîneur qui restera le technicien le plus titré de l’histoire du football péruvien, Marcos el Chueca Calderón, dont le destin sera brisé par la tragédie de l’Alianza Lima en 1987 (lire L’histoire d’un nom (14) : Alianza Lima). En demi-finales, le Pérou s’est offert le Brésil de Rivelino et Falcao grâce à une folle victoire au Minerão (3-1) et une histoire folle, celle d’un tirage au sort consécutif à la victoire du Brésil à Lima (2-0) et effectué par Verónica Salinas, fille de Teófilo Salinas, président de la Confederación Sudaméricana de Fútbol et accessoirement péruvien. Le tirage se peuple de rumeurs et autres légendes après les mots de son père, « il était impossible que l’on perde le tirage chez nous », les théoriciens du complot ayant suggérés que le papier sur lequel était écrit « Perú » avait été précédemment passé au congélateur pour être plus facilement repérable. Quelles que soient les légendes, le Pérou se présente donc au Campín le 16 octobre où un coup franc de Ponciano Castro fait chavirer les 60 000 âmes venues se masser dans une enceinte censée n’en accueillir que 35 000. Mais la Colombie s’incline à Lima, le Pérou étant pourtant privé de ses stars Teófilo Cubillas et Hugo Sotil, tous deux retenus par leurs clubs (respectivement Porto et le FC Barcelone). Un match d’appui est alors nécessaire pour départager les deux formations, il se déroule à Caracas le 28 octobre 1975. Cubillas est là, el Cholo Sotil aussi. Ce dernier a fugué depuis Barcelone. À la 25e minute, une lourde frappe de Cubillas revient dans les pieds de Sotil, el Cholo contrôle et frappe, le Pérou s’impose 1-0 et décroche son deuxième titre, à ce jour son dernier. Pour la Colombie, privée alors d’un Willington Ortiz blessé, la défaite est amère, mais laisse augurer des lendemains qui chantent. Il faut pourtant attendre un nouveau siècle pour retrouver une finale.
2001, la parenthèse enchantée
À partir de 1987, la CONMEBOL décide de revenir à une formule plus naturelle, celle du pays hôte. Et met en place un système de rotation entre ses membres. Six ans après le sacrifice de sa génération dorée, troisième de l’édition organisée et remportée par son bourreau en demi-finale, l’Uruguay, la Colombie doit donc accueillir ses voisins. Mais le contexte social et politique est délétère.
Lorsque la Colombie est désigné pays hôte en 1997, les négociations de paix avec les FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie) sont interrompues depuis 1993 et le pays doit survivre face aux sanctions adoptées par les États-Unis contre le Président Ernesto Samper, accusé d’avoir été élu grâce au financement du cartel de Cali. Pour en finir avec ce conflit, les Colombiens élisent un conservateur, Andrés Pastrana qui rouvre les négociations avec les FARC, leur reconnaissant le contrôle d’une zone démilitarisée dans le territoire du Caguán au Sud du pays. La Copa América entre alors dans cette idée de célébrer les efforts pour la paix. Mais les trois années qui précèdent voient le pays basculer dans de nouvelles violences avec la mise en place par les groupes paramilitaires d’une une coordination nommée « Autodéfenses unies de Colombie » qui vise à lutter contre les FARC, ces derniers multipliant les attaques contre l’armée, les attentats dans les villes et les prises d’otages sur les principales routes du pays. Mais la Colombie s’accroche à l’organisation de sa Copa América, ne voulant pas revivre le renoncement de 1986. Soixante-douze heures avant le début de la compétition, les FARC suivent le mouvement et décident de libérer le vice-président de la fédération colombienne Hernán Mejía Campuzano, afin d’éviter l’annulation de la compétition. À peine relâché, celui-ci accompagne le président de la République à Buenos Aires pour empêcher une ultime tentative brésilienne de changer le pays hôte de la Copa América. Malheureusement pour la Colombie, sa compétition, renommée Coupe de la Paix, subit de nombreux désistements. Le Brésil envoie une équipe bis, sept joueurs seront présents en Corée et au Japon l’année suivante ; l’Uruguay se déplace sans Álvaro Recoba, le Chili sans Marcelo Salas et Iván Zamorano, le Paraguay sans José Luis Chilavert ; le Canada décline l’invitation et est remplacé par le Costa Rica ; l’Argentine décide de renoncer la veille de la compétition, elle est remplacée en urgence par le Honduras.
Photo : LUIS ACOSTA/AFP via Getty Images
Sur le terrain, la Colombie doit tourner la page de sa génération dorée. Carlos Valderrama, Tino Asprilla, Freddy Rincón ou René Higuita ne sont plus là. Placée dans le groupe A avec le Venezuela, l’Équateur et le Chili, avec des matches à Barranquilla, elle sort sans trembler, remportant ses trois matchs sans encaisser le moindre but. En quarts, elle croise alors le Pérou, qualifié comme deuxième meilleur troisième, et fait la différence en vingt minutes en début de seconde période grâce notamment à un doublé pour Aristizagol. La demi-finale est aussi inédite que surprenante puisque l’adversaire est l’invité de dernière minute, le Honduras qui s’est offert le Brésil en quarts. À Manizales, un but rapide de Gerardo Bedoya avant un autre à l’heure de jeu d’Aristizabal envoient la Colombie en finale, la deuxième finale continentale de son histoire après celle disputée en 1975.
Elle offre à la Colombie un autre représentant de la CONCACAF : le Mexique de Javier Aguirre qui a sorti l’Uruguay en demi-finales. À Bogotá, dans un Campín plein comme un œuf, une tête du capitaine Iván Córdoba sur un centre parfait d’Iván López, permet à la Colombie d’entrer dans l’histoire en remportant sa première Copa América. Le Président de la République Andrés Pastrana déclare le 30 juillet, le lendemain de la finale jour férié. Mais ce succès n’est qu’une parenthèse enchantée. En février 2002, après la prise en otage d’un sénateur, le gouvernement décide d’abandonner les négociations et de réoccuper militairement le Caguán. Quelques mois plus tard, alors que sa sélection n’est pas du rendez-vous mondial en Corée et au Japon, le pays porte au pouvoir un candidat dissident du parti libéral, Álvaro Uribe, qui a fait campagne en promettant de mener une guerre sans merci contre les FARC et d’en finir avec l’insécurité. Francisco Maturana est démis de ses fonctions fin 2001, la Colombie ne retrouvera la Coupe du Monde qu’en 2014, quatrième de la Copa América 2004, elle ne retrouvera une demi-finale qu’en 2016, la finale que cette année.
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